Jeudi 1er mars 2012 à 1:13


Bon alors, comment on arrête ce machin ? Tentons le gros coup de sourd de haut en bas sur la tête.

- Accroche-toi, j'te promets rien.

Là, un peu de doute et d'appréhension saupoudrent les yeux de Lola.

Le canidé dragonoïde sans ailes mais aux dents longues réagit mieux que prévu. Il s'affaisse de tout son poids et s'effondre dans la rue avec tout le fracas que ça suppose. Des morceaux de pavés volent un peu partout autour de nous, autour de moi pendant mon vol plané, aussi. J'ai été éjecté deux mètres plus loin, ma lame s'est plantée en premier -avec moi toujours au bout- et j'ai eu l'air super fin l'espace d'une seconde ou trois.

Lola, elle, est descendue tranquillement.

Hé ben pour la scène classe, on repassera. Mon quart d'heure de gloire est pas pour maintenant.

- Bon ben voilà, c'est là, bredouillai-je, un peu gêné, voire humilié.

Elle s'est approchée de moi, m'a caressé le visage en murmurant "T'es adorable". Elle m'a embrassé et on a rapidement été interrompus par un râle.

Et merde. Volte-face, vite. Non, pas comme le film. Récupérer l'épée lourde et se mettre en garde en le moins de temps possible.

Lola m'avait couvert avec ses gros sorts de bourrine. Eclats noirs et violacés en HD 16/9. Les projectiles de tout à l'heure étaient des croquettes pour chat à côté. Ca lui a collé une branlée qui l'a envoyé sur le Krakatoa à plat dos. Des morceaux de béton de tailles variées s'écrasent un peu partout. La parodie de King Kong aurait pu être plus subtile.

Amas de rage et de frustration, le béhémoth a chargé. J'ai à peine eu le temps d'enserrer Lola dans mes bras pour la protéger que mon corps fit l'expérience de la rotation à 360° à grande vitesse. L'entropie n'est plus très loin, ça devrait faire marrer Dan, tiens.

Pas le temps de réfléchir davantage, deux secondes plus tard, mon dos prend de quoi te sortir une thèse empirique sur la dangerosité des portes de bar.

Lundi 12 mars 2012 à 0:33



Soda a levé un sourcil et j'ai mis deux cigarettes dans ma bouche. Le bruit de flamme a été assourdi par le fracas des portes du bar. Un gigantesque monstre ruminant de colère coupait toute retraite. Epique. Kepa et une fille que j'ai cru reconnaître comme Lola - pas évident dans la poussière et les copeaux de bois encore en lente lévitation - étaient étalés dans un coin.

Me suis approché de mon meilleur ami et lui ai posé la clope dans ses lèvres entrouvertes. La rage montait.

- On est pas dans un film de gangsters, grognai-je, alors tu vas pas mourir.


Il a souri, le visage en sang. Nos bras se sont agrippés et je l'ai levé. Vive le nouveau monde, avant j'en étais difficilement capable. On a tiré sur notre clope en silence et en même temps, comme des frères face à l'adversité. 

Personne ne parlait. Personne n'avait l'air très étonné non plus. Lenne a brûlé quand la rage a déferlé en moi, vannes grandes ouvertes par sais pas trop quoi, probablement cumul d'incompréhensions et douleurs, surtout au moment où Solenne allait enfin tout m'expliquer. 
Putain d'injustice. Pensées tournent, reviennent, tournoient, virevoltent, moquent, frappent, lacèrent, rient, retournent, transpercent, jouissent. Les effacer. Les cramer. Brûler l'illusion de la pensée. Plus de contrôle.

Kepa et moi nous sommes jetés sur la créature comme un seul homme. 

Les comptes ont été réglés rapidement. C'était quand même quelque chose de le voir dans une situation pareille. Rien à voir avec le Kepa que j'ai toujours connu. Fort, stoïque, sans peur. Impressionnant. 

On a frappé, on a tranché, on a fauché. 
Le monstre torché s'est effondré sur le côté sans presqu'avoir pu nous toucher. Tout ça me paraît foutrement arrangé. Yeah.

Et Kepa bien trop fort. J'ai eu l'impression de savoir rien faire, et d'avoir servi à rien ce coup-ci. J'ai donc fait une roue de feu, pour la peine, la forme et le style. C'est qu'après que je me suis rendu compte que c'était ridicule. Les regards blasés des autres ont aidé.

En silence, Neto est allé remplir d'autres bières, et on s'est tous assis à la même table.

Plus de tensions, pour le moment en tous cas. Juste l'harmonie et la paix.

Solenne a fini par briser le silence.

- Il faut qu'on parle. Il faut que je vous parle à tous.


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Les vagues de l'univers bercent ma conscience à mesure que je voyage. Je pense à eux, je sais qu'ils pensent aussi à moi, la seule chose qui me manque vraiment c'est ma guitare. Je sais pas où je l'ai laissée.

A tous les coups elle est encore sur scène, mais quelle scène ? J'ai déjà vu plusieurs réalités, contenant chacune leur propre version du Krakatoa, parfois vide, parfois plus ou moins remplie par des groupes de gens, dont certains qui me rappelaient vaguement quelque chose. Je voyais de la peur, de la perte, de l'errance, mais aussi de la joie, de l'espoir, de la foi.

Je voyage à travers des strates superposées, toutes aussi réelles les unes que les autres. Je m'infiltre, j'observe sans un mot. 
Rien à dire de plus beau que le silence, je me contente de suivre le flux de mes pensées, et c'est ce que vous êtes en train de lire.

"La fin du monde était la bénédiction que tout le monde attendait."

Cette phrase s'imprime dans ma tête sans que je puisse savoir d'où elle vient.

Je suis invisible, plus léger que l'air, en suspension dans le vide, en ascension ou en apensanteur ou en n'importe quel autre terme qui résume au moins à peu près ça. En tous cas j'en ai toujours rêvé. J'observe tout en me demandant si je peux agir, et comment, et cette idée me fait sourire.

Puissant.

Jouissif.

J'entends des voix dans les vagues, les voiles, les couches d'énergie qui ondulent un peu partout au-dessus et autour de moi. Pas l'ombre d'une peur. 

Le mot "artefact" est dans ma tête depuis le début et n'en ressort pas. Je sais pas pourquoi je fais ça, mais je veux le faire, et j'irai jusqu'au bout. Je veux retrouver la guitare que j'avais ce soir-là.

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La copine du bassiste chaud des burnes a pris la parole. Elle s'est mise à développer des concepts tordus qui pourraient bien sortir des bouquins des Témoins de Jéhovah.

La tête dans les mains, je me force à la fermer. C'est pas le moment de foutre (encore) la merde. 
Remarque mon pote, avec tout ce qui s'est passé depuis que je te raconte mon histoire, elle aurait raison que ça me paraîtrait presque logique.

Bordel.

Gorgée de bière salvatrice. Dan, passe-moi ton doigt, je veux fumer.

Il me faudra deux minutes pour transformer la pensée en paroles. Une peur me vrille le ventre et ma main au cul d'Allumette-Man qu'elle est pas irrationnelle.

Solenne -car apparemment c'est son nom- venait de sortir que la fin du monde avait été prévue depuis ce qu'on considère comme des années.
Des dizaines d'années, peut-être. Que si on était là, que si on EN était là, c'était le destin.

J'ai fini par réussir à desserrer les dents.

- Dan, passe-moi ton doigt, j'ai envie de fumer.

- Je réagis assez mal aux ordres, Brad Pitt. Apprends le respect, ça peut servir, grogna-t-il.

- Woh, du calme, mon grand. J'ai pas insulté ta mère.

Un poing a tapé sur la table et on a tous les deux eu droit à une décharge électrique right to the bide.

Dan m'a tendu son majeur-briquet en tirant la tronche. One again, dude !

- Merci, mon pote.

Il s'est un peu détendu. D'habitude les gens réagissent rarement comme ça. 

- Alors, miss, c'est quoi notre destin ?

- De le trouver. J'en sais pas plus.

- RAAAAH ! Génial ! 

La plupart des autres a râlé avec moi, Dan y compris.

Le démon rayé, Soda de son prénom, si j'ai bien suivi, ne disait rien. Sonia non plus, et le beau gosse ténébreux aux ailes d'ange optionnelles et intermittentes, pas mieux.

- T'as pas plus sybillin ? a-t-il fini par dire.

- Parce que bon, t'encules un peu les mouches en plein vol, là, lâchai-je en écho.

- Je fais que résumer un bouquin que j'ai pas écrit, a-t-elle répondu d'une voix douce mais tranchante. (Je te laisse imaginer le rendu.) Si tu crois que j'en sais plus que toi, tu te fous le coude dans l'oeil jusqu'au doigt.

- Non, c'est l'inverse en fait.

Dan, c'est pas le moment de la ramener...

- JE DIS COMME JE VEUX ET TU COMMENCES PAS !

Qu'est-ce que je disais ?

- Et voilà, manquait plus que ça. L'engueulade d'amoureux sur fond de fin du monde. Et les autres, là, mais dites quelque chose, bordel ! 

- On te laisse parler, t'as l'air inspiré.

Sonia. Sale pute, tu viens de me perforer l'estomac.

J'ai descendu le reste de ma bière

- Vous connaissez pas votre chance, les gars, ai-je dit en les regardant droit dans les yeux et en bloquant de la main gauche la baffe prévisible de Sonia. 
Faut arrêter de croire que tout ce que je dis est méchant et vicieux, ajoutai-je à son encontre. Comme l'a dit la brune électrique tout à l'heure, c'est pas en se foutant sur la gueule qu'on arrivera à quelque chose. Si on veut avancer, on doit d'abord grandir. Ca marchait déjà comme ça dans le réel, mais on a tous fait de la merde, et le destin a décidé de ça, lâchai-je avec un grand geste embrassant la pièce, et par extension, notre nouvelle réalité. Parce qu'il y a un destin, et jveux bien le croire si ça sort de la bouche d'une fille qui a dans les tripes assez d'énergie pour t'alimenter une ville jour et nuit. Et puis bon, c'est pas comme si y'avait qu'elle, hein. (En continuant à parler, je suis allé me resservir une bière.) Ca veut dire que chaque chose qu'on a vécue, chaque choix qu'on a fait, chaque décision prise, subie ou respectée, a contribué à nous amener ici. 

-J'crois que la façon dont elle l'a dit était mieux, a dit Mickey l'Ange. 

On l'a tous regardé sans rien dire.

- Croyez-moi et croyez-la, on est pas là pour rien, reprit-il. Sinon je serais mort.

Nouveau silence.

Soda a fini par prendre la parole. 

- Y'a du mieux les dromadaires, mais c'est pas encore totalement ça.

- Allez, maître Yoda, raconte-nous tout, lâchai-je.

- J'en ai déjà dit beaucoup à notre ami, dit-il en désignant le défonceur de portes du menton.

Il n'a rien dit. Il était crispé.

C'est Solenne qui a suivi.

- D'abord se trouver soi-même, pour pouvoir retrouver le monde ensuite. Pour ça va falloir se battre, se dépasser, et se donner sans compter. Comme dans la vie.  Mais je peux pas vous dire qu'on y arrivera à tous les coups.






Mardi 13 mars 2012 à 1:01

On était en train de débattre pour savoir ce qu'on allait faire quand un détail a attiré mon attention. Ma veste, en fait. A côté du bar.
Ce qu'elle fait là, aucune idée. Ni depuis quand elle y est. Mais c'est pas comme si l'étonnement faisait encore partie de mes capacités. Je me suis levé et m'en suis approché, un peu perplexe malgré tout. Tous les détails ont du sens, mais pour celui-ci, mystère. Mon coeur a loupé un battement et doublé le suivant. Il y avait marqué
FAITH sur le dos. Pas d'odeur de marqueur, évidemment, ça aurait été trop simple. En passant le doigt dessus, pas la moindre aspérité, comme si cette inscription avait toujours été là. Juste à côté de la veste, une boîte ambrée, en fer, marquée Australia. Mon coeur fait rondade-flip-salto arrière. Je la reconnais, elle appartient à Pierrot. Je l'ai souvent vu y ranger ses médiators ou des trucs moins légaux dont la morale judéo-chrétienne réprouve l'achat et la consommation. Bien envie de l'ouvrir, mais pour la première fois, je sens monter en moi la honte de n'avoir que finalement assez peu pensé à mon guitariste sans m'être réellement demandé s'il était pas là, quelque part dans cette strate. Tout se mélange et s'embrouille dans ma tête. Je frappe de toutes mes forces sur le bar, nique le comptoir et ma main avec. Le feu tourne un coup et me la remet en état en deux secondes. Nuque baissée. Fixe les débris qui traînent encore par terre. Je suis pathétique. En fait de superhéros, je suis qu'un loser égoïste avec des superpouvoirs qui me paraissent bien anecdotiques comparés au vide qui m'enserre de l'intérieur.

Je m'allume une clope et retourne ma tête vers les autres. Ils me regardent comme un monstre de foire. Suis presque en train de chialer, la boîte en fer tombée à mes pieds et ma veste dans la main.

Genoux à terre, tremblant que trop peu.
Prostré au sol, face à ma propre faiblesse, cendre de ma force aussi vite gagnée que perdue. Volutes de fumée dans l'air, parfum de tabac, de cèdre. Je relève les yeux pour croiser ceux de Solenne. Je voudrais y lire de la compréhension, mais j'y arrive pas. Je suis un enfant, comme l'amour. Juste au-dessus d'elle, un porte-manteau soutient un casque audio dont le propriétaire fait aucun doute. 

Je me suis levé pour aller le chercher. Une fois mis autour de mon cou, j'ai pris la parole.

- Je suis stupide, pathétique et ignorant, et je viens probablement de vous apparaître comme fou. Ou complètement con. Je dois me défaire de tout ça pour continuer avec vous, et pour ça, je dois retrouver Pierrot.

Je suis pas sûr que ce soit vraiment moi qui ai dit ça. Je suis pas sûr non plus que ce soit ma voix. Mais ce qui est dit est dit, devant les regards dubitatifs des autres.

- Peut-être qu'après ça, ajoutai-je en regardant Solenne droit dans les yeux, je pourrai m'estimer digne de toi.

Là, j'étais déjà un peu plus sûr que c'était moi qui parlais. 

Je me suis dirigé vers l'escalier, au milieu de la pièce. Mon esprit s'est éclairé, pas mal d'élements se sont mis en place, peut-être grâce à l'ambiance chaleureuse que les murs de bois poli donnaient au bar. Un p'tit effet "Chocolat chaud après le ski". Ou la pluie.

-C'est ici que j'ai revu Siko après la fin du monde. 

Et selon lui, Solenne sait beaucoup de choses. Forcément plus que ce qu'elle a déjà dit. Ca blesse. Mais je peux pas en parler. Pas maintenant. Me demande pas pourquoi mais je le sens.


Et j'ai repéré un changement dans l'expression de Soda.

- C'est aussi là qu'il m'a donné les fioles que Sonia a bues. Il y a des portes en haut. J'en ai utilisé une en arrivant ici. Vu que Soda persiste à rien nous dire, je pense que son rôle était de nous amener ici pour ouvrir ces portes et voir ce qu'il y a de l'autre côté.

- J'ai vu Siko, moi aussi.


La voix de Solenne me transperce le coeur en avant et en arrière. Jaloux ? Invraisemblable, ouais... 

- Où ça ? demandai-je, les jambes quand même un peu tremblantes. 

- Quand je suis entrée dans le miasme. Après que tu m'aies défigée.

Et soudain la sale sensation que j'étais parti pour regretter ça. 

- Je me suis retrouvée dans une autre strate et il était là. Un monstre est arrivé et on a pris cher. Je sais pas ce qu'il est devenu.

Okay, donc toi tu me caches encore plus de trucs que prévu.

- Et tes pouvoirs, tu les as eus quand ?

- Dan, on a pas de temps, dit calmement Seb. 

- Je veux savoir ! clamai-je bien fort, sans l'effet "caprice" que je m'imaginais à entendre sortir de ma voix. Des flammes commencent à parcourir mes bras et je sens quelque chose de nouveau monter en moi.
Garder le contrôle... Garder le contrôle, merde... Par dessus tout.

- Je les ai eus juste après, a-t-elle répondu sans s'énerver ni flipper. Le monstre m'a plongé dessus. Je te l'ai raconté, ça, en plus, quand on s'est retrouvés. J'ai cru mourir, j'ai fermé les yeux, et quand je les ai rouverts, j'étais dans une cage. Là, j'ai entendu de la musique, et j'ai fini par me rendre compte que je pouvais me la jouer transformateur EDF.

Une partie de moi la croit sur parole, une autre trouve que ça se tient, une troisième est pas du tout convaincue, et une quatrième pense qu'elle avait déjà ses pouvoirs dans le réel.

Raah, mais tuez-moi les kids.

Solenne s'est approchée et ses yeux ont rencontré les miens de la même manière que nos corps. Elle m'a enlacé doucement et donné un long baiser.

- Super, fin de l'épisode, tout le monde est content, envoyez le générique ! sarcasma Neto.

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Ouais, desfois il invente des verbes. Et si ça vous plaît pas il vous emmerde.

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- J'ai toujours cru que celui que vous appellez Siko existait que pour moi. Que c'était une création de mon esprit.

Tous les regards se sont tournés vers Seb. Il reprit.

- J'avais des visions assez apocalyptiques dans leur genre, depuis plusieurs années. Et ce type, en plus de me guider dans la vie assez régulièrement, me disait des trucs à propos de mes visions qui semblaient assez logiques.

- T'es un prophète, quoi, dit Sonia.

Là pour le coup y'avait de l'étonnement dans l'air. Seb parle rarement autant. 

- Vous voulez pas savoir ce qu'il s'est passé pour moi depuis la fin du monde, lâcha-t-il comme un écho à mes pensées.

Mes pensées qui me disent de plus en plus fort à quel point Solenne me ment.


- Bon, on ouvre la porte où on s'met une mine ? lança Neto d'une voix joyeuse mixée d'amertume.

- J'vais reprendre une bière... lâchai-je en laissant mes yeux traîner dans le vague.

J'ai bien l'impression tenace d'être le seul à pas tenir la route, ici. On est tous marqués par ce qui nous arrive, d'une certaine manière, même sans cette espèce de relativité émotionnelle qui semble régner ici, mais je me sens vraiment comme le faible et le sensible de la bande. J'ai envie de me laisser aller, mais c'est pas le moment. Conviction pour bloquer peur. Bloquer incertitudes, appréhensions aussi.
Un détail m'a traversé l'esprit.

- Personne est encore allé aux toilettes, vous avez remarqué ?

- Pas con, siffla Kepa entre ses lèvres qu'il avait pas desserrées depuis un moment, à part pour vider son verre.

- Vous venez d'arriver ou quoi ? s'est moquée Lola. Toutes les règles physiques sont complètement différentes ici.

C'est marrant, c'est la première fois qu'elle l'ouvre et j'ai déjà envie de la frapper. Rien n'a changé depuis le réel. 

Neto m'a devancé :

- Ca, merci, on sait. Mais si on va plus aux toilettes, comment tu veux qu'on évacue ? Soit on va tous mourir d'ici 3 jours, soit Dieu existe, ou au moins quelque chose qui y ressemble suffisamment pour modifier notre métabolisme.

Dieu existe. Cette inférence commence à se faire une place dans les esprits, on dirait. Personne ne l'a contredit. Et si y'a un endroit qui nous permettrait d'en avoir le coeur net, contre toute attente, c'est bien ici.

- J'ai bien envie de savoir, dis-je après avoir vidé mon verre et claqué son cul contre le bar.

Mon regard a balayé la pièce et les regards serrés de mes compagnons. Je me suis dirigé d'un pas aussi assuré que possible vers ma basse, l'ai sanglée sur mon dos et ai pris l'escalier. En haut m'attendait une porte marquée d'un étrange symbole.

- Et vous ? leur lançai-je depuis la mezzanine. Ca vous intéresse ?








Mardi 27 mars 2012 à 23:49

 

- Finalement ça te va pas si mal, le rôle de leader. Fais pas n'importe quoi, c'est tout ce que je te demande, a dit la fille à la voix un peu sèche. Et toi, tu viens avec nous, a-t-elle ajouté à l'attention du bellâtre au sabre assis à côté d'elle.

- Woh, Sonia ! Tu me surprends, là !

- Ta gueule et debout, Neto. C'est pas le moment de déconner, on sait pas ce qui nous attend.

- Ben justement ! C'est en sachant rire du pire qu'on peut y faire face.

Il a peut-être pas tort. Mais à mes yeux il reste qu'un psalmodieur de jolis mots pour jolies filles.

- N'importe quoi. T'as toujours été un lâche qui voulait se donner l'air cool. Mais au final, t'es qu'un crétin comme les autres. 

Qu'est-ce que je disais ? Je me suis tournée vers Kepa et lui ai sorti une phrase comme il aime.

- Allez, chéri, bouge tes jolies fesses et viens avec nous, on a un monde à sauver.

- Je réfléchis.

- Ouais hé ben c'est pas le moment, a claqué Neto. Y'a ton pote qui nous attend en haut. Seb, tu viens ?

- Ouais, a lâché le beau gosse ténébreux de peu de mots. Je vois pas quoi faire d'autre de toute façon.

- Lola ?

- Oui mon nounours ? Tu te mets à douter, comme ton ami ? Tu veux l'épouser et tu sais pas comment lui dire ? Pauvre chou, tu veux en parler ? 

Il a complètement ignoré ma super tirade (quoi, elle est pas géniale ?)

- Tu penses qu'il est possible qu'on soit morts ?

Le démon rayé qui apparemment s'appelle Soda a répondu à ma place, me laissant les lèvres ouvertes à gober le vide.

- Ne laisse pas une hypothèse prendre le pas sur toutes les autres sans avoir de bonnes raison de le faire.

- C'est ça. Voilà. Allez on y va. Attrape ton prolongement masculin et ramène ton boule.

- Mouais.

C'est un Kepa perplexe qui attrapa son énorme attribut sus-mentionné et rejoint Dan en haut des escaliers. Le temps qu'il se décide, Neto, Sonia et Sebastien y étaient déjà. L'espace d'une seconde, j'ai cru qu'il y avait un orage dans le bar. J'ai tourné vivement la tête pour m'aperçevoir que c'était seulement Solenne qui avait rejoint les autres à sa manière. Comment elle se la pète... ça lui réussit pas, la fin du monde.
Ca m'a énervée, du coup jsuis montée en traînant les pieds. Soda observait toujours, affalé sur sa chaise en bois. Il a fini par prendre la parole alors qu'on commençait un peu tous à transpirer des mains.

- Une fois la porte ouverte, vous n'aurez plus de repères. Vous serez dans une strate qui pourra correspondre à n'importe quoi. Passé, présent, futur, réalités alternatives, émotions et sentiments enfouis au plus profond de vous-mêmes... Je peux pas vous dire ce qui vous sera attribué. Vous ne serez peut-être même plus tous ensemble. Gardez à l'esprit que si c'est le cas, vous finirez tous par vous retrouver.

- Autre chose ? a demandé Kepa dont la mine se grisait à vue d'oeil.

- Croyez.



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J'ai ouvert la porte et une énorme spirale prismatique nous a tous aspirés. Du coin de l'oeil je vois Seb déployer ses ailes. C'est magnifique. Je tourne la tête alors qu'il me dépasse et commence à tracer de longues courbes, laissant des trainées multicolores derrière lui.

Génial et flippant, mais génial. Mais flippant. Tout dépend du point de vue. J'essaie de déclencher le feu pour faire la course avec lui, mais ça veut pas marcher. Je me crispe à m'en vriller le bide comme un soir alcoolisé, mais Solenne me devance, chevauchant ses propres éclairs. J'éclate de rire, et comme s'il n'avait toujours suffi que de ça, je brûle, mon amour à 4 cordes dans la main et rattrape les deux autres avec un sourire victorieux indélébile.

On s'élance, Solenne et moi, dans tous les sens, jouant de disparitions intermittentes pour gagner un peu de distance. 

Seb bat des ailes de plus en plus fort et on a du mal à test. Mais on tient le coup. 
Suite à une vrille, je capte brièvement les silhouettes des autres. Neto est devant, les filles et Kepa un peu derrière lui. Sonia est assise en tailleur, et Lola, j'arrive pas trop à la distinguer.

D'un seul coup, la spirale se courbe, se compresse, se détend et se ramasse sur elle-même. Je verrai plus jamais ma multi-effets comme avant.

Tout devient noir, puis blanc, puis noir. Mais pas le même que le premier. Y'a de la nuance. De plus en plus, en fait. Ca éclate, partout autour. S'impose. Il n'y a plus que ça. Les choses ont changé, littéralement. Un grand flash blanc. Je ressens ça dans mes tripes. 
Mes pieds rencontrent une surface dure et sans aspérités. Humide. L'air est chaud, agréable. Le monde commence à prendre forme et j'assiste émerveillé à la transition. On dirait bien que j'ai définitivement retrouvé mes émotions. 

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Sonia. Sa voix me sort doucement de ma torpeur. Les autres sont là, aussi. 

- On explore. On va bien finir par trouver pourquoi on est ici.

Solenne sort son téléphone. 

- Je crois que le temps est arrêté. 

- Sauf le respect que je dois à la lumière qu'est ta copine, je crois qu'elle débloque un peu, là, m'a dit Neto.

- Elle sait ce qu'elle fait, même si ça nous échappe. 

J'ai rien trouvé de mieux à dire, et j'ai compensé en le sortant d'un ton amer. Ca devrait plutôt être à elle de nous guider.

- Y'a des ruines, là-bas. On devrait aller voir, dis-je.

Personne n'a contesté, certains ont fait un semblant de hochement de tête. Aucun n'a fait remarquer qu'on ressemblait à des enfants aventurés dans un coin perdu et inconnu, en train de jouer à mener une enquête pour savoir ce qui s'était passé ici.

La lande épaisse qui nous entoure est pas super rassurante, malgré l'éclat blafard de la lune qui guide notre chemin.

Il fait de plus en plus sombre à mesure qu'on avance. Je me mets à brûler, en laissant des flammèches dans mes traces de pas.

On croise une cabine téléphonique orange et grise complètement vide alors qu'on marche depuis ce qui devrait ressembler à une demie-heure.

Pas de papiers sous vitre contentant les instructions d'urgence ni les numéros à appeler. Pas d'inscription trashy sur le mur ou les vitres. Le combiné n'a pas de tonalité. Kepa appuie sur les chiffres mais le téléphone parle pas davantage.

Un peu déroutés, on s'est remis à marcher. Je sens un mal qui rôde. Seb a les dents serrées et l'oeil alerte depuis un moment, lui aussi.
On s'enfonce dans une forêt. Il prend le relais pour ce qui est de la lumière. Des hululements se font entendre entre deux craquements d'arbres. Une sensation pesante s'abat. Comme si cette forêt voulait nous avaler. 
"Peut toujours essayer..." grogne une voix dans ma tête.

Je sors mon paquet de clopes de ma veste et m'en allume une, comme si ça pouvait me faire du bien. Neto et Sonia m'ont suivi. J'en ai payé une à Kepa. Solenne ne disait rien.

Le malaise s'écarte un peu de mes tripes mais pas de ma tête. 

On continue à marcher. 
Le ciel se noircit, un peu. Un peu. Le vent secoue les feuilles des arbres. Elles nous tombent dessus, tout doucement, en décrivant une forme régulière et dansante. 
Vivantes, conscientes. 

Mais rien ne se passe. On avance, encore et encore, jusqu'à ce que l'étrange sculpture naturelle animée soit hors de vue. 

On a quitté la forêt pour les cent derniers mètres de lande qui nous séparaient des ruines. On dirait celles d'un château.







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