Dimanche 16 avril 2017 à 2:16




- Le monde que tu as connu a cessé d'exister. Peut-être même qu'il s'est effacé de l'existence. J'en sais pas encore assez pour être plus précis là-dessus, mais tu dois le savoir.

Un éclair a traversé le ciel et l'air est devenu plus lourd que jamais. Les effets de la bière de Soda se sont dissipés pour laisse l'impression d'avoir été amené ici comme un pantin dans une scierie. Mû par l'énergie du désespoir, j'ai réagi, et cette réaction s'est limitée à attraper Soda par les épaules et à le plaquer contre le mur le plus proche.

- Tu vas me dire tout de suite ce que je fais ici. Et si le réel existe plus, où sont les autres ? Ils ont été effacés, eux aussi ? Et c'était quoi, les monstres ? Qu'est-ce qui s'est passé, bordel ? REPONDS  !!

- Ecoute, soit tu me lâches, soit je m'arrange pour que tu me lâches.

Je l'ai secoué comme un distributeur bloqué.

- Ok.

Il m'a balancé son pied dans le ventre puis dans le tibia, avant d'enchaîner avec une droite dans le plexus et un autre coup de pied dans le ventre. Je sais pas comment j'ai fait pour pas me retrouver par terre avant la fin de son enchaînement.
J'ai complètement perdu de vue le concept de respiration pendant 30 secondes déguisées en 5 minutes. Saloperie de putain de démon de merde.

Il s'est agenouillé devant moi et m'a expliqué le plus posément du monde :

- Tu es ici parce que ce que tu appelles "monde réel" a cessé d'exister. Les autres sont quelque part, dans des strates. Peut-être celle-là, peut-être une autre, j'en sais rien. Les monstres que tu as vu, ben c'étaient des monstres, comme tu l'as si pertinemment observé. Et il s'est passé que t'as pas voulu me lâcher, alors ça m'a énervé.

J'ai la sale impression qu'il se fout de ma gueule et commence sincèrement à haïr ce démon au caractère changeant et au calme impertubable.

Cet enfoiré a sorti une flasque dans sa poche. Encore de la böeze ? 

- T'inquiète pas, c'est pas de l'alcool. Et y'a rien de louche là-dedans. Je te conseille de boire.

J'ai shooté dans la bouteille sans pour autant réussir à la briser et me suis levé. 

- Hé ben, heureusement que je l'avais pas ouverte. Allez, arrête tes conneries maintenant, dit-il en la ramassant. Viens avec moi.

- Pourquoi je te suivrais ? Tu m'as fait boire je sais pas quoi pour me droguer et m'amener ici. Qu'est-ce que tu veux faire de moi, qu'est-ce que t'attends de moi ?

- Hé, du calme. Je ne t'ai pas drogué. Je suis là pour t'aider. Je sais que les humains ont beaucoup de mal à faire confiance; d'ailleurs c'est entre autres pour ça qu'on en est là, vous êtes pour la plupart incapables d'être heureux.

Je savais pas quoi répondre à ça. Il avait raison, mais c'était un sacré bordel... Et puis...

- L'épée qui tombe du ciel, elle venait d'où ?

- De toi. C'est un phénomène que je ne peux pas complètement expliquer, mais je sais que cette arme vient de toi.

- Ah ouais ? Même si elle a disparu ?

- Justement. D'ailleurs ce serait pas mal qu'elle se ramène, on a de la visite.


Une musique acoustique a commencé à emplir l'atmosphère. D'abord 4 longs accords, qui se sont répétés, puis transformés en une rythmique lancinante et imparable, pourtant pas dénuée d'optimisme.

Comme pour répondre à Soda, des monstres se sont montrés progressivement autour de nous. Le son s'est fait électrique, et comme pour lui donner encore plus raison, l'énorme sabre est retombé du ciel pile devant moi.

Soda a enlevé sa chemise déchirée et m'a tendu une nouvelle flasque. 

- Bois ça, tu vas en avoir besoin.

- Hors de question.

- Ok. Bonne chance alors.

Sa peau commençait à briller et son aura l'irradiait de plus en plus. Il a plongé sur les monstres et les a traversé d'un seul coup. Toute une partie du groupe est tombée à l'impact. Il a tourné sur lui-même et ça a suffi pour effondrer le reste.

- A ton tour ! me lança-t-il avec défi, comme si j'avais intérêt à me démerder mieux que lui. 

Rapports de force à la con.

Bordel j'en suis.

J'ai fait goûter ma lame aux cinq bestioles qui sont venues me demander l'heure et j'ai rétamé celle qui venait par-derrière me taxer des clopes alors que je ne fume même pas vraiment.

Je me suis frayé un chemin jusqu'à Soda, qui se battait comme un beau diable, si j'ose dire, parce que depuis son récent coup d'éclat, il avait fait de lui la cible prioritaire des monstres qui ne cessaient de venir, toujours plus forts, toujours plus nombreux.

Paradoxalement, ça me semblait trop facile, j'en cassais 5 d'un seul coup, sans même me fatiguer, même s'ils étaient légion.

- A partir de maintenant, c'est moi qui décide d'où on va ! T'as compris ? lançai-je entre deux groupes que je rétamais sans effort.

- Concentre-toi, on discutera plus tard.

J'ai pris quelques coups, pas trop douloureux mais suffisants pour m'énerver. A un moment ma lame s'est illuminée et j'ai perdu le contrôle, courant de monstre en monstre, trop rapide pour qu'ils puissent me toucher, tapant trop fort pour qu'ils puissent se relever. 

Quand mon calme est revenu, il n'y avait que des cadavres brisés par terre. Mon sabre n'avait pas disparu.

J'ai regardé Soda avec défi.


- Alors, c'est qui le plus fort ?

- T'as une idée de l'absurdité de ta question ? Déjà, c'est moi, ensuite, pour me prouver le contraire, faudrait que tu m'affrontes.

- Plus tard. 

- D'accord. 


L'ambiance avait changé du tout au tout. Il n'était plus dans la déconne et la vanne, ou encore dans le retournement de situation, au contraire, il dégageait quelque chose de carrément dangereux.


On a continué à avancer dans l'air lourd du soir qui tombait doucement sur la ville.




Dimanche 16 avril 2017 à 2:47




- Clope ?

- Merci.

On marchait dans la brume, seuls. Le campus me rappellait une multitude de souvenirs qui devenaient de plus en plus amers à mesure qu'on avançait.

- Regarde, y'a un tram.

J'ai suivi son doigt du regard. Il semblait nous attendre. C'était étrange, et donc probablement par là qu'il fallait aller.

- On y va, tu crois ?


Sûr.

- Ce sera toujours plus rapide que nos pieds, c'est certain.

La porte ouverte s'est fermée derrière nous. Le tram a démarré.

Sonia tremblait. Elle est allée s'asseoir et je l'ai suivie.

- C'est vide. ... Pas vrai ?

- Je crois bien, ouais. Pourquoi ?

- J'ai cru voir un groupe de gens, par là.

- C'est la fatigue.

- Ouais, sans doute.

- Il va où, celui-là ?

- Au centre-ville. C'est pas plus mal, on trouvera peut-être quelqu'un là-bas.

- Hé ! Regarde bien, là. Tu vois rien ?

J'ai regardé attentivement et effectivement, il y avait un groupe de gens qui semblait apparaître par intermittences. J'ai senti le feu faire un tour au fond de moi. Sonia tremblait de plus en plus.

Elle a posé son paquet de clopes sur le siège et m'a fait signe de la suivre. On s'est approchés du groupe. Leurs voix semblaient éthérées, lointaines.

Flippées, aussi. Ils parlaient doucement, avec des trémolos dans la voix, comme s'ils avaient été choqués par quelque chose qu'ils avaient vu. Inutile de se demander quoi. 

Une forme a émergé derrière ces gens qui ressemblaient à des fantômes dans une boule floue.

Sonia a étouffé un cri et je me suis retourné sur un paquet de cigarettes.

- Fais gaffe ! Y'a quelque chose là !

- De quoi tu parles ?

J'ai ramassé le paquet de cigarettes et je me suis pris une droite qui m'a fait voler sur la moitié du tram. Sonia a crié mon nom très fort, et je l'ai à peine entendue. 

Il est où ? C'est quoi ce truc d'ailleurs ?

Je commençais à brûler. 

J'ai brassé l'air devant moi et entendu un grognement. Je l'avais trouvé. J'ai enchaîné quelques coups dans cette direction, puis des mains m'ont attrapé, soulevé, et lancé vers Sonia.

- Cours ! Barre-toi pendant que je l'occupe !! ai-je balancé entre deux souffles. Et toi, montre-toi, saloperie !

- Je ne suis pas là pour toi, jeune homme.

C'était pas la voix du singe de la dernière fois. C'était autre chose.

- Jeune ?! Tu m'flattes, là, saloperie d'merde !!

Ignorant totalement mes délicieuses punchlines, il m'a propulsé contre un pan du tram comme un fétu de paille et s'est dirigé vers Sonia.

Wah, ça fait mal, bordel...

Là-dessus il s'est rendu visible et c'était assez étrange. Il avait toujours été là mais on ne le voyait que maintenant. Il mesurait deux mètres et demi et semblait taillé dans un roc noir. Il portait un pantalon qui avait l'air d'être pile à sa taille et ses bras étaient gros comme ma

_____________________________________________________________________________________________________

STOOOOOOOOP  !!! Tout ce que tu veux mais pas ça ! Par pitié !
_____________________________________________________________________________________________________

Comme ma jambe, j'allais dire comme ma jambe. Calme-toi un peu...

Quoiqu'il en soit, le géant de pierre s'est adressé à Sonia, ce qui m'a directement ramené à la réalité.

- C'est toi que je veux. Toi qui crois qu'un arbre peut cacher la forêt, alors qu'il en fait seulement partie. Toi qui crois que les mensonges ont valeur de vérité et que les illusions sont la matière de la réalité. 

Il parlait avec une voix flippante. Classe mais flippante.

- Toi qui l'a fui pour te fuir, toi qui as si peur de ton reflet dans le miroir, toi qui vois l'enfer dans le regard des autres. TOI  dont les mots te trahissent, même si tu refuses de te l'avouer. Toi qui vis cachée par peur de ton propre regard. Toi qui ne peut admettre les vérités que tu sais. Je suis là pour toi.


Pendant qu'il faisait son speech, je suis passé derrière lui tout doucement et je lui ai balancé mon bras après l'avoir enflammé.


Je sais pas pourquoi, mais je suis sûr qu'il savait que j'étais derrière lui. Il a encaissé le coup sans broncher et à continué à parler. Face à lui, Sonia était morte de trouille, mais n'en laissait rien paraître, ou alors le minimum.


J'ai essayé de le frapper de différentes façons, certaines d'entre elles assez spectaculaires, mais il ne bougeait toujours pas, et je commençais à sérieusement me faire mal aux mains et aux pieds.


- Du calme, toi.


Il m'a repoussé d'un revers de la main qui m'a déménagé les entrailles et je me suis effondré comme un cake aux cerises sur la banquette du tram.


J'ai entendu des voix floues au loin, puis un " DÉGAGE !!!" tonitruant de Sonia.



Le tram a tremblé. J'ai entendu un cri d'homme, et un rire de femme sangloté. J'ai senti qu'on prenait deux virages, entendu une voix de femme, vu le visage de Sonia pendant une demie-seconde qui s'est imprimée sur mes yeux, pensé à Solenne, et je me suis éteint dans le néant.









Dimanche 16 avril 2017 à 4:37

 

 



J'ai repris conscience allongé sur un banc d'arrêt de tram avec un mal de dos terrible et des souvenirs flous.

- Contente de te retrouver parmi nous, m'accueilla Sonia.

- Combien de temps je-

- Pas beaucoup. Dix à vingt minutes, je dirais. Pas plus.

- Comment tu -

- J'en sais rien. Moi aussi j'ai fait un blackout. Tu payes ta clope ?

- Attends, laisse-moi le temps de-

Sa main glissa dans la poche intérieure de ma veste et en dégaina mon paquet pour se servir. Elle eut la décence de m'en caler une entre les lèvres avant de me tendre la main pour m'aider à me lever.

- Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait croire qu'on est juste deux paumés à la fin d'une soirée trop arrosée qui a débouché sur un after de la lose, lâchai-je.

- D'imagination, tu veux dire.

 

La nuit semblait éternelle. Depuis le concert où le temps s'était vraisemblablement arrêté, elle ne sous avait pas lâchés. Parfois brumeuse dans les nuages, parfois presque douce, d'autres fois encore noire comme les cendres qui tombaient de nos cigarettes, mais toujours omniprésente. Une de ces nuits séduisantes de début de soirée d'hiver avec pourtant la chaleur de l'été, une nuit versatile et têtue.

Ma tête tournait encore un peu et ça me faisait mal, mais je reconnaissais où on était. J'ai fini par me lever.

- Tu m'en repayes une, bro ?


Un silence. J'ai été gentil. De la fumée hors de nos bouches.

- T'as peur.

- J'en sais rien. 

- Essaie pas de me mentir, monsieur le bassiste flamboyant qui fume cigarette sur cigarette tant son niveau de stress crève le plafond, sourit-elle violemment.

- Je suis sincère. Je crois que ce feu, c'est ce que sont devenues mes émotions. C'est la seule chose que je ressens.

- Et quand il est pas là, tu ressens quoi ? Rien ?

- C'est ça, rien. Je crois. Presque. Mais ça date pas d'aujourd'hui. 

Je me suis confié à une poubelle. Et à un mégot en l'air qui tombait dedans.

- Tu sais, ça va pas te tuer de faire trois pas pour jeter ta clope, lui ai-je lâché. Y'a des moyens plus normaux de le faire.

Elle a éclaté de rire.

- Normaux ? Normaux ?? Tu te fous de moi ? J'ai pas de leçons à recevoir d'un mec qui s'allume des clopes avec le doigt.

Je l'ai fermée. Elle avait pas tort. Le changement post-fin du monde avait mis à mal les lois de la physique. Et d'autres, aussi. C'est presque comme si j'étais vide. Comme si ce feu censurait mes sentiments en les exprimant paradoxalement, à leur inverse, en quelque sorte. Le mal de tête se relogea tranquillement.

- On fait quoi, maintenant ? On va s'promener ? ai-je lancé d'un ton sarcastique. 

Peut-être est-ce comme ça que se manifeste ma peur. Le monde semble menaçant. Les gens qui ont écrit des bouquins sur la confiance en la vie ne sont jamais venus ici. Si c'était le cas ils auraient prié Dieu et Satan en même temps, histoire de maximiser leurs chances que quelqu'un les sorte de là.

- Bonne idée, ça fait un moment que j'ai pas mis les pieds ici. 

Sur cette réponse surprenante de normalité, on a commencé à marcher. 

- Tu sais quoi ? On est dans la merde. 

J'ai serré les dents et gardé le silence.

- Non, mais vraiment, regarde-nous.. J'ai un pouvoir à la con et tu peux rien faire aux bestioles qui viennent pour moi.

On avait compris la même chose. Les joies du langage sans paroles.

- Qui a décrété ça ? C'est pas parce que je me suis fait étaler tout à l'heure que ce sera pareil la prochaine fois.

- T'es mince. Moins qu'avant mais t'es mince. T'as peut-être été salement badass tout à l'heure mais t'as encore du boulot avant de pouvoir te la jouer superhéros à plein temps.

Je me suis tu un certain de temps avant de lâcher la phrase qui s'était imposée à mon esprit :

- C'est en train de me bouffer.

- Ca va aller, frangin. Tu t'es débrouillé comme un chef à la cafet. Sans mauvais jeu de mots, j'ai même envie de te dire que pour le coup t'as fait le café. Badass, je te dis.

- Justement. C'est trop pour moi. Je pense pas pouvoir le supporter. Je sens que ça prend de l'ampleur et à un moment ça deviendra plus fort que moi. Il faut pas que je m'en serve. 

- Je suis pas d'accord. Ca te va bien, de jouer au héros.

J'ai ignoré le "merci" que je lui devais pour ça. Le sourire n'est pas sorti non plus. Tout ce que j'ai réussi à lui produire c'était un :

- Il venait pour moi. 

- Ca lui a pas empêché de me péter une colonne sur la gueule.

Ils avaient vraiment besoin de nous faire l'intérieur de la cafet façon temple grec ?

- Le tien a pas été cool avec moi non plus.

- Chacun son tour de se faire casser la gueule.

- Ouais. J'imagine que t'as dû bien gérer avec le géant de pierre, quoi que t'en dises.


- Tu te fous de moi ?

- Même pas.

- Ouais, c'est ça. Et là tu vas me sortir un truc du genre "on se sépare, on marche chacun de notre côté, et on verra bien la suite". Je pourrais l'accepter, ça t'apprendrait. Mais je suis sûre qu'on finirait par se retomber dessus.

- So, t'es lourde...

- Quoi, j'suis lourde ??!! a-t-elle explosé. Ose me dire que j'ai tort !

Au même moment, une masse dans un manteau s'est jetée sur elle, que j'ai eu le réflexe de pousser pour me retrouver par terre à sa place, bloqué par un type avec un masque et une capuche par-dessus. Son manteau était blanc d'un côté et noir de l'autre. Son masque immaculé rappellait les fêtes de Venise. Le plus étonnant était que ce dernier n'avait rien de ridicule, même avec ses rayures asymétriques, le tout surplombant un manteau à capuche bichromatique. Difficile de savoir si ce n'était pas son vrai visage.

- C'est vrai, t'es qui pour me dire ce que j'pense et ce que j'vais dire ? lançai-je à Sonia

- Une voyante ?? criai-je en repoussant le clown de toutes mes forces, les flammes roulant le long de mes bras.

- Je te connais, c'est tout ! répliqua Sonia, posée tranquillement dans le coin, alors que je commençais à tatanner le mec en face.

- La seule personne qui me connaît est pas ici ! criai-je en frappant le clown d'un grand coup de basse brûlante. Et je sais même pas si elle est toujours vivante ! hurlai-je, la rage montant avec les larmes.


Emotions de retour. Feu plus puissant. Perds le contrôle. 


- Regarde ton téléphone, elle a peut-être essayé de t'appeller ! 


Calme revient l'espace d'un instant.


- Ah ouais, pas con. 


Me prends un coup dans le ventre, souffle coupé. Relève la tête, mes cervicales craquent bien fort quand la droite me claque contre la joue.

Les os brûlent. Ce ne sont plus que du feu. L'impression que ma tête va se décrocher. Rush de sang dans coeur affollé. Pression artérielle façon Mont Everest. Ma première rencontre avec Solenne. L'odeur des chichis sur la plage. Le goût de ses lèvres. Le bonheur à l'épreuve du temps pète la gueule au quotidien. Vie qui valait le coup. 

CRAC. La chaleur dans mon cou n'est plus qu'un vague impression. Le feu n'est plus que sur mes bras et mes jambes. Les cervicales se sont replacées toutes seules. Impression d'être passé à deux doigts de mourir. Calme revient en même temps que coeur explosif baisse son rythme. 

Je me sens invincible. Je suis le feu. Je peux tout raser sur mon passage ou juste m'allumer une clope. Intérêt à bien me maîtriser.

Je pars dans des figures acrobatiques, dans le genre "je saute dans tous les sens la tête en bas et prends ça dans la face", le feu venant rajouter de l'effet. 

Comme le feu, je brûle partout où il y a de l'oxygène. Disparais d'un endroit pour réapparaître à un autre. Plus limité à la terre ferme. J'ai eu une sacrée peur, j'ai même cru y passer, mais là, maintenant, je suis plus fort que jamais. J'ai de quoi péter la gueule de tous les sales mômes qui rackettent les plus petits à la sortie des écoles. Et je crois être assez lucide pour savoir à quel point il m'est important de me maîtriser. 

Je disparais et rapparais au-dessus du clown. Enorme coup de basse enflammée qu'il évite au dernier moment. Je commence à fatiguer.

- DAN, ARRETE DE FAIRE LE CON BORDEL !!!

- T'es marrante, toi... soufflai-je. J'aimerais bien t'y voir.

- Tu sais que c'est pas sympa d'ignorer son adversaire ? 

C'est le masque qui avait dit ça. J'ai pas vu si ses lèvres avaient bougé, j'avais l'oeil sur Sonia. Je me suis retourné vers lui.

-Tu sais que c'est pas sympa de sauter à la tronche des gens ?

- Rah, c'est pas faux, dit-il en secouant la tête de dépit. J'ai toujours pas pu voir ses lèvres. " 'Chier, je vais devoir trouver un autre argument..."


Spatch. Spatch. Splatch. Plaf. Tête. Ventre. Epaule. Tombe en arrière. Replace mes os façon feu de cheminée en hiver. D'ailleurs je tremble. Pas de froid.

Il frappe là où le feu ne brûle pas, ou en tous cas pas encore. Douleur paradoxale. Supportable mais pas similaire à celle de l'ancien réel. Rage toujours présente, devient plus forte. Des coups de basse brûlants, plus de fatigue. Je ne suis plus qu'une bête de feu alimentée à l'adrénaline et qui frappe sans relâche un adversaire qui me tient tête sans problème. 

Il lève la main au ciel et une espèce d'épée très large, noire & blanche elle aussi, lui tombe entre les doigts. Mouvement agile du poignet, redresse, me contre. S'il me pête une corde, je lui arrache la face. Intérêt à pas me faire toucher. S'il me pourrit mon sweat, ça fera désordre. Censurer les pensées Soleniennes. Rester concentré. Je suis humain après tout. 

J'entends plus Sonia. Après vérification, toujours posée là, se contente de regarder d'un air un peu détaché. Me reprends un coup à l'épaule. Très fort. A mon grand étonnement, pas de sang. Le calme revient encore. Il lâche son arme, le métal conduit la chaleur, il s'est brûlé, malgré les gants qu'il porte et que je n'avais pas encore remarqués. Je vous dis pas la couleur, vous devinerez tout seuls.

Je doute que son drôle de costume le protège de grand-chose. Je charge les yeux grands ouverts, le feu concentré sur ma basse et mes bras. Il est de nouveau en garde. Respiration lente. Au dernier moment, il lâche son arme et m'attrape le visage en encaissant le coup enflammé que je lui mets. On a roulé. Cette fois c'est moi qui le maintenais plaqué au sol.

- Même pas mal.


C'était pas un masque, c'était son vrai visage. Sauf si un masque peut sourire, ce qui me surprendrait pas tant que ça.




 


Dimanche 16 avril 2017 à 4:38

 J'ai rouvert les yeux dans le noir le plus total. Battements de mon coeur à cent à l'heure m'indiquent que je suis pas morte. Des lignes brillent devant moi. Mes fesses me font mal, mais pas comme si j'étais tombée dessus, plus comme si j'avais été très longtemps dans cette position étrange, les jambes repliées telle une yogi endormie en pleine méditation dont le corps détendu la ferait ressembler à une poupée de chiffon. Dépressive.  


Je ne comprends rien. Ni comment je suis arrivée là, ni de quelle façon je suis toujours vivante, par contre j'ai une théorie sacrément probable concernant les lignes brillantes en face de moi : Des barreaux. 

Merci pour la métaphore de mise en scène incroyable, celle-là ça fait environ deux siècles qu'on la fait plus. 

 

Il fait totalement noir mais il doit forcément y avoir une source de lumière pour que ces foutus barreaux brillent. 

Pour l'heure, je me repère au toucher. Le sol est pavé, exactement comme la rue de Prima Cordes. Ce pavage à l'arrache qui donne tout son charme surranné aux rues de la vieille ville de Boredom City. Mais dès que je fais courir mes mains sur les murs autour de moi, je ne peux nier l'impression de me trouver dans un ascenseur immobile. 

Pour ce qui est des trois murs, en tous cas. En face, c'est toujours ces foutus barreaux qui m'empêchent de sortir. Trop serrés même pour ma taille de guêpe. 

Bon, ok, je suis peut-être un peu trop pulpeuse pour ces barreaux, mais ça indique peut-être un truc intéressant : Ils ont été faits pour moi, sur mesure. Non, vraiment, il aurait suffit que j'aie juste un peu moins de fesses et de seins et je passais facile. Et là j'vous la coupe, normalement, surtout si vous vous étiez fait une vision distordue de moi. J'ai beau être encore sous le choc, je connais les règles.

Donc. Une cage d'ascenseur -Oh putain le sens littéral, sérieusement ? - avec des barreaux, donc, et aucun foutu bouton nulle part (J'ai dégainé mon téléphone-lampe-de-poche pour vérifier et c'était pas nécéssaire.). Barreaux qui brillent, mais aucune foutue source de lumière. La cage semble être au beau millieu de la rue (ce qui n'a aucun sens, on est bien d'accord), et ladite rue n'émet absolument pas le moindre foutu photon.

Oh merde.

Oh bordel.

Je crois que j'ai compris.

Je regarde de haut en bas les barreaux luisant d'un éclat jaune et la lumière vacille. Quand je compris, l'éclat se fit bleu.

J'ai frissonné et sorti mon portable. Retourné, car sa coque supermate fait un excellent miroir.  

"Mais Solenne, ma chérie, comment peux-tu te mirer alors qu'il n'y a que si peu de lumière ici et que nous, pauvres lecteurs, n'en connaissons toujours pas la source ?"

Alors déjà tu ne m'appelles pas ma chérie, on a pas fait pousser des rhododendrons ni misé au marché noir ensemble, en plus ça me fait penser à Dan et il est la dernière personne, je dis bien la DERNIERE PERSONNE à laquelle j'ai envie de penser maintenant, parce que je suis déjà assez en colère contre moi-même comme ça et j'ai pas besoin qu'on me renvoit mes mensonges à la figure. D'autant que lesdits mensonges, aussi éthiquement questionnables soient-ils, étaient totalement légitimes. Je n'ai pas menti sur le principal.

BREF. Au lieu de m'énerver, cher lecteur, laisse-moi t'expliquer pourquoi la coque de mon téléphone fait un excellent miroir et pourquoi la réfraction lumineuse des barreaux a changé de couleur à l'instant où j'ai compris d'où venait la source de la lumière : Moi. Mes yeux, plus particulièrement. 

Un coup de vent me caresse le visage et passe entre mes cheveux. Éclair et coup de tonnerre derrière les barreaux. J'ai timidement tendu la main en m'approchant des barreaux. Ils ont ployé. 
J'ai froncé les sourcils et ils se sont pliés en deux. Levé ma main gauche pour la mettre au niveau de la droite, serré les poings en faisant un arc de cercle et j'ai à moitié éventré l'ascenseur de la métaphore lourdingue, dont je suis sortie avec grâce et légèreté, comme portée par un souffle de vent.

Je suis une délicate et féminine petite fleur badass. Une fleur dont le corps parcouru d'électricité lui donne un côté lumineux, radieux, telle un soleil.

Un éclair déchire le ciel et la pluie tombe, douce et fine. Frâche, douce. Agréable. Je lève la tête et ferme les yeux pour la ressentir pleinement. 

Ca a si bien marché que la pluie fine s'est transformée en déluge et que le tonnerre s'est abattu partout autour de moi. J'ouvre les yeux, dressée face à ma propre tempête, cette partie de moi qui vient seulement de se libérer et ne demande qu'à être canalisée. Mais je n'y arrive pas, et puis de toute façon c'est beaucoup trop jouissif. Je fracasse les fenêtres des immeubles alentour d'un éclair de jubilation formant un arc tout autour de moi. Maintenant je suis à la hauteur. Maintenant je peux le faire. NOUS pouvons le faire.

Un autre éclair s'abat au loin devant moi et je le rejoins aussitôt. J'étais devenue plus que le vent, la foudre, la tempête. La pluie a cessé.

 


Dimanche 16 avril 2017 à 4:48

Hey yo. Voici le chapitre 24, people. Alors heu... s'tu veux c'un chap' stylé, tu vois... heu sa particularité en fait, c'est qu'il est.. ben il mélange les genres, tu vas voir, c'carrément révolutionnaire... genre la Terre qui tourne autour du Soleil. C'était révolutionnaire quand elle a décidé que ce serait plus le Soleil qui lui tournerait autour, gros. Ben mec ce chap' c'est la même, y'a d'l'action, y'a d'la philo (et j't'avoue j'ai pas tout compris, mais tu respectes, hein ? D'ailleurs le respect naît aux obsèques des Légo, t'inquiète) et y'a d'la meuf. Enfin, y'en a qu'une, mais elle est boooonne, alors on lui pardonne quoi. Heu après bon, t'sais, moi jsuis pas dans la teuté de l'auteur, yo, donc je sais pas trop c'qu'il a voulu dire. Mais c'est cool si tu lis quand même. 

Kayman la Racaille.



Alors installe-toi, mets du son, et rentre dans ce 24ème chapitre qu'honnêtement je ne trouve pas terrible. J'ai d'ailleurs lâchement cherché à le rendre plus fun en faisant intervenir mon jeune de banlieue préféré dans la présentation paratextuelle. Je vous promets des chapitres bien meilleurs pour la suite. Rassurez-vous, celui là est assez court, il doit durer 2-3 chansons maximum. Quelques éléments nouveaux, des (rares) clins d'oeil, pas d'humour (mais alors pas du tout), et une sale impression de "chapitre de remplissage" qui devrait vous coller au corps. Les prochains seront bien meilleurs, c'est promis.



Mektoub.

___________________________________________________________________________________________________________________________________


Le masque sourait. Je l'ai ignoré et me suis retourné vers Sonia. 

- Tu veux aller de quel côté ?

- Il me semble qu'il y a une arche, pas loin. On a qu'à y aller, ça nous fera bouger.


J'ai jamais compris ce genre d'intérêt que peuvent avoir les gens pour tout ce qui a trait à l'architecture. 


- Vous avez rien remarqué de bizarre ?


- Si. Tout. 

La voix de Sonia aurait gelé un volcan. Cette fille est flippante, parfois.

- Si tu savais, jeune fille... Si seulement tu savais... Un indice... y'a pas plus d'absurdité que de voitures ici.


J'ai arrêté de marcher. Ca m'a coûté cher en humilité d'admettre qu'il avait raison. Pas de voitures. Le seul véhicule que j'aie croisé depuis que j'suis dans ce monde, c'est un tram fantôme. Absurdité = absence de sens. Donc si le clown dit vrai, y'a bien un sens à tout ça. Reste à voir lequel.


- Bon, les jeunes. Je vais pas y aller par 4 chemins, ok ? On a tout le temps qu'on veut, ici, mais j'aime pas attendre. Qu'est-ce que vous savez de ce monde ?


Sonia a résumé. Les pouvoirs, les monstres, ceux qu'on peut pas test, l'ambiance, en gros tout ce qui contribuait à cette foutue impression d'être dans un remake merdique d'X-Men au pays des films d'horreur des années 2000-2010.
Je fais que la citer, hein.

- C'est tout ? s'est étonné Mr Noir & Blanc.

- Ben oui, c'est tout. T'espérais quoi, qu'on trouve le sens de la vie ?

- Vous avez rien remarqué d'autre ? Raah, mais c'est pas vrai, bande de losers...

Je lui ai foutu un coup de basse qu'il a évité au dernier moment et sans problème.

- Mollo, Dannie, mollo... Un analyste garde son sang-froid, non ?

- Facile à dire quand tu brûles pas.

- Putain d'Karma, il avait prévu ça aussi.

J'ai pas relevé. J'aurais dû et je le sentais, mais pour moi il crânait, rien d'autre.


- Ton feu, c'est tes sentiments, pas vrai ? ca anesthésie les 3/4 de ton cerveau, non ?


Il m'a coupé le souffle. Comment il savait ?


- Même le meilleur des analystes a besoin d'une personne pour confronter ses hypothèses et ses arguments. Seul, il ne repose plus que sur sa propre conviction. 

- Tu commences à me soûler, le clown.

- Ta gueule et écoute. C'est pas parce que tu m'as eu une fois que je suis forcément incapable de te foutre une râclée.


Le regard de Sonia s'était pas réchauffé. Ca m'a fait l'écouter.


- T'as même pas remarqué que j't'ai appelé par ton surnom, tout à l'heure. Mais bref, on s'en fout. Sonia, une amie perdue de vue depuis des années, que tu retrouves justement grâce à la fin du monde. Ensuite, Solenne qui disparaît. Kepa qui rencontre un collègue. Seb qui foire son suicide. Mais tout ça vous le savez pas, je vous mets juste à la page pour gagner du temps.
Ce que je veux dire, c'est qu'avant de retrouver ta demoiselle, t'as des trucs à régler avec celle-là, assenna-t-il en désignant Sonia du menton.


Il nous a volé notre souffle à tous les deux.


- Vous étiez censés trouver une explication à tout ce bordel. Mettre tout ça en ordre. Mais vous avez rien fait !


Il avait pas l'air content. Et moi, avec mes super-pouvoirs et ma basse incassable, je me sentais sacrément con.


- Je voulais pas qu'il s'y mette. Quand il commence à penser, rien peut l'arrêter. Après il se torture tout seul avec ses hypothèses, il va trouver plein de trucs, avoir raison, puis douter d'avoir raison, avant de se reprendre la tête et de tout reprendre à zéro. Dan, c'est un malade, faut pas croire.


- Sympa. J'avoue que tout ça était vrai y'a deux ans. Mais depuis...

- Mais qu'est-ce que tu veux qu'il pense si on le transforme en bête sauvage qui raisonne plus que par association d'idées ? m'a coupé le bicolore en se dirigeant furieux vers Sonia. D'accord, c'est parfois utile, mais là il nous faut un truc plus complexe, merde !


- Dieu existe, ai-je lâché, les yeux dans le vague. Seule explication. Sonia et moi, on s'est retrouvés pour une raison.Son pouvoir la tient hors de danger. Le mien affronte ce danger. Mais si c'est ça, ça implique que Dieu est mysogyne. Or Il est supposé n'être qu'amour. Donc soit Dieu n'est pas Dieu, soit ces pouvoirs sont des expressions de quelque chose par rapport à nous-mêmes. Ou les deux à la fois.

- Et ben voilà ! Tu vois quand tu veux ! Au fait, dit-il tout bas en se rapprochant de moi, Sonia et Solenne se ressemblent pas mal, mais chuuut, c'est notre secreet...


La première mentionnée gardait le silence, la tête dans les mains, prostrée sur les briques rondes et larges de la rue piétonne.

Elle explosa d'un seul coup, moitié choquée, moitié hors d'elle. 

- Mais t'es qui, toi ? Et de quel droit tu nous dis ça ?

- Aucun, j'ai pas le droit. Mais en le faisant, ça ira plus vite. J'vais devoir y aller. Dannie, essaie d'appliquer ton raisonnement sur les monstres, pour voir ! me lança notre étrange pote avant de disparaître.



J'ai pris Sonia dans mes bras. Je suis loin d'être un héros, mais je crois que j'ai enfin compris.








<< Page précédente | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | Page suivante >>

Créer un podcast