J'ai été vomi par la porte et dans un cri d'incompréhension mêlé de douleur, ma mâchoire a recontré le plancher pour une soirée dégustation.Â
- Non, c'est pas possible !
C'est sorti indépendamment de ma volonté.Â
- Tu peux m'expliquer par quelle logique on arrive par l'entrée après être sortis par les portes psychées d'en haut ?
- Qu'est-ce qui te paraît illogique dans "arriver par l'entrée" ?
Je n'étais pas seul, bien sûr. Dan et Soda, respectivement. Je me suis levé vers le premier. Il avait l'air apaisé. Je l'ai regardé entre mes mèches moites.
- Mon pote, j'ai besoin d'une clope.
Il m'en a tendu une, suspicieux. Il me l'a allumée avec son pouce brûlant.Â
- T'es sûr que ça va ?
On avait attiré le regard de Soda, qui me faisait penser à un hybride moniteur de colo / chasseur alpin. Un ancien qui attend les jeunes, mais qui sait bourriner quand il y a besoin.
- J'ai un truc à faire.
Mon ombre s'allongeait de plus en plus à mesure que je tirais sur la cigarette. Bientôt, quand elle s'étendit tout le long du mur derrière le comptoir, elle prit forme. Un colosse de pratiquement deux mètres, large d'épaules, au teint mat, aux longs cheveux noirs surmontés d'un chapeau et au sourire malicieux, qui dégageait une puissance incroyable et une douceur fascinante. Il portait une veste de costume et une chemise à trois boutons ouverts, ce qui achevait de le classer définitivement parmi les êtres les plus cools du monde.Â
- Tu t'es trouvé un joli corps, lui lançai-je.Â
Ca a dû choquer Dan, parce que ses yeux serrés et crispés comme un microscope bloqué sur grossissement maximal se sont agrandis et n'ont cessé de s'acérer à mesure que la conversation a progressé.
- T'as vu ça ? Il vient d'être libéré, j'ai eu de la chance ! Mais il a fallu que je le restaure, il a été grandement altéré.Â
- Générateur pur, véhicule pour très vieille âme, ajna ouverte donc communication strataire possible et créativité exacerbée, un mystique en puissance, mais vu l'état du corps, il est mort avant d'en arriver là et me demande pas comment je sais tout ça.
- Joli ! Effectivement, il me fallait au moins ça pour ce qui se prépare.Â
Je sentais Dan se retenir de toutes ses forces. Je l'ai rapidement regardé du coin de l'oeil, il brûlait des bras, des jambes, et surtout du crâne. C'était magnifique mais actuellement, quelqu'un de beaucoup plus dangereux requérait toute mon attention.
- J'ai résolu le paradoxe, pourquoi on est toujours là ?
- Parce que t'as pas résolu le paradoxe.
- Arrête tes conneries, grognai-je les dents serrées, j'ai supprimé la réalité où je refusais de t'aider en me suicidant.
- Mais c'est pas ça le paradoxe. Là t'as juste réglé celui de ta psyché, mais c'est pas le paradoxe universel qui a causé le déclenchement de la fin du monde et pour lequel j'ai été banni de Shell Haven.
- Toi... murmurait Soda. Toi...Â
Je l'ai interrompu d'une main.Â
- C'est pas le moment.Â
Je sentais mes ailes chauffer dans mon dos, elle ne demandaient qu'à se manifester. J'avais tout oublié et il refusait de m'aider à me souvenir. Exactement comme à ma naissance, à notre naissance à tous.Â
- Je te rappelle que je suis recherché par des êtres qui voyagent dans les strates plus vite que la lumière dans le vide. Tout ce que je dis peut être capté, interprété, et utilisé contre moi. Contre vous tous.
- Explique moi en quoi t'es de notre côté... grognai-je. Pourquoi tu te caches si tu crains pas la mort ?Â
- C'est pas le moment, c'est pas ça qui est important ! T'as détruit la réalité alternative qui dépendait de ton action en foutant ton ton toi alternatif en l'air, c'est très bien, ça unifie les réalités autour de l'idée que tu ne peux qu'exister à cet instant T autour duquel tout gravite, et donc ça supprime tes visions de... bref, tes visions, quoi, mais c'est pas suffisant pour que l'Univers retrouve son équilibre.Â
- Je crois que j'ai compris ce que je devais faire.
- Shht ! Pas un mot ! Ils ne doivent pas savoir !
- Pourquoi tu souris ?
- Parce qu'avec ce corps-là , c'est très agréable. Ca diffuse l'énergie d'une façon qu'on a pas tant que ça l'occasion de voir. Une dernière chose, vous pourrez rien faire tant que vous serez pas orientés et unis, à la fois en vous-mêmes et avec les autres. Et étant donné l'état complètement invraisemblable de la stabilité du réel, ce sera pas comme dans un film de Kelly, on aura pas autant de chances qu'on veut. Votre échec conduira inéluctablement à la destruction de tout ce qui est et de tout ce qui n'a pas encore été. Le temps et la matière se fondront et la vibration cessera, ils s'auto-phagocyteront, et ce sera la fin de l'Univers tout entier.
Ce n'est qu'à ce moment là que j'ai vraiment compris à quel point c'était sérieux toute cette histoire, et à quel point on était dans la merde la plus profonde.Â
J'ai fini ma clope, je l'ai jetée et il a disparu dans une bouffée de fumée.
Jeudi 30 janvier 2014 Ã 22:49
Vendredi 31 janvier 2014 Ã 1:20
 Kepa venait de réapparaître. Il était arrivé par la porte qui s'était ouverte sur son passage, comme porté par une légère brise.
- Qu'est-ce que c'était que ça ?
- Il n'a pas de nom, mais ce corps appartient à Karim Aurabi, un artiste récemment décédé d'un cancer contre lequel il se sera battu jusqu'au bout.
- Siko, a répondu Dan, me coupant presque.
- Alors là il faut qu'on m'explique. Depuis quand tu parles autant ? Je veux bien que ces voyages nous fassent évoluer, mais quand même...
J'ai souri. Je lui aurais bien mis une bourrade.
- Il l'a invoqué à partir d'une clope, je sais pas comment il a fait, et sur le moment j'avais envie de les dérouiller tous les deux.
- J'y comprends que dalle moi aussi, si ça peut te rassurer.
- Non.
- J'aurais essayé.
J'ai essayé de mettre un terme à leur délire Holmes / Watson.
- Il est venu nous aider. Il arrête pas de faire ça depuis le début. Je commence à comprendre, à me souvenir. Je vous expliquerai tout ça en détail quand les autres seront revenus, mais en gros, je suis la clé de voûte de sa stratégie pour sauver le monde.
- Tu gardes ce regard pour te donner la classe ou ça t'étonne pas ? demanda Kepa à Dan.
- Il a des ailes et des pouvoirs généralement attribués aux anges, pourquoi tu veux que ça m'étonne ?
- Il a quand même été assassiné, là d'où je viens.Â
- Non, rectifiai-je. Tu étais bien dans une réalité alternative, mais il n'en existe aucune dans laquelle j'aie été assassiné. Je me suis suicidé dans toutes, c'était la seule façon possible.Â
- Et pourquoi tu DEVAIS te suicider ? me demanda Dan d'un ton acerbe. "C'est jamais la solution", rajouta-t-il.
- Pour cette raison précise. Sois patient. Les autres ne sont pas encore revenus et j'aime pas me répéter.
- C'est déjà un miracle que tu parles autant.
Là , il l'a eue, sa bourrade. On a rigolé.
Dan a payé une clope à Kepa et s'en est tirée une pour lui même. Il m'a regardé en m'en tendant une autre.
- Non, man. C'est pas le moment de le faire revenir, c'était déjà assez risqué tout à l'heure.
- Depuis quand tu dis "man" ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, Seb ?Â
J'ai souri et cette fois-ci c'est Dan qui a eu sa bourrade.
- Mec, t'es le Kurt Cobain de la fin du monde, m'a-t-il dit tout sourire en se massant l'épaule.
J'ai éclaté de rire et j'ai béni cet instant. Plus que jamais, on allait avoir besoin de rire. Cette réalité allait bientôt se fissurer. Ca prendrait des jours, des semaines peut-être, mais il ne nous restait pas beaucoup de temps.Â
- J'ai l'impression qu'on est dans une soirée aussi géniale que terrifiante dont on ne sortira jamais, a lâché Kepa en souriant.
Exactement. Sauf qu'il y a toujours un moment où l'euphorie retombe parce qu'il faut penser à la fin, à ce qu'on va faire, et surtout à comment on va rentrer. Et à cet instant, je n'en avais pas la moindre idée.
- Qu'est-ce que c'était que ça ?
- Il n'a pas de nom, mais ce corps appartient à Karim Aurabi, un artiste récemment décédé d'un cancer contre lequel il se sera battu jusqu'au bout.
- Siko, a répondu Dan, me coupant presque.
- Alors là il faut qu'on m'explique. Depuis quand tu parles autant ? Je veux bien que ces voyages nous fassent évoluer, mais quand même...
J'ai souri. Je lui aurais bien mis une bourrade.
- Il l'a invoqué à partir d'une clope, je sais pas comment il a fait, et sur le moment j'avais envie de les dérouiller tous les deux.
- J'y comprends que dalle moi aussi, si ça peut te rassurer.
- Non.
- J'aurais essayé.
J'ai essayé de mettre un terme à leur délire Holmes / Watson.
- Il est venu nous aider. Il arrête pas de faire ça depuis le début. Je commence à comprendre, à me souvenir. Je vous expliquerai tout ça en détail quand les autres seront revenus, mais en gros, je suis la clé de voûte de sa stratégie pour sauver le monde.
- Tu gardes ce regard pour te donner la classe ou ça t'étonne pas ? demanda Kepa à Dan.
- Il a des ailes et des pouvoirs généralement attribués aux anges, pourquoi tu veux que ça m'étonne ?
- Il a quand même été assassiné, là d'où je viens.Â
- Non, rectifiai-je. Tu étais bien dans une réalité alternative, mais il n'en existe aucune dans laquelle j'aie été assassiné. Je me suis suicidé dans toutes, c'était la seule façon possible.Â
- Et pourquoi tu DEVAIS te suicider ? me demanda Dan d'un ton acerbe. "C'est jamais la solution", rajouta-t-il.
- Pour cette raison précise. Sois patient. Les autres ne sont pas encore revenus et j'aime pas me répéter.
- C'est déjà un miracle que tu parles autant.
Là , il l'a eue, sa bourrade. On a rigolé.
Dan a payé une clope à Kepa et s'en est tirée une pour lui même. Il m'a regardé en m'en tendant une autre.
- Non, man. C'est pas le moment de le faire revenir, c'était déjà assez risqué tout à l'heure.
- Depuis quand tu dis "man" ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, Seb ?Â
J'ai souri et cette fois-ci c'est Dan qui a eu sa bourrade.
- Mec, t'es le Kurt Cobain de la fin du monde, m'a-t-il dit tout sourire en se massant l'épaule.
J'ai éclaté de rire et j'ai béni cet instant. Plus que jamais, on allait avoir besoin de rire. Cette réalité allait bientôt se fissurer. Ca prendrait des jours, des semaines peut-être, mais il ne nous restait pas beaucoup de temps.Â
- J'ai l'impression qu'on est dans une soirée aussi géniale que terrifiante dont on ne sortira jamais, a lâché Kepa en souriant.
Exactement. Sauf qu'il y a toujours un moment où l'euphorie retombe parce qu'il faut penser à la fin, à ce qu'on va faire, et surtout à comment on va rentrer. Et à cet instant, je n'en avais pas la moindre idée.