Je sors d'un doublé boulot-muscu, et le soleil m'éclate la gueule. On se croirait en Arizona putain. Mon prochain pas pourrait me faire atterrir en plein désert que ça ne m'étonnerait même pas. J'ai toujours eu tendance à me défoncer physiquement quand j'ai la tête prise par des choses que je ne peux pas contrôler. J'ai toujours eu l'intime conviction que cette énergie que je mettais à la tâche résonnait avec quelque chose d'infiniment supérieur, et que c'était ça qui règlerait mes problèmes, en tous cas plus que des prises de tête stériles. J'aurai plus tard la confirmation que c'est un peu comme ça que ça marche, dans l'idée, mais que ça se complique pas mal dans les faits. J'ai sorti une clope et me suis posé à la terrasse d'un café, histoire de détendre mes muscles bandés.

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Putain ce qu'elle est gay cette phrase.

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Je me rappellais parfaitement de ce qui s'était passé avant mon retour ici. La fin du monde. Le plan éthéré. La capacité de voyager dans les strates. L'invisibilité. Les découvertes. L'ubiquité. Mes apparitions à Dan pour le guider. La recherche effrénée et frénétique de ma guitare. La grande supercherie de l'autre côté qui ne me rappelle que trop le monde de la politique si cher à notre univers de chair. La nécéssité d'être discret.


J'ai commandé une bière. En levant les yeux, j'ai vu une publicité pour un classique du jeu en ligne. "Devenez le Roi du Monde", scandait-elle. Ca m'est resté en tête et n'a fait que s'ajouter aux nombreuses questions qui me hantaient. Je vais quand même pas retourner faire des haltères... Je fais ça pour rester en forme, hein, pas pour épater la galerie. Je précise parce que j'attire un peu trop 
les regards à mon goût. Mais foutez-moi la paix, allez plutôt commander à boire...



Ma pinte est arrivée, je l'ai payée en sortant une clope, et quand le serveur partait et que ma main soulevait le verre pour l'apporter à mes lèvres, mon regard a recroisé la pub sur le volet déroulant. Je lui ai ri à la gueule en buvant ma gorgée de bière. C'est un souvenir. Rien qu'un souvenir.

Depuis que j'ai commencé à traverser les strates, je n'arrête pas de me demander si je suis mort. Je me pose la question mais je n'essaie pas d'y répondre. Je ressens une putain de nostalgie, voire même un poil de tristesse, en fait. L'époque où j'étais au monde sans remettre en cause son statut me paraît terriblement loin et enviable. Je veux y retourner. Oublier tout ce que je sais, tout ce que j'ai vu. Le temps, l'espace, le vide pourtant si plein, et la chaîne orangée qui semble maintenir tout ça en un tout entier et consistant, cohérent. 
Et puis l'odeur de la connaissance. Cette fragrance si particulière, entre le bois musqué (dans un univers où l'association de ces deux termes est possible, mais si ça se trouve je dis n'importe quoi parce que je n'y connais rien en parfumerie) et la peau d'une femme adoucie par une fine couche de sueur. Ce parfum vous prend au crâne et ne vous lâche pas, de toute sa force de pénétration de vos défenses rationnelles. Comment un tel truc peut exister ? Aucune idée, et on est pas là pour t'apporter la réponse, on est là pour te renverser le cerveau et avec, l'intégralité de ta conception du monde. Si tu sors vivant de tout ce foutoir sans nom, tu nous sortiras sûrement de nouvelles gammes que personne n'avait jamais trouvées avant toi et tu seras reconnu comme un génie de la musique, ce qui fera un foin sans précédent et t'assurera de finir ta vie au soleil, entre bières/clopes, filles en bikini, et concerts au clair de lune. Alors, tu marches ?

Non, vraiment, j'avais l'impression d'avoir fait un deal avec le Diable lui-même. Sauf que le Diable est un petit joueur à côté d'une entité qui se compose, entre autres, de l'intégralité des conséquences des erreurs de l'humanité. Et j'ai bien dit "entre autres". D'ailleurs, en parlant d'autres, si l'Enfer, c'est les autres, imaginez ce que ce serait si la matière première de l'endroit en question était faite de vos propres erreurs. Imaginez que vous êtes un musicien qui vit dans la maison de ses propres fausses notes. Non, non, c'est pas le combo muscu-bière-soleil qui me monte à la tête en deux-deux, ce que je dis a vraiment un sens, je le sais, je l'ai vécu. Alors qu'on me sorte de l'Envers du Décor pour me proposer de devenir le Roi du Monde d'une façon à peine détournée quand je sais pertinemment ce qui se trouve de l'autre côté et de quoi est faite la structure qui le maintient à peu près stable, je prends ça pour une insulte pleine d'ironie. Regarde, petit homme : Ton destin est d'être le jouet de puissances qui te dépassent, et peu importe quel degré de connaissance tu auras sur le fonctionnement des choses, tu ne pourras jamais rien y faire.

Allez vous faire foutre. Allez, tous, bien vous faire foutre. 


J'ai dû le dire tout haut, tout le monde m'a regardé. J'ai dû être entendu, aussi, parce que c'est à ce moment-là que la réalité s'est délitée et que je me suis retrouvé à nouveau dans mon enfer chéri d'amour qui commençait sacrément à me manquer, je dois l'avouer.