Vendredi 14 avril 2017 à 20:03

Balançant un kick maladroit dans la porte, j'entrai en titubant dans le bar vide. Sourcils serrés sur teint tiré, l'esprit saturé de questions dont la plus obsédante était "Pourquoi est-ce qu'on m'a montré tout ça ?".  J'en avais la mâchoire soudée et le crâne qui tournait. S'il n'y avait pas eu Fireal qui résonnait de partout, ça aurait été beaucoup moins classe. Plus gérable, aussi.

Le type au chapeau ne m'avait pas envoyé là-bas uniquement pour me parler de ma copine. J'ai été envoyé dans un passé alternatif dont j'ai été ramené par un vortex, merde ! On fait pas un truc aussi épique sans raison. Ma main crispée au feu qu'il ne s'est rien passé d'anodin ce jour-là.

Le feu, aussi, tiens, parlons-en. D'où il sort ? Comment ça se fait qu'il ne me brûle ni moi, ni mes vêtements ? Et comment expliquer que ma basse le conduise ? Et surtout, qu'aucun de tous ces trucs ne surprennent vraiment Solenne ?

Je crus sentir un courant d'air qui me glaça les os en traversant le bar. Probablement rien d'autre que la neige sur mes cheveux qui fondait et coulait dans le creux de mon cou. Une pinte fraîchement pressée et une cigarette m'attendaient sur une table légèrement en retrait. J'ai éternué et me suis embrasé tout entier dans une brève mais surprenante explosion de feu. Au moins j'étais sec maintenant. J'attrapai la cigarette et levait mon index pour m'en servir comme d'un briquet. 

Doser la hauteur de la flamme ne fut pas chose facile, le plafond noirci du bar peut en témoigner. D'ailleurs, il est inhabituellement élevé, celui-là, on pourrait faire rentrer des éléphants, ici. En plus y'a pas de videur, c'est pratique.

Je posai ma basse-sangle-en-flammes-de-série contre la table et m'effondrai sur une chaise en soupirant d'épuisement. Il aurait quand même pu me laisser dormir un peu avant de m'envoyer le vortex. Ceci dit, à part de sommeil, la deuxième chose dont j'avais le plus besoin à ce moment-là était une bière-clope. Repos du guerrier.

La compression temporelle. La fin du monde. Je sais pas dans quel ordre, pas encore.  Un type mystérieux se fait une mission personnelle de m'en dire plus sur tout ça mais n'a jamais beaucoup de temps. D'après lui, c'est en compressant le temps que le monde est arrivé à sa fin et s'est déployé en une infinité de strates comme celle dont je reviens à peine. Pas sûr que mon postulat de base tienne la route, mais j'ai l'intime conviction que c'est cet étrange mec au chapeau qui m'a envoyé là-bas pour me montrer des trucs et me dire que Solenne en sait plus que je ne le crois. C'est vrai que d'un seul coup il avait pris beaucoup de crédit à mes yeux : son discours était cohérent, sa capacité à profiter des failles structurelles évidente, il aurait fallu être un idiot pour ne pas se rendre compte que Solenne me cachait des choses, et encore plus pour penser que c'était juste de ça qu'il était question. Bien sûr que c'est important, mais cette histoire ne tourne pas autour de nous.

J'avais beau me répéter qu'il était certain que ce n'était pas si grave, la colère montait lentement mais sûrement. Direction la pompe à bière, me resservir une pinte. En me rasseyant, un scintillement sur ma basse attira mon regard. Derrière son corps, sous les lettres rouges qui formaient le mot "
LENNE", un "E" était apparu, de part et d'autre duquel un K et un Y se tracèrent, dans un style graphique différent, grands, noirs et fins.

Fist prit la suite de Fireal. D'où peut bien sortir cette musique ? La sono est si parfaite que le niveau ne bouge pas quand je me déplace, comme si la musique n'avait en fait pas d'origine. 

Ma copine, cet univers, et même ma basse me cachent des choses. Bon résumé de la situation.

Je claquai le verre sur la table, sourcils bandés et dents serrées. J'étais déjà en train de m'enflammer sans m'en rendre compte. Il me fallait atteindre le litre et demi de bière pour espérer me calmer. J'ai sorti une clope et me suis traîné vers le bar. Je titubais toujours, et l'alcool n'avait rien à voir là-dedans. Ambiance pesante et j'étais en colère. Presqu'envie de retourner sous la neige pour étaler du singe dans l'espoir de me rafraîchir le mental.

La désagréable impression d'être malgré toutes mes inférences passé à côté d'éléments très importants me perturbait au plus haut point. Je me suis pressé ma troisième bière avant de me rediriger vers la table pour récupérer ma basse et la remettre sur mon dos. Il était temps d'enquêter.

On m'avait envoyé dans le passé alternatif pour une bonne raison, et il en était de même pour ce foutu bar vide qui sentait bon le bois et la bière. Quelque chose ici m'indiquerait peut-être pourquoi.

L'escalier qui mène sur un mur, par exemple. J'ai lentement fait grincer les marches du premier pour poser la main sur le second. Etrangement doux, légers reliefs par endroits. Ma main s'enflamma toute seule et les flammes coururent sur le mur, formant un "
Stairway to Heaven" en lettres de feu.

La grande classe.

Fist s'était évanouie dans le vide, laissant place à une ritournelle obsédante que je n'avais jamais entendue nulle part, mais qui me semblait d'une évidence limpide, comme si nous connaissions tous ce morceau au fond de nos âmes. Un arpège mineur, avec juste ce qu'il faut de tension mêlée à la tristesse inhérente à ce mode pour frapper au fond du coeur et réveiller les émotions enfouies, oubliées.

Le mur s'ouvrit en deux sur une salle rouge avec un fauteuil noir au milieu, tourné dos à moi. J'ai vu tout David Lynch, il me faut plus qu'une pièce ronde pour m'impressionner.

Je parcourus la pièce des yeux, et quand je les reposai sur le fauteuil, il était devenu d'un rouge si vif que les murs en semblaient presques ternes.

Déjà-vu quand le fauteuil se retourna. 

Lui. 

Le type qui était entré chez moi par des moyens encore inexpliqués et qui se transformait en lapin pour en sortir par la fenêtre, qui me croisait dans la rue sous la forme d'un petit Noir, qui m'avait provoqué une paralysie du sommeil pour pouvoir m'envoyer dans une réalité alternative et ainsi discuter avec moi avant la fin du monde, et qui m'avait envoyé dans ce fameux passé alternatif pour me faire bouffer de la donnée-mystère au kilo tout en me laissant un message vocal dans le miroir de ma future copine dans le passé qui n'est pas le mien.

Vous comprendrez que j'étais un poil tendu.

Il leva brièvement son chapeau.

- Salut.

- Je te crois, et j'ai des questions, grinçai-je entre mes dents.

- Pas maintenant. 

- Tout de suite.

- Ecoute-moi. Il faut que je te parle. 

- Pourquoi tu m'as envoyé là-bas ? Qu'est-ce que j'ai raté ? 

- C'était pas moi. Laisse-moi parler.

- Non. Pourquoi tu m'as montré tout ça ? Pourquoi est-ce que j'étais sur des rails, pourquoi j'avais plus de libre-arbitre ? Et le vortex de retour, c'était toi, ou c'est parce que j'étais devenu une anomalie ?

- Tais-toi, soupira-t-il. 

- D'où sort cette musique ? Et le vortex de Solenne ? Qu'est-ce qu'elle sait ? Pourquoi tu m'as montré tout ça ?

- Parce que tu devais savoir.

- Mais savoir quoi ? Tu m'embarques dans un foutoir pas possible et tu prétends être là pour m'aider et me guider mais tu me dis rien de concert à part tes putains de phrases toutes faites sybillines de merde !

- Parce que je ne peux pas tout faire, et certainement pas te mâcher le travail ! Tu te rends compte de ce que c'est ? 

Ca m'a choqué, marqué. J'ai rien pu répondre. Il l'a fait à ma place.

- Non, t'en sais rien, tu ne peux même pas comprendre. T'as pas la moindre idée de tout ce que j'ai fait pour elle, pour toi, pour vous.

- Tu parles de Solenne, là ?

- Peu importe, c'est même pas la question ! (Là, j'avais franchement les abeilles. La rage, la colère, la haine, ce que vous voulez et que je me suis forcé à maîtriser pour continuer à lui faire cracher son texte.)

- Alors qu'est-ce que c'est, bordel ?

- Au-delà de ta compréhension.

- Dans ce cas pourquoi c'est moi que t'es venu voir ?

- Tu n'es pas le seul que j'aie visité avant le début de la compression temporelle.

- Mais pourquoi moi, putain !

- Parce que tu portes en toi les clés qui permettent de résoudre tout ça.

- MAIS QUELLES PUTAINS DE CLÉS ?

- A toi de le découvrir. Je ne peux pas faire plus que ce que je fais maintenant.

- Arrête tes conneries. Tu te présentes comme le sage, le guide, l'homme providentiel, mais t'en dis à peine assez pour que j'avance, et certainement pas assez pour que je m'en tire, t'es au courant ?

- Oui. Je me sers de toi. Tu t'en es pas rendu compte ? 

- Quoi ?

Il s'est levé -d'une manière lente et peu assurée-, a sorti un bâton allongé de je ne sais où et m'a frappé super fort.

- Réglons ça entre hommes, Dannie.

Il me toisait et ça avait le don de me foutre sacrément en rogne. Les flammes sont revenues courir sur mes bras. Je dégainai ma basse et me mis en garde, sourcils tellement froncés que tu pourrais surfer sur mon arcade. Ce malade mental allait prendre le tarif. 
Je n'ai rien trouvé de mieux que le terme "psycho" à lui balancer en même temps que ma basse brûlante dans les gencives. 

- J'aime pas les "s" impurs, ça me va pas, par contre, "Siko", ça me plaît déjà vachement plus.

Il m'a frappé à nouveau, en plein dans les côtes. Mon feu s'est intensifié à la suite d'un bruit sourd indiquant qu'une ou deux côtes avaient cédé.

Je me suis jeté sur lui et lui ai carré un coup de basse brûlante dans la face. Une énorme traînée de feu a déchiré la pièce en deux. Pas de place pour la douleur, et rien à foutre d'avoir été cassé par les derniers évènements et mon retour violent dans le réel d'après la fin du monde.

Il m'a souri. 

- Ca fait combien de temps que tu me connais ? Depuis combien de temps tu me surveilles ?

Il m'a répondu d'un coup de bâton que j'ai plus ou moins paré et c'est là que le combat a vraiment commencé. Je ne saurais pas dire si je me battais plus contre lui que contre les questions qui se posaient avec la délicatesse d'un éléphant bourré dans un champ de cannabis en feu, mais hors de question d'accepter l'idée qu'il se soit servi de moi. 

Peu importe à quel point les évènements récents m'avaient affaibli, je mobilisais mes dernières forces à la manière d'un écrivain insomniaque qui donnait tout après son premier café conséquent à une nuit sans rêves.

Aux gerbes de sang que dégagaient parfois mes coups portant toute la puissance de ma rancune, j'en induis à la fois que Siko possédait ici un corps bien physique, contrairement à ses apparences précédentes, mais aussi que ma basse brûlante était en réalité une arme plus tranchante que contondante.

Pour autant, il serait utopique - ou vaniteux - de tenter de vous faire croire que je menais le duel. En effet, je galérais ici ma race, les coups de Siko étant particulièrement violents, en dépit du fait qu'ils n'étaient portés que par un simple bâton. Son allonge dépassait la mienne, et son arme étant de toute évidence plus légère et maniable que ma basse, il disposait de plusieurs avantages conséquents; sans compter que je ne maîtrise pas mon feu, et que, si je suis capable de lui coller de gros dégâts d'un seul coup, la rotondité de la salle joue en ma défaveur, étant donné la difficulté de manier une basse de 5 kg dans un duel d'attaques rapides au rythme imposé par la légèreté de son arme. Le feu vient compenser, jaillissant de mes bras et des mes jambes, augmentant ma puissance, ma vitesse, me permettant de lui mettre de violentes bouffes de ma main libre pour l'interrompre avant de lui placer un coup de basse brûlant destructeur.
Pourtant, pour chaque décharge d'énergie que je lui place, il finit toujours par trouver la faille dans ma garde pour me remettre la même, sans pouvoirs, juste avec son foutu bâton. Et il me pète la gueule. Ca devient vraiment dur de tenir. Je me concentre. Je laisse le feu s'exprimer. Je sais que je suis plus fort avec lui, je l'ai déjà vu.

A la fin d'une longue succession d'attaques, contre-attaques et parades, mon souffle se raccourcit et ma basse s'alourdit. Siko, puisque c'est comme ça qu'il voulait qu'on l'appelle, me balança un dernier coup qui me désarma et me cloua au mur, autour des flammes qui commençaient à s'éteindre. J'ai entendu un bruit tranchant, et en ai déduit que ma basse s'était enfoncée dans le plancher.

- Essaie pas de me faire croire que tu t'es pas demandé pourquoi je suis venu te chercher ? Pourquoi j'ai déployé autant d'énergie uniquement pour te parler ?

Mon feu diminuait, sans pour autant s'éteindre. J'ai rassemblé mes dernières forces pour le repousser et lui coller une droite brûlante dans la mâchoire. Son chapeau tomba par terre. 

- Merci, Dan, sourit-il.

Il toussa du sang et se courba légèrement.

- Va au diable, lâchai-je.

Je ne sais pas trop pourquoi j'ai dit ça. Peut-être que l'ambiance si particulière de cette apocalypse me donnait des bouffées manichéistes.

- Crois-moi, là d'où je viens et là où je retourne, c'est pire.

- Pas sûr.

- Peu importe. Descends chercher des fioles dans l'étagère du bar. Garde-les pour plus tard. Ensuite remonte ici et prend la porte brillante.

- Y'en a pas. 

- Y'en aura une dans 5 minutes. Je vais devoir y aller, grâce à toi y'a du boulot qui m'attend. Depuis ce bar, tu peux atteindre la plupart des strates. Sers-toi des portes. Ensuite tu sais quoi faire. J'ai toute confiance en toi.

Il commença à s'affairer autour du mur de la pièce rouge auquel j'avais foutu le feu quelques minutes auparavant.

Je soupirai. "Grâce à moi"... Que voulait-il dire ? Ca semblait important mais impossible de mettre le doigt dessus pour le moment.

La seule conclusion que j'arrivais à tirer de cet improbable enchaînement d'évènements, c'est qu'il ne faut faire confiance à personne. Tout remettre en cause, que ce soit ce qui m'arrive ou ce qu'on me dit. Je me retrouvai hébété avec la sale impression tenace que mon inconscient avait compris, mais qu'il allait me falloir un sacré paquet de temps pour que ces données me soient révélées consciemment. Et je trouve ça ultrafrustrant.

J'ai allumé une clope et suivi les instructions de Siko, mais je n'ai trouvé qu'une seule fiole, et c'est pas faute d'avoir retourné chaque étagère pour être sûr.

Basse sur le dos, potion dans la poche et clope aux lèvres, je n'avais plus rien à faire ici. Direction l'escalier vers la redroom, histoire de voir de quel vortex il va être question cette fois, et de me focaliser là-dessus en oubliant que si jamais il me dit la vérité, les 2 derniers que j'ai traversés n'étaient pas de son fait.

Une porte. Impeccablement placée sur le mur, comme si elle avait toujours été là et que si je ne l'avais pas vue plus tôt, c'était simplement parce que je n'y avais pas fait attention. Mais une porte blanche sur un mur rouge, non, franchement, là, on me la fait pas.

Je me suis pris une putain de tornade mentale quand je l'ai ouverte. Le vortex aspirait toutes les parties intangibles de mon être en premier lieu, et je ressentis d'une conviction sincère que c'est parce qu'il est lui-même constitué de la même matière, de la même énergie, que ce sont ces corps éthériques et mentaux qu'il focalise, car le corps physique ne peut que nécéssairement suivre dans un espace où la réalité structurelle est si faible.

En clair, je voyageais dans le temps et/ou l'espace en un seul pas, pendant lequel une infinité de choses, de couleurs, de sensations, se déclenchaient, se déployaient, m'absorbaient.

Au centre du vortex se produisit un truc étrange. Toutes les ondes et les courbes de mille couleurs disparurent sans prévenir, comme si le temps lui-même s'arrêtait et que je n'étais plus qu'un point de conscience témoin du phénomène.

" Et il reste pédant, ayant la volonté, sans même être conscient qu'il n'a pas la raison."

"Et il reste // sans même être conscient qu'il n'a pas la raison"

"Et il reste // pour toute l'éternité."

" La peur prend l'apparence qu'on lui donne."

Impossible d'identifier ces voix, que je considérais, ou plutôt sentais, comme des sons primordiaux, enfermés ici à la manière d'une boîte de Pandore qui serait également l'origine de l'Univers, le début du temps et de la matière.


Il y eut un énorme burst de lumière blanche. Une lumière douce et chaude. J'ai souri malgré moi en passant de l'autre côté. Le passage dans le vortex était terminé et je sentais sans pouvoir l'expliquer qu'il n'y avait pas à avoir peur. Pire, j'avais même la conviction étrange qu'à aucun moment mon être n'avait été désintégré quelque part pour être réintégré ailleurs, ce qui me fit me poser longuement une question de fond afin de savoir si j'étais toujours le même, et si j'étais toujours un être incarné, ou si la fin du monde m'avait fait mourir, nous avait fait tous mourir, pour nous réintégrer autrement dans un nouveau paradigme de réalité(s).

J'étais sur le campus, dans la brume. A quelques mètres de moi, de nombreuses silhouettes s'en détachaient. Des singes, comme ceux que j'avais affrontés avec Solenne juste après la fin du monde.

J'ai dégainé ma basse, comme un samourai, mais en moins classe.

- Mademoiselle, il semblerait que nous soyons amenés à nous côtoyer dans des circonstances plus qu'imprévues, mais puisque c'est visiblement le cas... Si on s'appellait par nos prénoms ?


Je suis un gros nul incapable de trier le vrai du faux dans tout le bordel qui m'entoure, mais je garde quand même un peu d'humour. Tout n'est pas perdu.


Vendredi 14 avril 2017 à 20:45

 

 



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J'ai toujours rêvé d'une vie normale à base de câlins le matin et de repas qui stackent au restau U à midi, d'opérations refaisage de monde au bar le soir et de fausses prises de têtes sur des débats à la con qui nous font délirer suffisamment pour apprécier le plaisir d'être ensemble dans toute son intensité.

J'ai toujours rêvé d'une vie à base de révisions pour se mettre la pression, pression qui nous fera avoir nos exams, exams qui nous trouveront un boulot, boulot qui nous permettra d'assurer notre futur, de le rendre moins incertain, et par là-même de nous donner des chances aussi solides que possible de continuer à faire de la musique, des films, de la radio, et tout ce qui nous fait sentir vivants au plus profond de nous-mêmes.

Quand elle est entrée en scène, une partie de moi continuait d'espérer que cette «vie normale» aurait lieu un jour, même si j'ai jamais vraiment été foutu de la mériter. C'est mon côté innocent.

Je me suis plus jamais senti seul depuis, au point de presqu'oublier pourquoi je voyais son père depuis tout ce temps. 
D'ailleurs, au passage : Mon psy fait aussi «père de la fille de mes rêves». Y'a que moi qui trouve ça louche ? Je n'ai jamais vraiment cru aux coïncidences, et c'est pas avec tout ce qui m'est arrivé ces derniers jours que je vais refuser de m'extrémiser sur cette vision des choses.

Et quand j'y repense, Doc était pas mal péremptoire quand je l'ai capté la veille de la fin du monde, entre son mépris total de ma soirée prévue et son "Soyez là". J'avais d'abord pensé qu'il voulait se donner un style Humphrey Bogart, mais maintenant que je revois ces éléments, je ne peux m'empêcher de me rendre compte qu'il jouait un certain rôle, à ce moment-là. Il allait me falloir le retrouver pour y voir plus clair. Probable qu'il savait certaines choses par rapport à la fin du monde, et peut-même les avait-il apprises de Solenne, qui n'avait pas été particulièrement impressionnée par les monstres ou par son expérience de statue de sel ramenée à la vie par le baiser de l'antihéros pas ladin pour deux sous. Ca expliquerait aussi son délire à peine surjoué de l'abri antiatomique et la facilité avec laquelle je l'ai dissuadée de mener son entreprise à bien, du coup plus si déconcertante.

Ca ne voulait dire qu'une chose : Solenne est partie dans ce vortex d'elle-même, et elle savait exactement ce qu'elle faisait.

Siko a raison, elle me cache des choses. La retrouver restait ma priorité, mais elle prenait de plus en plus des allures d'enquête. 

Stimulant. Excitant. Parfait. 

Il fallait aussi retrouver les autres. Seb, Pierrot et Kepa étaient là avec moi ce soir où notre réalité s'est arrêtée, ils devraient donc logiquement être ici eux aussi. Il était temps de partir. 

- Par ici, Mademoiselle. 

Et de se battre.

Oui, je parle à mon instrument, oui. Elle est tout ce qu'il me reste du réel pour le moment, et en plus elle s'est trouvée un nom, alors qu'est-ce qui m'empêche de lui parler ?

Le campus est saturé de brume, on y voit pas à vingt mètres. Ca va vite m'énerver. En attendant je m'allume une clope et réfléchis encore un peu. Pourquoi ai-je été envoyé ici ? Il y a forcément une bonne raison, comme la dernière fois. C'est sans doute là que s'est retrouvé l'un des nôtres, et parce que j'ai aidé Siko, il m'aide à son tour. Il semble avoir besoin de nous en tant qu'équipe. Je m'attends à ce que les autres aient eux aussi développé des pouvoirs, mais dans quel but, au final ? 

RAAH. Je jette rageusement ma clope contre le sol, mon regard colérique fixé droit devant moi, en l'occurence sur la grande face vitrée de la fac, et je sens quelque chose de chaud et délicieux se concentrer en moi. C'est profond, c'est puissant, et ça me dépasse totalement.

Le libérer est jouissif. J'explose dans une colonne de fumée et un million d'étincelles, de flammes et autres éclats brûlants. Un truc épique, dantesque et incroyable vient de se produire. 

Je ressens aussitôt la plus grande joie et la plus grande tristesse en même temps. Toute mon explosion de colère est rentrée en moi et me laisse haletant, à genoux, au milieu du campus.

Je dégaine une clope en levant les yeux autour de moi pour me rendre compte qu'il n'y a plus de brume. J'esquisse un sourire, je le soupire, plutôt, en me calant ma clope entre les lèvres. Je l'allume d'un doigt et bascule en arrière, m'étale au sol et respire sans penser.

Tout va bien se passer.

Je finis par me relever, ma cigarette encore brûlante entre mes doigts.

La musique étrangement fascinante que j'avais déjà entendue au bar a repris son élévation dans l'atmosphère et je me suis mis à rire.  L'endroit est totalement vide, en plus, même les corps des singes rouges et noirs que j'ai affrontés en arrivant ont disparu.

J'étais en plein dans Silent Hill. J'avais piqué le 3 à Kepa pour le faire à la maison sauf que Solenne s'y est intéressée de près et j'ai pas pu lui rendre avant qu'elle l'ait fini trois fois. 

 

Finalement elle était là, la vie normale. 

Je continue à rire en regardant le ciel encore un peu brumeux. C'était beau, d'une de ces beautés calmes et sans couleur.

Maintenant tapons un léger actor's studio. Où irait une personne normale si elle se retrouvait ici ? Dans un coin convivial, sans doute, pour lui rappeller l'insouciance du monde réel qui n'existait plus et surtout parce que c'est là que n'importe quelle créature  grégaire  sociale s'attendrait à retrouver ses semblables.

Cap sur la cafet à mesure que la brume reprend ses droits. 


Je suis entré. La porte grinçait légèrement. A part le contour de la porte qui était rouge, tout le reste de l'édifice était monochromatique. Du gris, moche et terne. 

C'est marrant de voir à quel point cet endroit si familier résonne maintenant comme complètement étranger. La vibration qu'il dégage est intéressante, différente du campus à proprement parler.

Je me suis baladé du côté du self.  Pas la moindre bouffe dans les bacs. Pas de plateaux, de couverts ni même d'assiettes.

 

 

Le côté snack n'est pas mieux fourni, mais la machine à café a l'air de fonctionner. Je me demande quelle heure il est, mais puisqu'il y a eu une compression temporelle selon Siko, cette question n'a pas vraiment de sens. Juste un réflexe du monde réel. J'allais devoir m'en débarrasser si je voulais survivre. Ou peut-être le garder, voire le transcender. Je ne savais pas encore. Je me suis fait deux grands cafés, en me retenant de m'en faire un troisième. Razzia du côté des sucrettes. J'ai calé le tout sur un plateau attrapé au passage et suis allé me caler sur une table en sortant une nouvelle cigarette.

Le café/clope, y'a que ça de vrai. J'ai posé ma basse à côté de moi et me suis délecté du plaisir de pouvoir enfin m'asseoir.
J'allumai ma cigarette en soupirant d'aise, me focalisant autant que faire se peut sur l'instant pour me régénérer au maximum.

- Je peux ? Ou t'attends du monde ?

La fille que j'imaginais le moins revoir se tenait devant moi avec un café dans la main. J'avais dû me plonger un peu trop dans ma semi-méditation pour entendre le percolateur. Ou alors il est froid et elle est ici depuis plus longtemps que moi. Quoiqu'il en soit, elle m'avait perturbé.

- Salut Sonia. Je pensais pas te revoir.

- Moi non plus, et encore moins être arrachée à ma soirée aussi brutalement.

Elle me toisa sans mépris.

- Ceci dit, si tu préfères, je me casse direct, ça nous évitera à tous les deux une belle prise de tête.

- Non. Reste.

- Je suis sûre que t'as plus rien à foutre de moi depuis des années.

- Conneries.

Sonia, yeux bleu profond et dense chevelure d'or. Celle que je n'ai jamais cessée de compter parmi mes plus proches amis malgré toutes les années de silence qui auraient normalement dû nous séparer, sans compter son sale caractère et son insupportable propension au mutisme prolongé.

 

 

Elle s'est assise sans me quitter des yeux.

- Hej, bro, ça fait un bail.

Sa cohérence relationnelle laisse mille fois plus à désirer que la mienne, probablement parce que dans mon cas, Solenne est passée par là.

- Tu te fous de ma gueule ? Après toutes ces putains d'années de silence ?

- Je tente d'initier un retour de manière non seulement socialement acceptable, mais aussi fluide et respectable. T'as de toute évidence pas avancé d'un iota depuis la dernière fois. 

Ton sale caractère non plus.

- Et tu croyais que j'allais accepter ça sans te renvoyer à la gueule à quel point t'es une connasse irrespectueuse ?

- J'étais au fond, j'avais besoin de temps pour gérer ça.

- Et moi j'étais là, t'avais qu'à m'en parler. C'est pas comme si j'avais pu t'écouter et t'aider à t'en sortir.

- Mes problèmes regardent que moi.

- Je pensais que c'était de ma faute.

- Range ton ego deux minutes, Dan. T'es bien moins pire que ce que tu crois.

- Si tu me connais tant que ça, t'as dû te rendre compte que tu pouvais te confier à moi.

- J'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de bien ni que je voulais aller mieux. J'avais besoin de faire mes erreurs et de rester au fond le temps nécéssaire pour remonter de moi-même. Sans ça j'aurais pas pu m'en sortir.

 

 

J'ai gardé le silence et l'ai regardée. Son visage était moins souriant que la dernière fois que je l'avais vue. Elle était moins maquillée aussi, plus sobrement, plus subtilement. Elle n'en était que plus belle. Elle croisa mon regard et ses jambes, puis s'ébouriffa les cheveux.

- Assez parlé de moi. A toi, maintenant. Qu'est-ce qu'elle donne, ta vie, depuis le temps ? insista-t-elle sur la dernière phrase.

- Oh, trois fois rien. J'ai rencontré la femme de ma vie, on a monté un groupe, ça commençait à marcher, et après il y a eu tous ces trucs, alors on s'est retrouvés séparés et du coup je la cherche, avec les amis qui étaient avec nous ce soir-là, et ensuite c'est encore monté d'un cran dans le bizarre ce qui fait que j'ai du boulot devant moi, en plus de toutes ces personnes à retrouver. Comme d'hab, quoi.

- Maintenant que j'ai bien été polie comme il faut, tu vas me dire ce que c'est que ça.

Elle balança son téléphone sur la table, qui rebondit légèrement en glissant vers moi. Il indiquait qu'il était très exactement ??:??, que nous étions le ??/??/???? et qu'il faisait ??° dehors, malgré un temps plutôt brumeux.

- Au moins ton baromètre fonctionne toujours, tu risques pas d'attraper froid.

- Ta gueule et parle, monsieur le grand détective : Qu'est-ce que tu sais sur la fin du monde ? 

Et c'est parti pour le duel de bluffs. Je lui fais passer les règles du jeu d'une question assortie d'un regard profond-sourcils-froncés-viens-donc-skater-sur-mon-arcade.

- Ca fait combien de temps que tu es là ?

- Comme je te l'ai dit tout à l'heure, j'ai été arrachée à ma soirée sans aucune raison, je me suis retrouvée transportée ici et j'ai à peine eu le temps de me faire un café avant de te trouver. Qu'est-ce que tu sais sur ce qui se passe ? insista-t-elle.

Très peu crédible. Mais accordons-lui pour le moment. 

- Je ne suis pas encore sûr pour le moment, mentis-je.

- Mec, arrête de te foutre de ma gueule. Je t'ai pas attendu pour me rendre compte que c'était la fin du monde, j'ai juste eu à regarder mon portable et par la fenêtre: On est dans une putain de ville fantôme, les gens et les voitures ont disparu, y'a cette saloperie de brume partout, de la musique qui sort aléatoirement de je ne sais où, t'es la première personne que je croise depuis que je suis ici et tu oses me dire que t'as pas une de tes théories de génie pour donner un sens à toute cette merde ? C'est pas parce qu'on se parle plus depuis des années que j'ai oublié comment tu fonctionnes, alors arrête de me prendre pour une conne !

J'ai pris mon temps avant de briser mon propre silence. Je suis si idiot que je n'ai pas pensé une seule fois à regarder mon téléphone depuis que je suis arrivé dans cette nouvelle réalité. Et je hais le poker. Je soupirai.

- Ce qu'il y a sur ton portable est la preuve de la compression temporelle à l'origine de la fin du monde.

- Tu te rends compte du nombre d'incohérences concentrées dans cette phrase ?

- Oui. Même si l'énergie temporelle était magnétique et faisait tourner les aiguilles des montres comme dans tous les mauvais scénars de SF, ça aurait pas le moindre impact sur un téléphone, où l'horloge est synchronisée avec celle du réseau, réseau que tu captes sans pourtant que son nom soit affiché,  ce qui implique logiquement qu'il y a quelque chose, quelqu'un au-dessus de nous qui gère ce réseau, et donc cet endroit; et surtout que cette chose veut nous maintenir dans le flou.

- D'après toi on serait dans une simulation ?

- C'est possible, mais j'en doute. 

- Développe. T'en sais plus que moi, visiblement.

- Avant la fin du monde, une entité est venue me voir pour me prévenir. Elle pouvait prendre différentes formes -

- Ca pouvait être un acteur. Ou plusieurs, me coupa-t-elle.

- Les acteurs se transforment pas en lapins pour sortir de chez toi par la fenêtre. Et si je te raconte ce qui s'est passé de mon côté ces dernières heures - ou jours- tu laisseras vite tomber tes théories conspirationnistes.

- Surprends-moi.

- J'ai voyagé dans le temps et les réalités, lâchai-je en m'allumant une clope avec le doigt. Et selon toute vraisemblance, j'ai été guidé par cette entité.

16/20 en mise en scène, pour l'effort. Dire ça m'a rendu plus léger. Ses yeux se sont ouverts tout grands. Elle regardait derrière moi. Je me retournai aussi vite que possible, ma main rejoignant le manche de ma basse.

Je n'avais pas entendu l'énorme singe pousser la porte de la cafet, trop occupé que j'étais à réfléchir. Mes doigts se sont serrés pendant que je me levais de table pour me mettre en garde.

Bien plus gros que les autres que j'avais affrontés jusque-là, il se dirigeait vers nous à pas pesants, avant de tourner à gauche.

On s'est regardés sans rien comprendre. 

C'est à cet instant que le demi-mur séparant les deux rangées de table explosa littéralement. J'ai lâché ma basse et me suis jeté sur Sonia pour éviter le pire mais c'était un bloc de béton qui était assis à sa place.

- Non...

Les bras m'en sont tombés, et les genoux aussi. Mon diaphragme essaie de pleurer, mon esprit essaie de comprendre, mais je n'arrive pas à formuler mes idées et quand je lève les yeux vers le singe assassin, je ne peux plus répondre de rien.

Il se tient là, en face de moi, sans bouger.

Je brûle de l'intérieur d'une volonté aussi déterminée que désespérée. Fondamentale.

Ai ramassé ma basse via main droite, sauté sur lui et frappé de toutes mes forces. 

Hurlement guttural hors de ma gorge . Singe fait trois mètres de haut et pèse cinq fois mon poids. Peu importe.

Feu accompagne mon déchaînement et court sur ma peau et ma basse. N'étais plus que colère, haine et vengeance. Feu augmente mon allonge, me permet d'aller chercher son visage. 

Singe recula en hurlant. Avais brûlé un de ses yeux. Trouvai la force de lui gueuler une phrase pour connaître sa nature.
Pas de réponse. Là-dessus m'a balancé un direct au visage, m'a envoyé voler contre mur le plus proche. Douleur atroce mais toujours entier. Os ont craqué, impossible à contrer, malgré les flammes qui m'ont sauvé, bloquant majeure partie de l'impact.

Enchaîne avec son poing dans mon visage. Nouveau vol plané d'une belle dizaine de mètres, à travers la cafet. Feu concentré sur mon dos à l'atterrissage une fois de plus. Survécu.

Devient difficile de respirer.

Me frappa une troisième fois. Encore une fois protégé par le feu, mais toujours pas assez pour pas en souffrir. 
Il continue.  Réussi à dévier son poing d'un coup de basse suffisamment puissant. A mon tour.

Me suis déchaîné. Ni douleur ni besoin de respirer. Il rugit. S'est préparé à contre-attaquer et c'est là que tout allait se jouer.

- Si je tombe, tu tombes avec moi, lâchai-je dans un râle.

L'incendie s'intensifie en moi. Forme une boule de feu de ma main libre, bien déterminé à tout lui mettre.

Précipité sur lui, tous muscles bandés, David contre Goliath, certain d'y laisser ma peau.

Chargez.

Boule de feu le prend de court et me laisse ouvertures pour frapper de toutes mes forces jusqu'à ne plus en avoir.

Plus besoin. Il était inerte et mes yeux hagards restaient fixés sur lui alors que j'haletais et que les flammes rentraient en moi. 


Je pris appui sur ma basse pour me relever et me diriger vers le corps de Sonia. D'un mouvement sec des avant-bras, je me suis remis à brûler et me servis de ces dernières ressources pour soulever le pan de mur qui s'était effondré sur elle.
L'intégralité de mon dos a craqué très fort, au point qu'une partie de mes flammes durent s'y diriger pour maintenir ma stabilité. J'ai repoussé le bloc de béton et me suis effondré sur un rouleau de papier-toilette.

 

 

 

Samedi 15 avril 2017 à 0:04

 

 


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Mes yeux se sont finalement rouverts au bout d'un laps de temps inquantifiable sur ce fameux rouleau de papier-toilette qui portait à lui seul un tout nouveau mystère insondable que je me retrouvai à devoir résoudre la tête dans le cirage.

Sonia était-elle morte ? Avais-je vraiment eu le temps de faire mon deuil considérant le temps que j'avais passé inconscient ? Tant de questions restaient sans réponse, et je brûlais d'envie de leur apporter une résolution le plus vite possible, ne serait-ce que pour rester en vie un peu plus longtemps sans sombrer dans la folie. Les larmes coulaient brûlantes le long de mes joues sans que je ne puisse rien y faire. C'était à moi qu'il incombait d'offrir une sépulture décente à Sonia, et il n'y aurait personne d'autre pour se joindre à moi, ce qui en un sens rendait mon entreprise aussi pathétique qu'inutile. Mais pour ce faire, encore fallait-il retrouver son corps.

Je me suis relevé, et mon regard avec, pour lui faire face, non sans surprise.

- Hej, bro.

Mes sourcils sont partis direct dans la warpzone et mes yeux ne se croyaient pas eux-mêmes.

- Je crois que je peux échanger ma place avec celle d'autres trucs autour de moi. 

Elle a disparu et j'ai engueulé un café.

- Dis-le que ça t'impressionne.

- Ca m'aurait impressionné que tu m'en parles AVANT que je me retrouve encore à risquer ma vie.

- Toi aussi t'as des pouvoirs, et ils sont sacrément violents. T'avais clairement plus de chances que moi de t'en tirer.

Et il y en a encore pour me trouver froid.

- J'aurais pu y passer, ça aurait été beaucoup plus simple si t'avais daigné m'aider.

- Et pourtant t'es là.

- Pas grâce à toi.

- On s'en fout. T'es là. T'as gagné. C'est ça qui importe.

Sûr qu'elle avait maté tout le combat, bien au chaud dans un coin, alors que j'étais persuadé de la savoir morte. J'ai serré les dents pour ne rien dire, au risque de m'en faire sauter le masséter. Préférant ruiner l'ambiance plutôt que ma mâchoire, je me suis finalement décidé à l'ouvrir.

- Quand j'ai découvert mon pouvoir, j'étais pas sûr qu'il ait une logique. Mais quand je vois le tien, ça me paraît évident que c'était le seul que t'aurais pu développer.

- D'ailleurs, c'est peut-être comme ça que je suis arrivée là, au final, dit-elle songeuse, ignorant ma pique sur sa passive-agressivité. "Peut-être même qu'il y avait un point commun entre ici et chez moi".

- Peut-être, lâchai-je d'une voix rauque. Les différentes vibrations des univers se seraient accordées en certains points suite aux failles dans la structure de la réalité, avant qu'elle ne se déploie. La compression temporelle ne serait peut-être pas arrivée tout de suite, et aurait du coup été la conséquence d'une expansion physique de la réalité, puisque le temps c'est de l'espace. Ca se tiendrait. Peut-être. Si jamais il existe une sorte de multivers qui fonctionne comme ça, où chaque itération a sa propre vibration; des points de réalité auraient pu correspondre et permettre une translation d'un univers à un autre avant que tout ça ne se distorde dans tous les sens pour créer ce bordel sans nom.

Je réfléchissai, essayant de reprendre le contrôle de mes émotions. Quasi-impossible, surtout considérant que mon feu s'en nourrit, ou les exprime, je ne sais pas encore trop. Peut-être avais-je perdu à cet instant une idée particulièrement pertinente. J'en savais rien, je pouvais plus penser, je n'étais plus qu'émotions. Ma théorie se tenait. Ca me rendait dingue.

Où en suis-je vraiment ?

- Cassons-nous d'ici.

- Ouais, lâchai-je par réflexe.

- N'empêche, le singe... Tu lui as quand même vraiment mis le tarif, me dit-elle alors que nous passions la porte.

- Tu l'aurais emmuré avant que j'aie le temps de dégainer si t'avais voulu faire autre chose que fuir, pour une fois.

Elle garda le silence une poignée de secondes. Un stess aussi flippant que jouissif me remplissait le coeur et les tripes. J'en frissonnais de tout mon corps, sans savoir si je devais exulter ou me recroqueviller.

- Je suis pas fort, réussis-je à rajouter , et t'as pas intérêt à croire le contraire si tu veux avoir une chance de rester en vie.


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Mes yeux se sont ouverts sur une porte blanche et noire. La compression temporelle avait eu lieu. J'étais toujours dans la salle rouge, malgré le contraste créé par la porte qui détonnait vachement. Une ritournelle de piano obsédante habitait maintenant la pièce. Sur la chaise était écrit «Please suicide here» en lettres de sang. J'ai gardé les yeux fixés dessus pendant quelques instants. J'étais pas sûr de comprendre. Au fond de mon être, une partie de moi flippait comme jamais. Une autre mourait d'envie d'en savoir plus.

 

Je l'avais encore fait et j'étais vivant. Dans quel plan de l'Univers tu peux te foutre en l'air pour la deuxième fois et t'en tirer comme tu te réveilles d'un rêve ? Avoir une balle dans le cerveau, c'est quand même censé aider tout être humain normalement constitué à ne plus se poser de questions.

J'étais censé être mort entre les murs de cette pièce aussi rouge qu'inconnue, et l'inscription sur la chaise indique clairement que quelqu'un m'observe.

 

Quelqu'un qui saurait que j'étais là, tout seul, coincé dans cette pièce exigüe, aux murs désespérément plats et sans le moindre interstice où on aurait pu loger ne serait-ce qu'un oeil.  Si je suis pas mort, ça veut dire que Dieu existe ?  Un dieu assez magnanime pour laisser la vie à un loser toutes catégories confondues dans mon genre.  Un dieu qui aurait fait apparaître une porte devant moi, noire et blanche.  Ne serait-ce qu'histoire de détonner clairement du rouge.

 

J'ai frissonné. La température baissait de plus en plus, et la musique ne me réchauffait pas, au contraire.

 

Je me suis retourné vers la chaise avant de partir. Il y avait un sweat noir dessus. Il n'y était évidemment pas tout à l'heure.

 

Le flingue était dans ma poche. Je ne l'avais pas remarqué, malgré son poids.

 

Je l'en ai sorti et l'ai laissé tomber par terre. Saloperie.

 

Un dessin tribal apparut sur la porte quand je l'ouvris. On aurait un truc maori ou amérindien. Forte connotation crypto-mystique. Flippe de type corollaire et surtout intense. La réalité était en train de se restructurer, de se rééquilibrer.

 

Je me suis retrouvé  dans la rue sans pouvoir dire comment ni pourquoi.  Il y avait plein de gens, tous avec de drôles d'airs sur le visage.  J'essayai de me fondre dans la masse pour aller quelque part, n'importe où, en sortir. 
Pas rassuré, et avec un foutu blues à cause de la musique qui avait accompagné mon réveil.

 

C'était une grande rue passante, avec plein de magasins de tous les côtés. Si je tournais la tête sur ma droite, je voyais un clodo crever la dalle. Si je la tournais vers la gauche, je voyais la porte qui m'avait amené ici.

 

J'avais pas une thune, alors j'ai évité le clodo. Il m'a regardé d'un air apeuré. Il n'avait pas l'air de vouloir du fric. J'ai eu à nouveau cet étrange pressentiment. Comme si quelque chose de gigantesque se préparait.

 

Et avec tout ce qui s'était passé depuis la baston de fin de concert, je dois dire que j'étais pas trop étonné de la tournure que prenaient les évènements.

 

Je me suis remis à marcher. Au bout d'un moment, j'ai remarqué qu'un truc clochait sévère.  Le clodo avait toutes les raisons d'avoir peur.

 

Les gens qui marchaient face à moi avaient un air plus que menaçant. Freddy Krueger et Pinehead pouvaient aller au vestiaire se déguiser en lampes à rayons UV pour ménagères postrockeuses. Ils avaient l'air franchement malsains, ces gens.

 

L'un d'eux m'adressa un sourire qui ne révéla que des canines.

 

Une femme enceinte ouvrit sa chemise pour me montrer son ventre ouvert en deux par des lèvres monstrueuses aux dents acérées.

 

Un vieux avait une barbe de serpents.

 

Une jeune fille portait un sac de commissions d'où s'échappaient des tentacules humides. Elle avait un regard mêlé de désir et de honte.

 

Un môme d'une dizaine d'années sans sourcils me tira doucement le sweat. «A ton avis, elle a mal ou elle a peur ?»
Il était accompagné par son père, un petit homme dans un smoking noir, sans sourcils non plus, et dont les lèvres restaient serrées, verouillées.

 

Le môme reprit la parole :

 

- Mon père dit qu'il ne sait pas. Mais je n'ose pas lui demander, ça lui ferait sans doute beaucoup de peine.

 

Inutile de vous préciser que j'étais terrifié. Sur une échelle de la flippe de 1 à 10, j'étais au moins à 134.

 

J'ai pris mes jambes à mon cou, et tracé vers la porte rouge et noire. J'ai attrapé le flingue en haletant. Ils allaient sûrement m'attendre pour me tuer. Je me demandais lequel de ces êtres déshumanisés allait m'attaquer en premier. Lequel allait me tuer, et de quelle façon.  Je me passai la main sur le visage et les cheveux. J'étais en nage.

 

Après, je suis bien mort une fois. Pourquoi pas deux ?
J'ai rassemblé le peu de courage que j'avais jamais eu pour ouvrir la porte.

 

Le clodo avait la même tête que tout à l'heure. Mais les gens étaient cette fois-ci tout à fait normaux. L'un deux adressait un sourire Aquafresh à une jeune fille qui faisait ses courses, une femme enceinte accompagnait son père à la barbe blanche, un homme d'affaires en smoking tenait son jeune fils par la main.

 

Rien d'anormal. Rien d'inhabituel. Sauf dans ma tête. Sauf peut-être dans ma tête. Me demandez pas, j'en savais rien. Y en a trop dans mon mental pour faire la part des choses.

 

J'ai caché le pistolet dans ma poche et j'ai essayé de marcher de la façon la plus naturelle possible.

 

La pluie s'est mise à tomber et le cauchemar a recommencé.

 

 

Merde.

 

J'ai sorti le flingue de ma poche, et, sans réfléchir ni fléchir, j'ai tiré dans le tas.

 

 
La femme enceinte me parlait avec ses quatre lèvres en même temps. Dégueulasse. Elle saignait abondamment mais semblait s'en foutre complètement. Elle disait qu'elle était pas encore tout à fait satisfaite, qu'il lui en fallait plus. De son ventre coulait un liquide poisseux qui n'avait rien à voir avec de la salive. Ou en tous cas, pas le genre de salive qu'on trouve dans une bouche.

Putain de bordel de merde-de-qu'est-ce que c'est que ça.

La fille aux commissions avait l'air du même avis. Elle en redemandait, avec le même air pervers et malsain.

 

Sur l'échelle de la flippe, j'étais à 278 sur 10. Je pleurais, et j'aurais prié n'importe quel Dieu de me sortir de là, de me dire que c'était qu'un rêve, qu'un cauchemar de plus, alors que je savais pertinemment que c'était réel, que c'était ça, la réalité, désormais.

 

J'ai vidé mon chargeur sur les déshumanisés. Le vieux est tombé le premier et a disparu dans un nuage de poussière.

 

J'espérais, peut-être naïvement, ne pas tirer sur de vrais gens.

 

J'avais plus de balles. Si un Dieu existe, il repassera. C'est l'heure de se débrouiller tout seul.

 

J'ai repoussé la femme enceinte à coups de pied dans les dents (du bas), et la fille aux commissions à coups de poings dans les dents (du haut).  Je me suis retourné vers le môme et son père. Ils avaient été balayés par le clodo au visage apeuré de tout à l'heure.  Si ça continue, plus rien ne va m'étonner.

 

Quand j'étais hors d'haleine et à court d'énergie à force de frapper dans tous les sens, les choses ont fini par se calmer.

 

La fille aux commissions sortit son poulpe de son sac. Il grimpa sur ses épaules et étendit paresseusement ses tentacules sur sa poitrine.

 

- Recule.

 

C'est le clodo qui avait parlé. Je reconnaissais sa voix.

 

Deux boules noires entourées d'un halo flottaient dans ses mains. Il s'en est servi pour se débarrasser de ces monstres en forme d'humains. Une danse macabre en seulement deux mesures, aussi rapide qu'efficace. Je me croyais dans une histoire de science-fiction ou de superhéros ou des deux.

 

J'avais le souffle coupé, les yeux humides et le cerveau dans tous ses états. Mais c'était fini maintenant.

 

- Est-ce que ça va ?

 

Lui. 
Je ne sais pas qui est ce type et encore moins quel est son plan, peu importe à quel point je le vois souvent. Il dit qu'il est sans cesse en train d'attendre son nom, comme si pour lui c'était ce qu'il y a de plus important, plus encore que tous les trucs qu'il me dit depuis si longtemps, tous ces trucs qui ont fait qu'en un sens, je m'attendais à la fin du monde, même si j'avais jamais pensé qu'elle prendrait cette forme, non, pas cette putain de forme, fantasmagorique, flippante, tortueuse, et traumatisante. 
Je savais que ça arriverait mais pas comme ça, non..

- Qu'est-ce que tu fous là ? Je croyais que tu pouvais pas...

 

Il m'attrapa par le col pour m'aider à me relever.

- Ca commence, reprit-il. Maintenant c'est à toi de faire la différence.

- Foutu contrat.

- Désolé.

Mes yeux brisés lui en disaient plus long que toutes les larmes de l'enfer.


 

 

Samedi 15 avril 2017 à 7:14

Il m'est arrivé le truc le plus improbable qui soit. Non seulement j'avais rencontré miraculeusement le bassiste de génie-idéal-qui-nous-manquait-depuis-qu'on-avait-formé-le-groupe, mais en plus il était quelqu'un de démentiellement cool que je mourais d'envie de connaître davantage – raison pour laquelle je l'ai invité d'une manière qui se voulait la plus naturelle du monde à venir jammer chez moi pour se découvrir accessoirement autour de quelques bières (24), occasion au cours de laquelle il s'est avéré être tout à fait charmant – et bordel il a disparu en plein milieu de la nuit.


Je me suis réveillée, la tête dans le pâté et sûre d'avoir fait des rêves épiques dans l'univers des pirates, avec force tempêtes en pleine mer et craquements de cale, de mâts, et autres structures à base de bois, pour me rendre compte qu'en fait, les sons que j'avais cru entendre étaient bien réels, comme en témoigne la porte de la salle de bains enfoncée à l'intérieur de ladite salle, les gonds défoncés. Il me fallut la soulever et la déplacer pour pouvoir boire un coup, ma tête tournant encore un peu.

Qu'est-ce que c'était que ce bordel ? Que s'était-il passé ? C'était Dan qui avait fait ça ? En était-il seulement capable ? Non, il était bien trop respectueux. A moins que ce ne soit qu'un hypocrite ? Que son trip soit de foutre la merde chez les autres ? 

Je doutais. Je ne le connaissais pas, après tout, mais comment pourrait-on ne pas avoir de vie à ce point ? J'étais perplexe. Après avoir replacée la porte sur ses gonds, je me suis dirgée vers la cuisine en passant par le salon. Quand j'ai ouvert la porte du couloir qui y mène, j'ai senti un courant d'air.

Là, j'ai hallucinurlé.

Des éclats de verre partout. Plein le sol. La vitre de la fenêtre avait implosé en de multiples fracas qui tapissaient le salon.

Je me suis mise à flipper ma race en courant dans tous les sens pour vérifier si rien n'avait été volé.

Ma premère théorie était que des cambrioleurs se seraient inflitrés chez moi en implosant la fenêtre pour me voler des trucs et qu'ils auraient capturé ou tué Dan, qui les aurait vus, mais cette hypothèse a volé en éclats dès que je me suis rendue compte que rien ne manquait à l'appel.

Ca m'a rassurée autant que ça m'a encore plus fait flipper. "Une fois que tu as éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est forcément la vérité."

Sauf que je ne savais pas quoi chercher, et qu'instinctivement, ma colère s'est dirigée vers Dan, même si je savais déjà que c'était irrationnel.

C'est donc enragée que j'ai attrapé ma veste et suis sortie de chez moi dans une colère noire, en me dirigeant vers Prima Cordes, parce que c'était là que je l'avais rencontré, et que c'était au final le seul lieu qu'on avait en commun, à part chez moi, ce sur quoi je ne vous ferais pas l'offense d'argumenter, étant donné le bordel intersidéral laissé par son passage.

Après un coup de bus et quelques centaines de mètres parcourus à grands coups de mes Converse claquées, mon regard fut attiré par un type de dos à la terrasse d'un café. Je ne l'ai pas beaucoup vu mais je reconnaîtrais ces cheveux ébouriffés entre mille.

 
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J'avais rencontré Solenne de la manière la plus improbable qui soit. 

Un jour, en allant à Prima Cordes récupérer ma basse que j'avais laissée à réparer, Gaspard, le patron qui refuse obstinément qu'on l'appelle Kaspar ou même Kasper, m'apprit que j'étais venu la chercher la veille. Il était à peu près aussi surpris que moi, mais, devis de remise avec ma signature et livre de comptes à l'appui, il disait la vérité. Le problème, c'est que je venais à peine de revenir en ville d'un weekend chez ma meilleure amie, à à peu près 200 km d'ici.

C'est donc passablement préoccupé que je suis le café le plus proche. Où avait bien pu passer ma basse ? Qui était ce double qui l'avait récupérée et pourquoi ? Je réfutai la théorie du clone avant même de l'avoir formulée : personne n'aurait d'intérêt à me cloner, surtout pour récupérer une vieille basse qui tomberait en ruine et sonnerait comme le ukulélé de ma grand-mère si je ne m'en occupais pas à tout bout de champ. J'ai donc soupiré en me dirigeant vers le bar dans l'idée de commander une pinte ou un café, je ne savais pas trop encore.

De toute façon qu'est-ce que ça pourrait être à part un clone ? Mon double du -

  - HÉ, TOI !!

Je me suis retourné d'un bond en manquant de me casser la gueule pour faire face à la plus belle fille que j'aie jamais vue. Durant la fraction de seconde que j'ai eue pour pour la regarder avant qu'elle ne m'attaque, je n'ai pas pu m'en rendre bien compte, mais la sensation puissante imprimée dans mon coeur n'avait rien à voir avec son arrivée fracassante.


- Tu me dois des explications, planta-t-elle ses magnifiques yeux verts dans les miens stupéfaits.
- Je... Quoi ? Je comprends pas, de quoi tu parles ?
- Tu te fous de moi ? Prima Cordes, hier. Ne me dis pas que t'as déjà oublié. Je t'invite chez moi, on passe la soirée à faire de la musique et à discuter, et toi tu disparais en me laissant une fenêtre implosée, la porte de la salle de bains sortie de ses gonds, et ta basse. Explique-moi ça.
- Non, c'est pas vrai...

 

Mon double du futur. Ou du passé. Ou d'un autre univers. Ou un métamorphe, mais là ce serait vraiment pas de bol. Tout colle impec. A part que c'est impossible, mais ça, c'est un détail. 

 

- Tu crois vraiment que je serais aussi énervée si c'était pas vrai ?
- La fenêtre, elle était cassée comment ?
- Comment ça ?
- C'était la vitre ou le châssis ?
- La vitre. Tout a volé en éclats. Le châssis tient encore à peu près debout.
- De quel côté, les éclats ?
- Y'en a partout sur le sol, elle a implosé, je t'ai dit.
- Donc le choc venait de l'extérieur ! Ca colle impec !
- Quoi ?
- Conduis-moi chez toi ! Je t'expliquerai en chemin !
- T'as intérêt à avoir une explication solide... Hé !

 

Je l'ai prise par la main et j'ai commencé à courir tout droit.

- C'est par où ?
- De l'autre côté !
- Evidemment.

Vous pouvez dès à présent lancer le thème de Benny Hill, s'il existe encore à votre époque et/ou s'il existe tout court dans votre réalité (On sait jamais).

 - Attends, j'ai une autre preuve, par ici !
- Gaspard.
- Absolument.

Dire qu'on a enfoncé la porte de Prima serait un euphémisme. Hésitez pas à m'envoyer un message pour me dire si la serrure marche encore après ça.

- Gaspard !
- Montre-lui !
- Quoi ?
- Mon devis de remise et ton livre de comptes, dis-je en moins d'une seconde 30. 
- Hé, faut se calmer, les enfants.
- Si on te dit que tu détiens peut-être la preuve qu'il y a eu un phénomène paranormal dans Boredom City, est-ce que tu partages notre excitation ?
- La tienne.
- La mienne.
- Vous êtes sérieux ?
- Je suis pas encore sûr.
- J'ai toujours de sérieux doutes.

Gaspard a sorti les documents qu'il m'avait montrés tout à l'heure.

 - C'était bien hier. Et c'est ma signature. Sauf qu'hier...

Je me mis à farfouiller dans la poche intérieure de ma veste pour sortir un ticket de train.

 - J'étais à Tolose depuis 3-4 jours, et je ne suis rentré à Boredom que vers 23h30/minut, dans le train de 23h10. Et Prima ferme à 18h.
- 19h le vendredi, plaça subtilement Gaspard.
- T'aurais pas pu le dire tout de suite ?
- J'avais des éléments plus immédiats à prendre en compte, et tu m'as un peu sauté dessus. Mais avoue que ça se tient !
- C'est un début, admit-elle.
- Merci pour tout Gaspard, passe une excellente soirée !

On s'est tirés aussi vite qu'on était venus avant que Gaspard ait eu le temps d'ouvrir la bouche.

Vous pouvez remettre la musique de Benny Hill.

- Qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui ?
- Je t'ai cherché partout, j'ai même pas pris le temps de nettoyer le bordel que... tu ? As fait.
- Impec.
- Ca va, les chevilles ?
- C'est pas ça.
- Quoi, alors ? 
- Les éclats de verre seront toujours là.
- Arrête de marcher si vite, tu sais même pas où j'habite !
- T'as une boussole ?
- Non...
- Alors continue de me suivre !

Je n'avais encore jamais été si excité de toute ma vie.

- Où est-ce qu'on achète une boussole ?
- Mais tu te fous vraiment de moi !?
- Non ! Où est-ce qu'on achète une boussole ?
- J'en sais rien, moi, dans un magasin de sport ?
- Excellente idée !
- Il y a un Naturkompaniet deux rues plus loin.
- Tu es la demoiselle de la situation.
- Tu peux m'appeller Solenne.
- Tu es la Solenne de la situation.

Nous avons tracé dans le magasin façon Looney Tunes et en sommes ressortis dix minutes plus tard, armés de notre précieuse acquisition.

- Il te faut autre chose ?
- Une radio et un ampli, mais ça, je pense que tu as.
- Effectivement. Suis-moi.

Je me délectais de la situation et du fait qu'elle ne me demandait pas pourquoi on allait avoir besoin de tout ça. Vivre ça avec une demoiselle aussi exceptionnelle était incroyable et inespéré.

Je l'ai suivie jusqu'à l'arrêt de bus, qui est arrivé en même temps que nous. Parfait.

- Préviens-moi quand on sera à 100/200m de chez toi.
- D'accord.

Il y eut un bref silence.

- Voilà.
- Ok, fais comme moi, dis-je en sortant mon portable. Demande à ton GPS où on est.
- Houlà.
- 3, 4...
- San Francisco, Californie, lâchâmes-nous en choeur. 
- Attends ! Là c'est Boredom (toujours en choeur).

Ma main au feu qu'elle avait compris. Elle ne disait toujours rien quant à mon comportement. Peut-être même ne me trouvait-elle pas dingue. Sublime Solenne aux yeux verts et au corps délicieux.

Hum. J'ai sorti mon casque.

- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vérifie une théorie.
- Ca te dirait d'arrêter de te la jouer "Trust me, I'm the Doctor" ? 
- J'écoute la radio pour voir si les infos signalent quoi que ce soit d'inhabituel qui se serait produit dans la nuit d'hier et qui aurait encore des conséquences aujourd'hui. Je me disais que Gaspard aurait pu nous en parler, mais il n'écoute que la playlist infinie de Prima Cordes, jamais NRP. Si je trouve rien, je regarderai sur Internet.
- Qu'est-ce que tu cherches ?
- Je ne sais pas encore. Ou plutôt, je ne suis pas encore sûr. Mais à mon avis, y'a de fortes chances que ce soit épique.

Elle a souri tout grand. C'était magnifique, mon coeur en a raté trois battements.

"Boredom City News, c'est tout de suite sur NRP, Notre Radio Pirate !"

Jackpot.

"Bonjour, vous écoutez NRP, il est 18h. Tout de suite, les titres du journal. Comme vous le savez peut-être si vous êtes des couche-tard ou autres noctambules, nous avons expérimenté un blackout hier soir, puisque tous les systèmes électriques se sont arrêtés entre 2h et 3h du matin. Plus étrange, il nous a été rapporté que l'ensemble des systèmes électroniques ont eux aussi cessé de fonctionner, téléphones portables, ordinateurs -même les portables sur batterie-, montres et même des baromètres. Selon nos enquêteurs, tous les dispositifs électriques et électroniques ont cessé de fonctionner pendant une durée d'environ une heure. Cependant, grâce aux miracles de la technologie moderne sur-synchronisée, la plupart d'entre vous ne s'est rendue compte de rien. Ceci dit, ce qui aurait pu ne sembler être qu'un bug généralisé - et fort peu compréhensible par le commun des mortels au demeurant - s'est avéré assorti d'évènements pour le moins insolites, pour ne pas dire étranges : En effet, un certain quartier de la ville expérimente depuis hier soir quelque chose sans précédent : à cet endroit précis, dont nous tairons la localité pour éviter un phénomène de masse, vous pourrez autant jouir d'une chance insolente que vous retrouver à vivre dix ans de malheur en cinq minutes. Espérons que les choses reviennent rapidement à la normale, en attendant nous vous tiendrons au courant sur NRP, Notre Radio Pirate !"

J'ai coupé à ce moment-là. J'avais tout ce qu'il me fallait, et le sourire victorieux en prime. 

- Je crois que j'ai raison.

- C'est là, dépêche !

Elle était déjà devant la porte du bus. Je me précipitai hors de mes pensées pour la retrouver avant de me faire bouffer par les battants en train de se refermer.

On est allés chez elle en courant dans un élan d'évidence. Ouvert la porte en grand. Maintenant il allait falloir se maîtriser et procéder étape par étape en évitant de trop se la raconter. (Ce qui est difficile quand on se rend compte qu'on est le Docteur.)

Les éclats de verre tapissaient le sol, la fenêtre avait bien été éclatée de l'extérieur.

- Passe-moi le balai, je vais te le passer. C'est la moindre des choses.

Il aura fallu cette maladresse grammaticale pour qu'elle me regarde bizarrement.

 

Je calai une clope entre mes lèvres et nettoyai les éclats de verre.

 

- Ca te dérange si je fume à l'intérieur ?
- Non. Fais comme chez toi.
- Je peux me mettre à la fenêtre, si tu préfères. 
- Ce qu'il en reste. Dis voir, tant qu'on est en pause, là... Tu veux bien me dire ce que tu as entendu à la radio ?
- En gros tous les systèmes électroniques ont cessé de fonctionner hier entre 2h et 3h, même ceux qui étaient sur batterie. 
- Je crois qu'on a la même idée sur ce qui est arrivé hier soir.
- Peut-être. 3, 4...
- Vortex.

Troisième choeur en moins d'une heure. J'ai sorti la boussole. L'aiguille s'est fixée sur la fenêtre. Enfin vers la fenêtre. Mais violemment.

- Laisse-moi deviner, ton salon est...
- Orienté plein sud.
- OUI ! Je le savais ! Ha-ha ! Au tour de l'ampli, maintenant !
- Tu as un All Mars derrière toi.
- Ni-ckel.... Allez, parle-moi, Billy !

Je l'ai branché et orienté vers la fenêtre avant de l'allumer. Il s'est mis à biper, comme quand quelqu'un reçoit un appel ou un message en répète. A mesure que je rapprochais l'ampli de la fenêtre, les bips s'intensifiaient.

- T'as oublié quelque chose, tu crois pas ?

Elle me sortit de mes pensées pour pointer du doigt ma basse, encore dans sa housse.

- Oh ! Dans mes bras, ma beauté ! Tu m'as horriblement manqué !

Je dénudai mon instrument pour lui faire le plus ridicule des câlins. Solenne rit gentiment, amusée. Elle se détendait.

- Concernant le vortex...
- Oui ! Tu as raison, toussai-je dans l'espoir de retrouver un semblant de contenance et de respectabilité.
- Je vais chercher la radio.
- Tu es merveilleuse.

Elle tourna la tête vers moi et son regard étincela en même temps que son sourire. Cette fille est beaucoup trop magnifique pour ce monde.

- Chasser un vortex le premier soir. Meilleur rencard de tous les temps.
- Le pire c'est que t'es pas ironique.
- Le pire. Après ton double était pas mal non plus.

Ca devenait gênant. J'ai préféré couper court. Restons professionnels, que diable.

- Comment on atteint la rue derrière la cour ? 
- Suis-moi.

En chemin, je dégainai à nouveau mon téléphone et en rallumai le GPS, rafraîchissant régulièrement la page toutes les 20 à 30 secondes. La radio de Solenne diffusait pour le moment de la musique, ou des gens faisant des "Euuuuh" extrêmement longs entre deux phrases et parlant de sujets pseudo-intellectuels et réellement ennuyeux, quand elle passait sur Frank-Sverige Kultur.

- Passe sur une fréquence neutre, on va finir dingues sinon.

- T'es sûr que c'est la bonne direction ?

 Je ressortis la boussole.

- Ouaip. Toujours tout droit.

La radio se mit à grincer et à se brouiller, tout en bipant. Selon mon GPS, nous étions à Cardiff, Wales, UK. Enorme. Deux secondes après, Boredom à nouveau.

- Dommage que le vortex soit sans doute plus là.
- Ne me dis pas qu'on traque autre chose que de l'énergie résiduelle avec les moyens du bord; c'est pas comme si personne n'aurait remarqué un énorme trou de ver en plein milieu du ciel.
- A une époque où on fait pas attention à son voisin de palier ? Dis voir... Tu crois que mon double est toujours vivant ?
- Il y a encore deux heures, je ne pensais pas que les vortex existent ailleurs que dans la SF bon marché, alors te dire comment ça fonctionne...
- Je ne sais pas ce qu'il y avait entre vous, mais je veux pas être un remplaçant.

Elle garda le silence, et moi ma théorie sur le fonctionnement du trou de ver.

Le GPS pétait les plombs et la radio, nos oreilles, ses bips s'intensifiant à mesure qu'on s'approchait d'un parc.
San Francisco, Californie. Puis Boredom City. Le bus était passé par là, tout à l'heure.
Plus clair encore, les gens qui passaient par là étaient soit au comble du bonheur, soit au trente-sixième dessous, soit dans la rage la plus totale. Et ils étaient nombreux. Certains brandissaient joyeusement des billets de 30 000 couronnes, d'autres hurlaient de douleur dans leurs portables, d'autres encore s'enrageaient contre la dixième merde de chien dans laquelle ils venaient de mettre les pieds.

Solenne leva la radio au-dessus de sa tête, les yeux serrés par la douleur, et le bruit se fit plus fort que jamais.

- Arrête ça ! T'es pas bien ?
- Je veux le retrouver. Je veux comprendre, dit-elle en coupant finalement la radio qui n'en pouvait plus de crisser.
-   Quand j'ai écouté NRP depuis mon portable, dans le bus, tout à l'heure, ils ont parlé d'un quartier où la chance était complètement déréglée.
- Et alors ?
- Alors regarde ! Ca veut dire qu'on y est !

Elle s'est tue et ses yeux se sont écarquillés. Jamais nous n'avions vu pareil spectacle. Une définition vivante de l'impossible.

- Apparemment, l'origine du vortex était juste au-dessus de nous. Il est parti de là pour aller jusque chez toi. 
- Dans le salon..
- Oui..?
- C'est là qu'il a dormi.
- Je crois que j'ai une idée. Ca te dit une soirée films ?



Dimanche 16 avril 2017 à 1:58

 A MODIFIER

Salut toi. J'm'appelle Soda, et c'est moi qui vais raconter ce chapitre. Je sens qu'on va bien se marrer, tous les deux. Parce que les histoires de fin du monde, c'est un peu comme les fondues : C'est convivial, ça rapproche les gens, mais on y voit pas grand-chose. 

Du coup, tel un maître d'hôtel-hiérophante-du-bon-goût, j'arrive pour vous expliquer des trucs, du haut de mes 207 ou 208 ans. Peut-être plus. Je sais jamais.

 

Ah oui, je suis un démon, détail important. Je ne suis pas une âme, juste une conscience (et là la plupart des spiritualistes de bas-étage sont en train de développer des métastases cérébrales, parce que oui, l'âme n'est pas forcément la conséquence logique de la conscience. On peut très bien avoir l'un sans l'autre. Regardez les vampires dans Buffy. Bon. Voilà. Maintenant arrêtez de râler et de vous prendre la tête et écoutez-moi.)

 

208 ans (ou 207) c'est encore jeune pour un démon. (Fermez-la, vraiment.) Je suis pas particulièrement sage ou expérimenté, comparé aux autres. Je passe le plus clair de mon temps ici, à Shell Haven, à analyser les destins et contrôler le cycle des âmes, c'est mon rôle, mon travail. Ensuite je fais des rapports à Karma, qui va décider d'envoyer des Banshees ou des Damantes, selon les cas. Ces races ont de grands pouvoirs, et elles servent à équilibrer l'univers pour éviter qu'un jour tout se casse la gueule.

 

Comme mon taf est plutôt simple -hey, j'suis un démon, Baby-, je peux me permettre de passer le moins clair de mon temps avec des succubes ou, plus rarement, dans le "réel" (très régulé, du coup).

 

J'y vais pour profiter des paysages et fuir un peu la routine du boulot, même si ça implique de me déguiser en humain sous couvert d'une incarnation temporaire, ce qui est plutôt embarrassant, je ne vous le cache pas. Je sais vraiment pas comment vous faites avec toutes ces limitations. 


Là, j'étais au boulot, dans la tour de Karma, à Shell Haven, les deux pieds sur le bureau en train de rêvasser quand quelqu'un a frappé à ma porte.  C'était la première fois depuis des lustres.
Plus dingue encore, ce fut Karma en personne qui entra. Imaginez-vous une vague d'énergie qui investit COMPLETEMENT la pièce où vous vous trouvez. Maintenant dites-vous que cette vague n'est qu'un milliardième de milliard de je ne sais pas combien de quantième de l'énergie qu'elle représente, c'est-à-dire de l'énergie qu'elle est en réalité. On pourrait parler de potentième, si ça vous parle. 
Pour vous donner une idée, si le milliardième de milliardième de cette quantité que je viens d'évoquer à l'instant rentrait chez vous, vous sombreriez instantanément dans la folie la plus totale pendant un laps de temps qui ne pourrait pas durer plus d'une minute, moment fatidique à la suite duquel vous décèderiez fatalement d'un anévrisme dû à votre incapacité physique et mentale à appréhender la nature du bordel outrageusement métaphysique remettant en cause toutes vos règles du temps et de l'espace qui se serait alors imposé à vous. Ah oui, Shell Haven se situe à la lisière du temps. Si vous avez vu Lost, vous pouvez considérer cet endroit comme étant le centre initiatique primaire de l'Univers. Je sais pas si ça vous aide mais hey, je fais ce que je peux, hein. 

 


- Il faut que je te parle. Comment ça se passe de ton côté ?

Imaginez une voix tonitruante qui résonne dans votre tête. Vos trompes d'Eustache résisteraient pas. 

- Pourrait être pire. L'équilibre des destins tient le coup. Et toi ?

- Ma chaîne commence vraiment à poser problème.

 

Ah ouais. La chaîne de Karma.

 

Comme son nom l'indique, et surtout comme vous l'aurez compris si vous m'avez suivi tout à l'heure, Karma est... ben... pas vraiment palpable. C'est une entité multiplanaire, qui se matérialise dans la forme qu'il veut, quand il le veut, suivant un rituel bien précis : rester insaisissable, agir au bon endroit quand rien dans l'Univers ne peut le faire à sa place, et le tout dans le délire de conserver l'ordre des choses à travers le temps et l'espace.
Il représente plus ou moins la même chose que le Cosmos pour les Grecs et Dieu pour les catholiques, si l'un des deux vous parle. 
De mon point de vue, eh bien... Disons simplement qu'il est ce qui se rapproche le plus d'un dieu dans tout ce que j'ai expérimenté en deux siècles d'existence. Et vu que mon boulot est de gérer les destins, vous pouvez en déduire que Karma est très probablement ce à quoi vous faites référence quand vous parlez de Dieu.

 

Un immense network énergétique qui circule entre les gens, les choses, les idées, les faits. Le hasard, la fatalité, tout ça, c'est lui.

 

Ici, à Shell Haven, dans un plan bien supérieur à celui du réel que vous connaissez, Karma ne ressemble à rien de ce que vous ne pouvez concevoir. J'en ai donné plus tôt la description la plus complète possible, pour le reste, vous ne pouvez normalement pas l'appréhender, si on a réussi et que vous êtes humains. Et surtout, vivants. Mais nous n'en sommes pas là.  
- Le paradoxe grandit, reprit-il. Le juste et l'écorché vont se rencontrer à nouveau dans un autre plan.

Il m'emmerde, avec ses phrases sybillines.

- Tais-toi. Tu sais de qui je parle, Soda.

Ses mots ont résonné si fort dans ma tête que j'ai cru qu'elle allait exploser. Je me suis senti aussi faible qu'un homme, et c'est peut-être ce jour-là que mon inconscient a décidé de m'apprendre l'humilité, quoique je restais un démon, arrogant par nature.

- Je n'ai que peu de temps à te consacrer, me défonça-t-il à nouveau le crâne. "J'ai besoin que tu m'écoutes."

- Tout ce que vous voulez, Master, me tus-je.

- Si j'en crois tes derniers rapports, le monde que nous nous devons de protéger va droit dans le mur.

- C'est vrai. Malgré tous les évènements de ces dernières décennies qui ont conduit à une paix relative, de nombreuses inégalités subsistent, et surtout, l'humain n'arrive pas à évoluer de manière concluante - si l'on excepte quelques êtres minoritaires qui tirent leur épingle du jeu. Pour autant, l'équilibre des destins tient encore le coup.

Karma eut un silence. En deux siècles, ce n'était jamais arrivé.

- Trouve-moi ce groupe.

- Quoi ?

- Tu m'as très bien compris. 

Il est excessivement rare de tomber sur un démon surpris. Vous avez vraiment de la chance.

- Je vais déclencher la fin du monde.


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