Samedi 29 novembre 2008 à 20:25

Bonsoir et bienvenue dans L'Envers du Décor.


C'est un Orjan épuisé par la fac, sa basse et un bouclage tardifs de 3 chapitres en même temps qui vous parle. J'avoue que les dernières mesures étaient pas faciles. Entre ma famille en or et le retour en force de la mentalité fac, j'aurais eu de bonnes raisons de me défenestrer.
Je ne l'ai pas fait, par égard au meilleur que l'avenir me réserve (et en espérant que le pire est derrière et que l'effet ressort ne tarde plus trop), et puis aussi parce que j'ai pas d'étage dans ma petite maison.

Donc je vous demande tout de suite un peu de compassion.

En plus je suis bien con, parce que le sujet que je compte aborder avec vous ce soir mérite beaucoup de vannes et d'humour, ce que je ne suis pas sûr de pouvoir assurer ce soir.

Mais, bordel de scheisse, il faut savoir se faire violence ! D'autant que le sujet le mérite.

En effet, il y a quelques temps, je suis retombé avec émotion sur Guild Wars. Un CORPG (Coopérative Online Role Playing Game, pour ceux qui ne parlent pas trop le gamer) enchanteur basé sur de très bonnes idées (et de très belles musiques dont je ne peux malheureusement plus profiter, j'ai des problèmes de son avec mon ordi) et qui s'avère assez prenant.

Bon, vous vous doutez bien que je vous raconte pas tout ça sans but.

Evidemment, je vais râler.

Parce que dans Guild Wars...


IL Y A LES NOOBS.

Terreur de l'honnête joueur, le noob est aisément reconnaissable à bien des égards.
Et heureusement.

Premier signe particulier : Il ne sait pas écrire.

Il est donc fréquent de voir des spécimens s'exprimer de la façon suivante : " ch gpe pr coop" (dans le meilleur des cas), "nan ge lé déga fé" (dans le pire des cas), "té bonne twa" (Dans le pire des pires des cas, si vous avez choisi de jouer une fille. Mais pour ce point-là, comme dirait PPDA, on va y revenir.)


Deuxième signe particulier : Il a des goûts de chiottes et il ne sait pas écrire.

Il est donc monnaie courante de croiser des Xx Darqueblayde xX, des Dedd Warior of Kaos, ou même des Clara Morgane (Véridique !)

Troisième signe particulier : Vous ne l'avez pas vu venir, il porte un nom à peu près normal et il ne fait pas trop de fautes, bien qu'il parle sms. Vous avez accepter de partir guerroyer avec lui, seulement voilà...


Il ne sait pas jouer.


En général, il joue un Guerrier / Moine, ce qui signifie sur le papier qu'il peut prendre bcp de dégâts dans la face, taper fort, et vous soigner tous les deux.
Donc, vous, très jouasse (quel que soir votre perso, hein), vous ne vous doutez de rien...

Et là, c'est le drame. Il ne sait toujours pas jouer.

Bon, d'accord, il allait pas apprendre à jouer entre temps. Et cette blague est nulle.
Mais bref.


Je vous la fait courte (CTB, comme diraient mes amis geeks), la mission se solde par un échec retentissant, vous vous retrouvez assailli(e) de tous les côtés par des monstres velus ou à poils ras, aux dents longues et à l'haleine qui vous rappelle vaguement votre prof de bio de terminale, quand vous vous rendez compte que le noob est déjà mort.

Un de moins.

Remis(e) de cet échec (car il faut bien, autrement on n'avance pas), vous décidez de la jouer plus fine.

"Cherche joueurs lettrés pour faire une mission. Analphabètes s'abstenir"

Ignorant les appels du type "stp t tro bonne lesse moa venir ds tn grp lol" et "nan ms dsl g ke 13 an mdr", vous finissez par vous dégotter des aventuriers charismatiques (comprenez qui savent faire des phrases de plus de quatre mots) aux pouvoirs incroyables (c'est vrai que ça fait quand même une sacrée différence avec l'autre nase de tout à l'heure).

Et là, c'est le coup de foudre. La révélation. Vous arrivez à brûler la gueule à un troupeau de yétis très énervés à vous quatre. Vous devenez potes, et ils vous invitent dans leur guilde.

Enfin la gloire, pensez-vous, à moi les duels sans pitié contre des noobs illettrés ! Vous sentez déjà les batailles dérangées contre des joueurs du monde entier se profiler à l'horizon ! C'est le triomphe de l'orthographe sur le sms ! Un truc de malade qui guérirait l'impuissance de Bernard Pivot ! C'est grave du lourd, quoi !

Sauf qu'un jour, dans le canal "Guilde", vous revoyez quelque chose que vous auriez souhaité ne jamais revoir.

Un sentiment indicible s'empare de vous.
C'est indéniable, ce type avec un nom à coucher dehors sans préservatif n'a jamais entendu parler du mot grammaire.

Et là c'est le drame. La conclusion est sans appel.

C'est un noobausaure rex.


NOOOOOON !!! MONDE DE MERDE !!! Putains d'illettrés vous me laisserez jamais tranquille !!


Bon, j'exagère, mais dans l'esprit, c'est malheureusement ça. Y'a pire que ça aussi. Y'a le noob qui porte un nom à se foutre à poil pour traverser le zoo de Vincennes, du genre "Anakin Mochainchoze".
Par ennui, vous acceptez son invitation. Vous comprenez très vite que c'est une mauvaise idée quand il vous parle sms, mais c'est bon, ça va, vous êtes blasé(e) et vous avez l'habitude.

Mais la mission est d'autant plus difficile que vous êtes le/la seul(e) à faire des dégâts, pour la simple et bonne raison que ce type passe son temps à balancer n'importe quelle compétence n'importe quand (ce qui ne sert à rien, à plus forte raison dans GW), donc il vide sa magie, eventuellement sa vie, et surtout, il piétine vos nerfs pire qu'un bulldozer.

Action / Réaction. Derrière votre PC, vous enragez.


"PUTAIN D'ENCULE DE NOOB DE MERDE !! CONNARD DE CONSAGUIN ILLETTRE !! INCULTE ! AUDITEUR DE FUN RADIO !!"

Et autres joyeusetés selon l'humeur.

D'autant qu'après l'échec de la mission, quand vous voulez vous retrouver de nouveaux alliés, l' Anakin Motherfucker balance à tout le monde, comme un gros con :

"prené pa solène elle coné pa lbon chemin" (x 1
0 parce qu'il floode, le benêt)


Alors, là, éventuellement, y'a votre copine / copain qui passait par là, qui s'approche de vous et vous sort un truc du genre : "Heu ça va mon amour ?"

Et c'est vos nerfs qui lui répondent

"NON CA VA PAS, C'EST QU'UN CONNARD D'ABORD, IL M'A RUINE MA MISSION ET C'ETAIT LA QUATORZIEME FOIS QUE JE LA REESSAYAAAAIIISSS !!!"

Régression infantile, vous vous mettez à pleurer comme un môme dans les bras de votre dulciné(e) et vous devenez fou, vous perdez l'usage de l'orthographe et vous devenez un noob à votre tour.


Bon, évidemment j'exagère.

Mais y'a du vrai la-dedans. Surtout quand on joue une fille.

Je me suis éclaté à créer certains des personnages de "SIKO" dans le jeu.
 
Oui, je m'ennuie. 

M'enfin, moi ça m'arrangeait bien, parce que ça me permet de me mettre en jambe pour les parties à venir avec des filles en tant que narratrices.
C'est plus ou moins comme ça que j'en suis venu à jouer Solenne Carpentras.

Je savais pas que Carpentras c'était une ville.
Les noobs se sont vite chargés de combler mon inculture.

"solène tu vien de carpentras ?"
"hé, solenne t bonne"
"jtm pr de vré ds ljeu"
"solenne tu ve te marié ac mwa ?"
"hé, il fait beau à Carpentras ?"

Hallelujah, y'en a un qui connait l'existence de la ponctuation, de la touche "Majuscule" et qui est allé à l'école ! Il reste une once d'espoir !

"nan, pk la dernièr fwoa kji sui alé, i plevé kom vachkipiss"

Ah ouais, j'me disais aussi...


Il faut savoir que Solenne est une Elémentaliste.
Il faut savoir que les Elem sont vachement bien foutues.
Il faut savoir qu'il y a quand même des gros pervers en manque sur GW.
Le genre qui se plante devant vous pendant 20 bonnes minutes, que vous calez pas parce que vous êtes dans votre inventaire, à indentifier des objets, recycler des trucs et des machins, construire des sets de compétences, bref, vous le voyez pas.

Et au bout de la 21ème minute...

"solèn, à poil !" (message répété vingt fois, un peu comme le Anakin Unclefucker)


Là, t'as peur. Même si t'es un mec t'as peur.


"J'abite a 20 minute de carpentras si tu ve on srettrouve ce soir..."

Au secours...


Et là, venue de nulle part (parce que ton ordi n'a pas le son) t'as la musique de Psychose d'Hitchcock qui retentit dans la pièce. Rien que pour toi.

Sans déconner, y'en a qui ont du mal dans la vie. Y'en a même un qui a passé toute une quête à m'appeller Ségolène. Je suis pas de droite et j'ai rien contre l'humour, mais la lourdeur... mon dieu.

Ca mériterait une explikation du docteur, mais là, j'avoue que j'ai ni l'énergie, ni le temps ni l'envie de me lancer dans un truc pareil. Ca attendra.


Malgré tout ça, j'ai cru remarquer qu'il y avait deux ou trois niveaux de lecture dans cet article.
Ca doit être la fatigue.


Il fallait aussi que je vous parle de la fin du monde, enfin d'un mythe de fin du monde, avec le calendrier maya. Apparemment c'est le sujet d'un film a venir, et aussi celui du prochain Tomb Raider.

Ca craint, je vais me mettre à parler que de jeux vidéo si ça continue... D'autant que dans "SIKO", les références à cet univers se multiplient. D'ailleurs je vais laisser là cet article, quitte à y revenir plus tard.

C'est qu'un passage à vide, comme dirait l'autre, et j'espère être bientôt de retour avec des vannes méchantes, des métaphores cyniques, des phrases stylées et un grand café.

Non, je déconne pour les phrases stylées. J'en ai pas la prétention. Et pour l'heure je fais que remplir de lignes un article dont le vide est comparable au passage cité plus haut.

Je vous laisse là, mes petits lapins, sans même vous lâcher une diatribe bien méritée sur les lecteurs noobs (qu'ils parlent en sms ou non) ou vous payer l'apéro.
Quel salaud je fais. Quel connard.

Mais si vous vous ennuyez, j'ai des commentaires absolument fantastiques à vous proposer.
Regardez donc dans l'article "Quand y'en a plus, y'en a encore". C'est pas un remède contre la déprime, mais ça vaut quand même son pesant de cacahuètes.


Sur ce, je vous poste les 3 chapitres de SIKO que j'ai passé les 3 derniers mois à travailler ensemble, je vous souhaite une bonne lecture, en espérant toujours plus de critiques constructives de votre part.



Tired Orjan

Samedi 29 novembre 2008 à 23:58

Dans lequel il n'y a pas encore de point de vue extérieur, mais le monsieur y travaille.
Dans lequel les révélations se cachent entre les mots, pour celui ou celle qui aime chercher et réfléchir quand vient la nuit.
Avec lequel je mériterais de me faire taper sur les doigts pour tous les clins d'oeil. Après on va dire que j'ai aucune originalité, ce qui sera absolument exact.

En attendant le retour ancré et définitif de ma muse, je vous laisse apprécier (si vous y arrivez) ce chapitre.

______________________________________________________________________________________________________

J'ai toujours rêvé d'une vie normale à base de câlins le matin et de steack-frites au restau U à midi, d'opérations refaisage de monde au bar le soir et de fausses prises de têtes pour savoir si le Mc Do vaut mieux qu'un kebab (enfin lequel des deux empoisonne le moins, c'est vrai, ça, c'est une question importante...).

J'ai toujours rêvé d'une vie à base de révisions pour se mettre la pression, pression qui nous fera avoir nos exams, exams qui nous trouveront un boulot, boulot qui nous permettra de nourrir nos enfants, enfants à qui on repassera nos gènes et notre flambeau, qu'on s'efforcera d'aimer du mieux qu'on peut, même si c'est pas toujours facile d'aimer, hein ?

Quand elle est entrée en scène, une partie de moi continuait d'espérer que cette «vie normale» rentrerait en scène un jour.


C'est mon côté innocent.


Je me suis jamais plus senti seul depuis. Plus jamais. J'en avais même oublié pourquoi je voyais son père depuis tout ce temps.

Drôle de coïncidence, d'ailleurs. Mon psy fait aussi «père de la fille de mes rêves». Il fait pas aussi dépôt de pain le dimanche, desfois ?


Y'a pas de hasard.

Mon esprit s'éclaircit. Doc m'a appellé la veille de la fin du monde. Il a dit des trucs bizarres. «Vous serez là» je crois, ou quelque chose dans ce goût-là. Il savait que ça allait se passer comme ça ? Non, peut-être pas, en tous cas il savait que quelque chose se préparait. Ou il le sentait. A moins qu'il m'ait menti et qu'il soit au courant d'absolument tout. Peut-être même que c'est lui qui a tout orchestré ?


Non, là, je psychote trop.


Quoiqu'il en soit, ça expliquerait que Solenne ait pas été impressionnée par les monstres.
Ni par le fait que j'étais parfaitement capable d'éclater ces mastards par rangées de douze, moi qui n'ai jamais été très fort.

C'est vrai, quoi, au collège, il fallait être barraqué comme Vent d'âme pour plaire aux filles, au lycée, il a fallu les impressionner et moi... je brûle à volonté et ça impressionne même pas ma copine. Quelqu'un m'explique ?


Siko avait raison, elle me cache quelque chose...


Il a aussi parlé des humains et de leurs pouvoirs... et puis merde. Je m'étais promis de pas réfléchir avant de l'avoir retrouvée.


 - Allez, viens mademoiselle.

Ouais, je suis taré, je débloque complètement, je parle à ma basse comme si elle pouvait me comprendre. Mais si tout ça n'est qu'un trip dirigé par un mec un peu fou qu'on peut appeler Dieu si ça nous chante, ben alors je trouve ça plutôt logique de discuter avec mon instrument.

Mais c'est tellement réel.


Alors que sont devenus Aurélien, Seb, Pierrot et Kepa ? Où sont-ils ?
Et les autres ?


Merde. Allez, je pense plus, je fonce.


Le campus est embrumé comme un lendemain de cuite. Ou comme l'esprit d'un môme de quatorze ans qui s'apprête à parler à la fille qu'il aime.

Ouais, ça revient à peu près au même. On y voit rien, ici... Heureusement, j'ai toujours mon super-briquet sur moi ! Ouais !

Bon, je reconnais que le fait de pouvoir me déguiser en Torche-man ça m'arrange bien, là...



C'est désert de chez désert. Un peu comme un lendemain de cuite et tout ça.
La musique étrange et magnifique que j'ai déjà entendue s'élève progressivement dans l'atmosphère. On se croirait presque dans Silent Hill.


Silent Hill, hein ?


Hahahaha... J'avais piqué le 3 à Kepa, et au moment de lui rendre, Solenne s'y était intéressée. De près. Du coup j'ai pas pu lui rendre le jeu avant qu'elle l'ait fini deux fois.


Hahahaha... ouais, en fait j'aurais presque pu l'avoir, ma vie normale. Hahaha...


Je me suis mis à rire en regardant le ciel brumeux.


C'était beau... une de ces beautés calmes et sans couleur.


A force d'errer, mes pas m'ont mené devant une cafétéria. Avec un peu de chance, y'aura de quoi m'éclaircir les idées, là-dedans.


Je suis entré. La porte grinçait légèrement. A part le contour de la porte qui était rouge, tout le reste de l'édifice était monochromatique. Du gris, moche et terne.


C'est drôle. Cet endroit si familier me paraît maintenant complètement étranger.


Je me suis baladé du côté du self. Pas le moindre steak dans les bacs. Pas de plateaux, de couverts ni même d'assiettes.


Bon, là, c'est désert, mais le côté snack est peut-être un peu mieux foutu ?


Hum... Pas grand-chose. La machine à café à l'air de fonctionner. Et il reste une chocolatine côté viennoiserie.


Je me demande quelle heure il est. Machinalement, j'ai sorti mon portable. Tiens, j'ai un message. C'est Solenne. «Pardonne-moi. Je t'aime.»


Moi aussi, mais pourquoi pardon ?


Mouais. On verra ça en temps utile.

Je vais finir par acheter des patchs pour arrêter de me prendre la tête.


La chocolatine me remplit le ventre et le café me réchauffe le coeur. Y'a toujours une solution à tout... Je me suis dirigé vers une table avec le même pas détaché que dans le monde réel. C'est vrai, ça change pas tant que ça, et en même temps, c'est radicalement différent.


Mes phrases veulent rien dire et je m'emmêle les pinceaux avec les concordances. Whooo, est-ce que je deviens fou ? Peut-être que tout ça n'est qu'une hallucination consciente ? Peut-être qu'en fait je suis encore au lit avec Solenne et que je fais ce rêve parce qu'on s'est encore envoyés un peu trop haut dans les étoiles... ?


Ouais, si j'me mets à penser ça, c'est que je suis vraiment dingue... définitivement !


J'ai pris une autre gorgée de café en riant. Ouais, c'est franchement cool, si c'est un rêve...

J'ai fermé les yeux pour mieux apprécier le café. D'étranges formes dansaient sur mes paupières, je me sentais pas trop mal.

Quand je les ai rouvertes, mes lunettes étaient pleines de buée. Je les ai retirées pour les nettoyer et là, un truc géant m'a aspiré. Un truc qui n'était pas réel. Ou en tous cas pas physique. Une sensation qui s'imprimait sur mon âme et pas sur mon corps.

J'ai pris peur et remis mes lunettes en vitesse.

Le self était rempli de gens et de bruits. Des tonnes de monde.

Hé, merde ! Ma basse ?! Elle est passée où ? Et depuis quand elle est plus là ? Je suis entré avec, non ? Si ?

Je sais plus.

Merdeeeeeuuuh.


-  Je peux m'asseoir ou t'attends du monde ?
-  Hein ?


Il y avait une fille devant moi, avec un café. Le seul truc qui cloche, c'est qu'elle n'a jamais mis les pieds à cette fac auparavant. Qu'est-ce qu'elle fout là ?

Elle me toisa sans mépris.

-   Si tu préfères, je me casse direct, ça nous évitera à tous les deux une belle prise de tête.
-   Non, attends. 
-   Je suis sûre que tu te souviens même pas de moi, en plus...
-   N'importe quoi !


Sonia, mon amie aux yeux bleus et à la chevelure d'or a 6 mois de plus que moi et un signe particulier : un sale caractère qui fait que je l'apprécie autant qu'elle m'énerve. Cette fille est un peu comme ma soeur. Et ça fait une éternité qu'on s'est pas parlé.

Elle s'est assise sans me quitter des yeux.


-      Hey, frérot, ça fait quand même un bail...


Qu'est-ce que je te disais ?


-     Ouais, c'est vrai, depuis que tu m'as viré de ta vie, ça doit bien faire deux ans. T'as une conception bien personnelle de la famille, toi...

-     Et toi t'es du genre lourd et envahissant quand t'es trop malheureux. T'as une tendance à te détester qui tourne à l'obsession.

-     T'es pas la première à me laisser tomber pour ça, t'inquiète pas. Mais bon, j'en attendais un peu plus d'une soeur, quand même...

-     J'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de bien.


J'ai gardé le silence et je l'ai regardée. Son visage était moins souriant que la dernière fois que je l'avais vue. Elle était moins maquillée aussi. Elle croisa mon regard et ses jambes, puis se gratta.

-    Tu sais ce qui se passe ? me demanda-t-elle.
-    Non. Je sais juste que c'est pas un rêve.
-  Pourquoi y'a tous ces gens ?
-  Ils étaient pas là tout à l'heure.
-  Quoi ?
-  Tu veux dire que t'étais là aussi ?
-  Ouais, j'étais aux toilettes.
-  Et t'étais où avant ?
-  A la maison. J'ai même pas eu le temps de finir mon spliff.
-  Ca t'apprendra.
-  Gnagnagna, monsieur est toujours blanc comme neige, hein !
-  Absolument.


Elle éclata de rire.


J'ai risqué un «tu les as vus ?»


-  Tes poils de cul ? Non...

-  Abrutie, je parle des monstres dehors !!


Elle rangea ses vannes et me regarda avec un sérieux inhabituel.


-  Alors c'était ça ?

-  Quoi, «ça» ?

-  J'ai croisé une drôle de forme, fine et élancée, tu vois ? Dans la brume, je l'ai pas bien vue, je savais pas trop ce que c'était. Mais ça ressemblait pas trop à une étudiante.

-  Merde.

-  Donc, y'a des monstres dehors.

-  Et ça t'étonne pas plus que ça ?

-  Non... En même temps j'suis un peu grise, là.

-Ouais... Je vois le truc. Est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé avant que t'arrives ici ? Y'a rien eu d'inhabituel ?

-  Je sais pas. Maintenant que tu le dis, peut-être que la maison s'est effondrée. Mais c'était peut-être juste le spliff, il était presque pas coupé...


Ok, ma soeur croyait planer jusqu'à la Jamaïque et en fait elle a atterri ici. Elle doit être sacrément déçue du voyage...


-  Hé, à quoi tu penses ? Qu'est-ce que tu regardes ?
-  Rien, rien...

-  Dan, merde ! Tu me caches quelque chose. J'suis peut-être défoncée mais j'suis loin d'être aveugle.


J'ai bu une autre gorgée de café.


-  A chaque fois que tu fais cette tête-là, c'est que tu réfléchis à plein de trucs à la fois. T'essaies de te donner un air neutre mais en fait t'as l'air tellement soucieux que ça doit pas tromper grand-monde...


Je me voyais mal lui dire que j'étais devenu un chaud lapin au point de pouvoir lui allumer ses joints avec un seul doigt.

Je me voyais mal lui dire que ma basse s'était révélée du genre incassable, trouvé un nom, et qu'elle avait disparu je ne sais où.

Je me voyais mal lui raconter la discussion avec Siko, dans le bar.

Je me voyais mal lui raconter le concert qui avait précédé tout ça. Ni les deux jours qui avaient précédé ce concert.


Alors j'ai rien dit.


- Arrête. Ca marche pas avec moi. Laisse tomber et dis moi la vérité.


Si je lui dis ce que j'ai vu, est-ce que ça la mettra aussi en danger ? Est-ce qu'elle disparaîtra elle aussi dans un miasme venu de nulle part ? Comme Solenne...


Solenne...


Bordel où es-tu ?


- Dan. Tu vas me dire tout de suite ce qui se passe.


Avant que j'aie pu décider entre lui dire la vérité ou détaler comme un lièvre pour aller chercher ma Solenne, un pan entier du mur de la cafet explosa littéralement. J'ai même pas eu le réflexe de plonger sur Sonia pour pas qu'elle se prenne les débris. J'ai assisté à la scène comme un gros con. Un bloc de béton de la taille de la table lui tomba dessus.



- SONIA !!


J'ai rien pu dire de plus intelligent.


Non, putain, c'est pas vrai... Il avait fallu la fin du monde pour qu'on se reparle, et là...


Un énorme singe rouge et noir a passé sa tête par le trou qu'il venait de faire dans le mur.


- SALOPERIE !


Aucune réflexion, 3 de Qi et 15 ans d'âge mental, j'ai foncé sur le singe qui devait bien faire 2 ou 3 mètres de haut.

La somme de tout ça me vaudrait au moins un double zéro de conduite.


Le feu a accompagné ma folie et s'est mis à courir sur ma peau. J'étais Super Torche-man et j'étais sacrément vénère. Mon bras droit brûlait beaucoup plus que le reste, bizarrement.

J'en ai profité pour attaquer le bestiau, d'autant que le feu me donnait une sacrée allonge.


Le singe a reculé en hurlant. J'avais brûlé un de ses yeux.


- CA, C'EST POUR SONIA !!
 

A ma grande surprise, le singe me répondit. Et pas d'une voix super grave comme dans les blockbusters hollywoodiens. D'ailleurs, si on avait été dans ce genre de films, j'aurais sauvé Sonia d'une manière ou d'une autre. Et les losers de mon espèce ont pas leur place dans ce cinéma-là.


- Salut, Dannie.

- Hein ?
- J'ai dit «salut, Dannie».


Je me suis calmé d'un seul coup.


- Tu n'aimes pas les gens, hein ? Misanthrope !


Il m'a carré son poing dans les dents. J'ai volé sur une belle dizaine de mètres. Le feu s'est concentré sur mon dos à l'atterrissage. J'ai pas eu trop mal, à ma grande surprise.


- Tu n'as même pas remarqué qu'ils avaient disparu d'ici ! Idiot !


Il m'a tapé une seconde fois. Le feu m'a protégé, encore une fois. Mais ça veut pas dire que je l'ai pas senti passer.


- Et, pire encore, tu n'as même pas réalisé que tu l'avais abandonnée !

- De qui tu parles ?


J'ai attrapé son poing au moment où il a essayé de le me le foutre sur la tronche. Ca le brûlait mais il résistait quand même.


- Tu l'as tuée, espèce d'enculé !

- Oh ? Nous ne parlons vraiment pas de la même personne, Dannie.


La fureur m'aveuglait. J'arrivais pas à comprendre s'il parlait de Solenne ou de Sonia. Le feu brûlait de plus en plus. Le singe a rugi et a reculé tout en me mettant une patate qui m'a cloué au sol.


Ca fait trop mal, putain...


J'ai bien galéré comme il faut pour me relever.


- Rassure-toi, Dannie, ou tu ne tiendras pas.

- T'as tué ma soeur, salopard !


Il ouvrit grand les bras. Des lettres rouge sang sur sa poitrine formaient les mots «Free Hugs».

Lol...


-  Comment le sais-tu ? Tu n'as même pas vérifié, Dannie !


Je lui ai balancé une boule de feu à la tronche.


- Tu n'es pas très gentil avec moi...


J'étais encore plus furax qu'un lendemain d'élections.

Il a allongé le bras pour me frapper, j'ai esquivé et coincé son bras dans une sphère enflammée. Je sais pas trop comment je l'ai fait, mais je l'ai fait.


- Maintenant, tu m'expliques.

- Quoi ? Je t'explique quoi, Dannie ?


Il avait presque l'air gentil.


- Toi. Qu'est-ce que tu es ?

- Rien de plus qu'un reflet, Dannie. Je ne suis rien de plus qu'un reflet.

- Et tu reflètes quoi, hein ?

- Hahahaha... Mais toi, bien sûr.


J'ai même pas eu le temps de réagir à ça qu'il avait déjà disparu.

La cafet était de nouveau vide et des larmes coulaient le long de mes joues alors que je courais vers l'endroit où se trouvait le cadavre de Sonia. Avec l'énergie désabusée de la savoir morte, j'ai soulevé le morceau de mur pour me retrouver nez-à-nez avec un rouleau de papier-toilette.


Merde.


Qu'est-ce qu'il s'est encore passé ?

J'ai filé aux WC comme du vent dans une cage d'escalier. J'ai ouvert toutes les portes à la volée pour constater qu'aucun rouleau ne manquait à l'appel.

J'ai respiré un grand coup pour me calmer.

Plusieurs grands coups, en fait.

Qui sait ? J'aurai peut-être plus de chances avec les toilettes des filles ?


- Hey.


J'ai hurlé avant de reconnaître Sonia, dans l'embrasure de la porte.


- Tu sais que c'est mal d'aller dans les toilettes des filles quand on est un mec ?

- J'te croyais morte, tête d'anguille ! Imbécile ! Sadique ! Tu m'as fait super peur !


Elle a repris son air sérieux. J'ai pris le temps nécéssaire au retour du calme.


- Je sais. Je l'ai vu. Et je sais pas comment, mais j'ai réussi à me sauver le cul comme ça.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je crois que je peux échanger ma place avec celles d'autres trucs autour de moi. Regarde.


Elle a disparu et j'ai engueulé un café.


Je suis sorti en râlant. Elle m'attendait, assise sur la table.


- Alors ? Impressionnant, hein ?


J'ai soupiré un «ouais...» peu convaincant.


- En fait, je crois que c'est comme ça que je suis arrivée ici. Il devait y avoir un truc en commun entre ici et chez moi.

- Peut-être.


J'ai essayé de reprendre le contrôle de mes émotions. C'est pas évident, surtout depuis que j'ai cette espèce de pouvoir. Comme si c'étaient mes sentiments qui se matérialisaient et qui nourrissaient ce feu.
Comme si ce Fireal brûlait mes peurs...


- Il faut sortir d'ici.

- Ouais.


Inutile de demander où on irait.


- Au fait, qu'est-ce que tu lui as mis, au singe ! Je savais pas que t'étais aussi fort que ça !


Elle a vu le singe. Elle m'a vu me battre. Et ça l'étonne pas, elle non plus. J'imagine que quand on se téléporte pour aller aux chiottes, on n'est plus aussi terre-à-terre que quand on y va en marchant. Ou alors c'est l'effet du voyage en Jamaïque sans billet d'avion.


- Je suis pas fort. Je sais pas pourquoi, mais j'ai pas peur. C'est tout.

- T'as bien grandi, p'tit frère !

- C'est ça...


J'ai regardé par la fenêtre. J'ai toujours eu du mal avec les compliments, ça me met tout le temps mal à l'aise.


- Regarde-moi.


J'ai obéi.


-   On va s'en sortir, ok ? On va s'en sortir. J'suis certaine qu'on est pas les seuls à être ici et à avoir des pouvoirs. On va se rassembler et on va revenir dans notre monde.



Ca lui va bien, de dire ça. J'aurais bien aimé la voir en face du singe.



- Ecoute, soeurette. Je comprends rien à tout ce qui se passe ici. Je sais même pas si c'est réel. J'en ai vraiment marre de pas savoir, de pas comprendre. Alors ouais, on va y aller. Mais dis-toi bien qu'il y a peut-être aucun moyen de sortir de cette ville fantôme. Et que s'il y a bien d'autres gens ici, ils auront peut-être pas eu autant de chance que nous. J'aurais très bien pu mourir, tout à l'heure. Et ce sera la même à chaque fois. Si on comprend pas ce qui se passe, on sortira jamais d'ici.


J'ai pas eu le courage de lui dire que notre monde réel n'existait plus. J'étais trop lâche pour lui dire que c'était la fin du monde.


- Mouais. Joue au chef si tu veux, mais ça te va pas.


Je l'ai regardée droit dans les yeux et j'ai fermé ma grande gueule. Elle avait raison.


On est sortis de la cafet, on s'est enfoncés dans la brume.

Et advienne que pourra.



 

 

 

 




 

 

Dimanche 30 novembre 2008 à 19:38

Un chapitre complètement barré que voici. Je trouve. Je crois que ce truc ne peut être que l'oeuvre d'un esprit malin qui se serait glissé dans mon cerveau un jour férié pour s'amuser un peu et fuir la grisaille de son quotidien monotone.
Puisqu'il faut toujours blâmer quelqu'un, blâmez donc ma muse si a vous chante.
Parce que pour le coup, soit elle a pris des vacances sur un coup de tête (et quel coup de pute...) soit elle est carrément dans le coma, et là, c'est vous qui en subissez les conséquences, MALHEUREUX LECTEURS QUE VOUS ÊTES !!
HAHAHAHA !!! Je vais conquérir le monde tout seul avec ma verve pourrie et mon imagination frelatée !
Tremblez pauvres mortels.

Bon, blague à part, je change légèrement la forme du paratexte, pour une fois, mais, encore et toujours, je vous souhaite une bonne lecture.

Orjan, fatigué.

_______________________________________________________________________________________________________

 

Mes yeux se sont ouverts sur une porte blanche et noire. J'étais toujours dans la salle rouge. Une ritournelle de piano obsédante habitait maintenant la pièce. Sur la chaise était écrit «Please suicide here» en lettres de sang. J'ai gardé les yeux fixés dessus pendant quelques instants avant de comprendre un truc tout bête.



J'étais vivant.



Alors que j'étais supposé avoir une balle dans le cerveau, ce qui, normalement, aide tout être humain normalement constitué à ne plus se poser de questions.



J'étais censé être mort entre les murs de cette pièce inconnue.


Et pourtant, non.

 

Et l'inscription sur la chaise... ça veut dire que quelqu'un m'observe.

Quelqu'un qui saurait que j'étais là, tout seul, coincé dans cette pièce exigue, aux murs désespérément plats et sans le moindre interstice où on aurait pu loger ne serait-ce qu'un oeil.

 

Si je suis pas mort, ça veut dire que Dieu existe ?

Un dieu assez magnanime pour laisser la vie à un loser toutes catégories confondues dans mon genre.

Un dieu qui aurait fait apparaître une porte devant moi.

Noire et blanche.


Ca détonne sacrément du rouge, c'est clair.


J'ai frissonné. Il se faisait froid, et la musique ne me réchauffait pas, au contraire.

Je me suis retourné vers la chaise avant de partir. Il y avait un sweat noir dessus. Il n'y était évidemment pas tout à l'heure.

 

Le flingue était dans ma poche. Je ne l'avais pas remarqué, malgré son poids.

 

Je l'en ai sorti et l'ai laissé tomber par terre. Saloperie.

 


Un dessin tribal apparut sur la porte quand je l'ouvris. On aurait un truc maori ou amérindien.

 

J'étais dans la rue. Il y avait plein de gens. Tous avec de drôles d'airs sur le visage.

 

J'ai essayé de me fondre dans la masse pour aller quelque part. N'importe où.

 

J'étais pas rassuré, et en plus j'avais un foutu blues à cause de la musique qui avait accompagné mon réveil.

 


C'était une grande rue passante, avec plein de magasins de tous les côtés. Si je tournais la tête sur ma droite, jevoyais un clodo crever la dalle. Si je la tournais vers la gauche, je voyais la porte qui m'avait amené ici.

 

J'avais pas une thune, alors j'ai évité le clodo. Il m'a regardé d'un air apeuré. Il n'avait pas l'air de vouloir du fric. J'ai eu à nouveau cet étrange pressentiment. Comme si quelque chose de gigantesque se préparait.

 

Et avec tout ce qui s'était passé depuis la baston de fin de concert, je dois dire que j'étais pas trop étonné de la tournure que prenaient les évènements.


Je me suis remis à marcher. Et au bout d'un moment, j'ai remarqué qu'un truc clochait sévère.

Et que le clodo avait toutes les raisons d'avoir peur.


Les gens qui marchaient face à moi avaient un air plus que menaçant. Freddy Krueger et Pinehead pouvaient aller au vestiaire se déguiser en lampes à rayons UV pour ménagères postrockeuses. Ils avaient l'air franchement malsains, ces gens.

L'un d'eux m'adressa un sourire qui ne révéla que des canines.

Une femme enceinte ouvrit sa chemise pour me montrer son ventre ouvert en deux par des lèvres monstrueuses aux dents longues.

Un vieux avait une barbe de serpents.

Une jeune fille portait un sac de commissions d'où s'échappaient des tentacules humides. Elle avait un regard mêlé de désir et de honte.

Un môme d'une dizaine d'années sans sourcils me tira doucement le sweat. «Tu crois qu'elle a mal ? Ou plutôt qu'elle a peur ?»

 

Il était accompagné par son père, un petit homme dans un smoking noir, sans sourcils non plus.


Le môme reprit la parole :


- Mon père dit qu'il ne sait pas. Mais je n'ose pas lui demander, ça lui fera sans doute beaucoup de peine.

 

Inutile de vous préciser que j'étais terrifié. Sur une échelle de la flippe de 1 à 10, j'étais au moins à 142.


J'ai pris mes jambes à mon cou, et j'ai tracé vers la porte rouge et noire. J'ai attrapé le flingue en haletant. Ils allaient sûrement m'attendre pour me tuer. Je me demandais lequel de ces êtres déshumanisés allait m'attaquer en premier. Lequel allait me tuer. Et de quelle façon.

Je me suis passé la main sur le visage et les cheveux. J'étais en nage.


M'enfin je suis bien mort une fois, non ? Pourquoi pas deux ?


J'ai rassemblé le peu de courage que j'avais jamais eu pour ouvrir la porte.


Le clodo avait la même tête que tout à l'heure. Mais les gens étaient cette fois-ci tout à fait normaux. L'un deux adressait un sourire Aquafresh à une jeune fille qui faisait ses courses, une femme enceinte accompagnait son père à la barbe blanche, un homme d'affaires en smoking tenait son jeune fils par la main.


Rien d'anormal. Rien d'inhabituel.


J'ai caché le pistolet dans ma poche et j'ai essayé de marcher de la façon la plus naturelle possible.


La pluie s'est mise à tomber.

Et le cauchemar a recommencé.


Merde.


J'ai sorti le flingue de ma poche, et, sans réfléchir ni fléchir, j'ai tiré dans le tas.


La femme enceinte me parlait avec ses quatre lèvres en même temps. Elle saignait abondamment, mais semblait s'en foutre complètement. Elle disait qu'elle était pas encore tout à fait satisfaite, qu'il lui en fallait plus. De son ventre coulait un liquide poisseux qui n'avait rien à voir avec de la salive. Ou en tous cas, pas le genre de salive qu'on trouve dans une bouche.


Merde.


La fille aux commissions avait l'air du même avis. Elle en redemandait, avec le même air pervers et malsain.


Sur l'échelle de la flippe, j'étais à 278 sur 10. Je pleurais, et j'aurais prié n'importe quel Dieu de me sortir de là, de me dire que c'était qu'un rêve, qu'un cauchemar de plus.


J'ai vidé mon chargeur sur les déshumanisés. Le vieux est tombé le premier, et a disparu dans un nuage de poussière.

Putain mais c'est quoi ce délire ? Je tire pas sur des vrais gens, au moins ?


J'avais plus de balles. Si Dieu existe, il repassera. C'est l'heure de se débrouiller tout seul.

J'ai repoussé la femme enceinte à coups de pied dans les dents (du bas), et la fille aux commissions à coups de poings dans les dents (du haut).


Je me suis retourné vers le môme et son père. Ils avaient été balayés par le clodo au visage apeuré de tout à l'heure.

Si ça continue, plus rien ne va m'étonner.


Les choses se sont un peu calmées.


La fille aux commissions sortit son poulpe de son sac. Il grimpa sur ses épaules et lui étendit paresseusement ses tentacules sur la poitrine.



- Recule.


C'est le clodo qui avait parlé. Mais je connaissais sa voix depuis longtemps.

Deux boules noires entourées d'un halo flottaient dans ses mains. Il s'en est servi pour se débarrasser de ces monstres en forme d'humains. Une danse macabre en seulement deux mesures, aussi rapide qu'efficace.


J'étais hors d'haleine, les yeux humides et le cerveau dans tous ses états. Mais c'était fini maintenant.


- Hé, ça va ?


C'était lui.


Le mec étrange que je vois de temps en temps.

Celui que j'ai vu dans la rue, avant d'aller au Krakatoa, quand je me suis battu avec Baptiste et Fred.


Je ne sais pas qui est ce type. Il dit qu'il est sans cesse en train d'attendre son nom.

J'ai jamais trop su ce que ça voulait dire, mais pour lui, rien n'est plus important.

Il m'aide à comprendre, il est là quand j'ai besoin de lui, sans contrepartie.

Et c'est quelqu'un qui sait beaucoup de choses.




- Qu'est-ce que tu fous là ? Je croyais que tu pouvais pas...


Il m'attrapa par le col pour m'aider à me relever.



- Tu vois bien que si. Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être... En fait elles ne le sont pratiquement jamais. Mais il faut accepter les apparences pour les dépasser.


J'ai essayé de faire le tri dans mes pensées.

C'est pas facile.



- Je suis mort ?

- Tu vois bien que non.

- Et tout ce bordel, c'était quoi ?

- Une illusion. Ou plutot une diversion. Comme mettre un sens interdit sur une entrée, ou un masque sur un mannequin de vitrine. Aussi absurde que cela puisse paraître, beaucoup de choses sont ainsi faites. Et l'illusion n'est pas toujours là où l'on croit.

- Je comprends pas tout... Il s'est passé quoi, au concert ? C'était qui cette fille qui m'a amené dans le trou ?




J'étais partagé entre le sentiment de ne rien contrôler, l'énervement qui en découlait, la frustration de ne pas comprendre et une étrange impression de déjà-vu, comme si tout ça était en fait complètement logique.

 

- Je ne sais pas qui est cette fille. Par contre je sais que c'est la fin du monde.

- La fin du monde ? Alors pourquoi on est là ?
- C'est une réalité alternative. Tout le monde en a une. Tu peux voir ça comme un univers intérieur qui prendrait vie en lieu et place du monde réel qui n'existe plus.
- C'est une illusion ? Tout ça c'est qu'une illusion ?


Il sembla réfléchir. Ca lui arrive rarement.


- Non. L'illusion c'était juste les gens que tu as vus. Ces... monstres n'existent pas. Ils sont le fruit de ton imagination, et ce monde a le pouvoir de les matérialiser.

- C'est mes peurs ? C'est juste mes peurs ?


J'avais une voix de plus en plus tremblante. J'avais mal à la tête, et en même temps, je savais qu'il n'y avait pas d'issue de secours. Pas cette fois-ci.



- Si tu veux, c'est une bonne définition. Ce monde fonctionne comme une ville fantôme qu'on peut remplir de ses souvenirs, de ses rêves, ou de ses désirs.

- C'était plutôt un cauchemar, ça...


- C'est vrai. Mais il existe plusieurs réalités parallèles au sein de ce monde. C'est un peu compliqué, je t'expliquerai tout ça plus tard.


J'ai senti qu'il ne me disait pas tout. Mon cerveau était HS, mais j'avais la conviction qu'il me cachait quelque chose. Peut-être même qu'il me mentait.

En tous cas je suis encore plus parano depuis cette histoire de fin du monde. C'est pas étonnant, en même temps, mais bon...




- Et la salle rouge ? Là où je suis...mort...


- Elle fait partie des choses qu'on ne choisit pas. La fin du monde était dans l'ordre des choses, et quelqu'un t'a amené ici. Rien n'est hasard.

 

Je me sentais comme un pantin sans volonté, aux pensées saturées par le manque de réponses. Et le bougre se contredisait. Ou alors c'était moi qui n'arrivait plus à rien comprendre.


- Ca veut dire que le monde va toujours rester dans cet état ?

- Non (il parut à nouveau embarrassé). Ce monde vous appartient, désormais. La fin d'un cycle est forcément le début d'un autre. Et là, c'est à vous de changer les choses (Il sembla se ressaisir).


- Et qu'est-ce que je fais, moi, dans tout ça ? Et puis où sont les autres, d'abord ? Où est passé le reste du monde ?


J'avais un peu honte de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je me sentais égoïste.




- Ne t'en fais pas pour ça, tu le sauras bien assez tôt.

 

Il me sourit.


-  Viens avec moi.

 





     

Dimanche 30 novembre 2008 à 22:43

Un tout petit paratexte pour ce chapitre, j'ai peur de trop vous en révéler avant même que ça n'ait commencé.
Il est possible que j'ai laissé quelques incohérences, donc n'hésitez pas à me les faire remarquer.
Pour les critiques, lettres d'amour, menaces de mort etc, vous savez où ça se passe.

Lâchez un petit commentaire et hop ! C'est magnifique, c'est merveilleux, comme chez Nikos.

Bonne lecture les ptits lapinous !

Orjan, qui va se coucher.


_______________________________________________________________________________________________________

- Chérie, c'est décidé, j'tinvite chez Mc Gerbal...


...Ah ouais, c'est vrai, t'existes pas.



Salut toi. J'm'appelle Soda, et c'est moi qui vais raconter ce chapitre. Je sens qu'on va bien se marrer, tous les deux. Parce que quand on est dans une histoire de fin du monde, c'est un peu comme quand on se partage une fondue.
C'est convivial, ça rapproche les gens, mais on y voit pas grand-chose.
Alors pour que mon personnage ait une quelconque utilité, je vais vous expliquer quelques trucs. Et pour avoir un peu plus d'épaisseur, je vais me présenter : je m'appelle Soda, j'ai 207 ou 208 ans. Je sais jamais.


Face à ton air ahuri, je m'explique : Je ne bois que des boissons gazeuses, genre Coca ou Dr Pepper. D'où mon nom. En fait c'est mon surnom. Je sais jamais.


Ah oui, je suis un démon. C'est peut-être bon de le préciser (quoique, si tu as lu les premiers chapitres de Kepa, tu devrais déjà le savoir). Et celui qui prononce le nom d'un démon devient un démon à son tour. Et c'est très dangereux. C'est pourquoi j'ai décidé d'oublier le mien. De toute façon plus personne ne s'en souvient.


208 ans (ou 207) c'est encore jeune pour un démon. Je suis pas particulièrement sage ou expérimenté, comparé aux autres. Je passe le plus clair de mon temps ici, à Shell Haven, à analyser les destins et contrôler le cycle des âmes.


C'est mon rôle. Ensuite je fais des rapports à Karma, qui va décider d'envoyer des Banshees ou des Damantes, selon le cas. Ces races ont de grands pouvoirs, et elles servent à équilibrer l'univers, pour éviter qu'un jour tout se casse la gueule.


Comme mon travail est plutôt simple (hey, j'suis un démon baby, oublie pas !) , je peux me permettre de passer le moins clair de mon temps avec des succubes (des démones, baby !) ou, plus rarement, sur Terre.


J'y vais pour profiter des paysages et fuir un peu la routine du boulot. Mais je dois me déguiser en humain pour ça, et c'est plutôt embarrassant.


Donc là, j'étais au bureau, dans la tour de Karma, à Shell Haven, les deux pieds sur le bureau en train de rêvasser quand quelqu'un a frappé à ma porte.

 


C'était la première fois depuis des lustres.

 


Et ce fut Karma en personne qui entra.



- Salut, Soda. Ca va comme tu veux ?
- Ca pourrait être pire. Et toi ?

- J'ai des problèmes avec les maillons de ma chaîne.


Ah ouais. La chaîne de Karma.


Comme son nom l'indique, Karma est... ben... pas vraiment palpable. Sauf quand il le veut bien. C'est une entité multiplanaire, qui se matérialise dans la forme qu'il veut, quand il le veut, suivant un rituel bien précis : rester insaisissable, frapper au bon endroit quand on ne s'y attend pas, et surtout, conserver l'ordre des choses.


Il représente plus ou moins la même chose que le Cosmos pour les Grecs et Dieu pour les catholiques.


Karma est une sorte d'immense network énergétique qui circule entre les gens, les choses, les idées, les faits. Les athées l'appellent Destin.


Et ici, à Shell Haven, dans un plan supérieur à celui de la Terre, Karma ressemble à un homme comme les autres. Ou alors à une femme. Ca dépend des jours.


Pour quelqu'un qui est habitué à tout ça, c'est franchement bizarre qu'il y ait un soucis dans un truc si bien rôdé. C'est même presqu'impossible.


Karma lut mes pensées à travers mes yeux écarquillés.



- Impossible is nothing...

- Même quand on s'appelle Karma ?
- Justement, c'est à ça que je sers.
- Alors tu vas faire quoi ?
- D'abord, je vais t'expliquer ce qui cloche.
- OK.
- Cela fait maintenant 10 ans qu'un esprit inconnu vit sur Terre. Tu vois de qui je parle ?
- Ouais, Sébastien Andero, hein ?
- Effectivement, c'est lui qui l'a créé.

- Mais ça, on le savait déjà depuis longtemps. Pourquoi t'es venu me voir alors ?

- Parce que c'est normalement impossible qu'un humain créé un esprit. Surtout de cette envergure. Et que, fatalement, cet esprit va tenter de prendre possession de son corps.

- Mais on sait pas ce que c'est comme esprit ! C'est super dangereux d'intervenir maintenant !

- Justement. C'est peut-être un démon incorporel. Il suffit qu'il obtienne un corps pour que la Terre devienne une usine à cauchemars.

- Alors on fait quoi ?

- Moi je parle, et toi tu m'écoutes. Apprends la patience, Soda.


Je me suis tu. Ca me faisait bizarre dans le ventre. Comme si j'allais aller sur Terre pour autre chose que ses déserts arides, ses forêts luxuriantes et ses sommets enneigés. Devinant mon inquiétude, Karma a repris la parole.



- Il y a encore autre chose. Tu m'as rapporté récemment que la Terre allait droit dans le mur.
- C'est vrai.

- Pollution, crises économiques, guerres... Si la Terre disparaît, on va perdre un plan entier.


Un plan est un ensemble de strates et de destins liés. Théoriquement, il est possible de visiter l'ensemble des strates d'un même plan, à condition d'être suffisament fort mentalement pour ne pas s'y auto-emprisonner. C'est pour éviter cela que seuls quelques rares humains ont le pouvoir d'ouvrir ces portes.

 

- Et là, c'est le drame.

- J'dirais même que c'est la merde. Si on ne fait rien, on va avoir droit à la fin du monde.

 

Karma qui parle de fin du monde. Collector. Le genre de truc qu'il faudrait filmer et revendre au plus offrant.

 

- Tout ça à cause d'un fantôme ?

- Exactement.

 

 

J'ai réfléchi. J'en ai pas vraiment l'habitude. Le cerveau d'un démon fonctionne assez différement de celui des humains. Donc on peut pas dire que mon boulot d'analyste me demande trop de prises de tête. Je dois même être plutôt con par rapport à la moyenne. Faudra que je me renseigne.



- Et si on débridait les humains ?

 

Ca fait aussi partie de mon boulot. Recenser les débridés. Des humains qui ont dépassé leur condition pour ouvrir des espèces de portes vers les strates. Ca paraît dingue, mais il se produit un truc analogue quand une personne dans le coma a une EMI. L'espèce de tunnel avec la lumière au bout et les p'tits éléphants qui shaggent gaiment, c'est une porte, si on veut. Bon, sans les éléphants, mais l'idée est là.

Et donc, si on débride les humains, ils vont aussi se mettre à développer des pouvoirs en rapport avec leur personnalité.

 

- C'est pas une mauvaise idée. Une autre ?

-  Les gardiens ?
- Bien !

 

 

Désolé, les discussions à Shell Haven c'est spécial. Desfois on peut pas tout comprendre.

 

Pour faire simple, tout le monde sur Terre a un pouvoir bridé par nos soins, à cause de la fâcheuse tendance des humains à l'insatisfaction permanente. Des qu'ils goûtent au pouvoir, c'est fini, ils en veulent toujours plus, et ils meurent malheureux. Et beaucoup d'autres humains meurent malheureux par la faute d'un seul d'entre eux.

 

C'est tragique.

 

 

On a pris une deuxième mesure au cas où. Les gardiens. Le genre de personne qui vous guide et vous rend espoir quand tout va mal. C'est aussi le genre de personne qui va à chaque fois éviter le pire, sauver les meubles, récupérer le chat dans l'arbre, éviter une troisième guerre mondiale, etc.



- Mais y'a un problème...

 

 

Les gardiens sont des bridés comme les autres. Sauf que leurs pouvoirs sont suffisament grands pour transparaître malgré la bride. Mais c'est rien d'extraordinaire, en apparence.



- Je suis con, bordel ! J'te parle de débrider les humains et toi tu me dis que c'est une bonne idée !

- Il est important d'aller au bout de ses idées, fils. [oui, ça lui arrive de m'appeller fils.] Et la tienne n'est pas encore allée au bout de son chemin.

 

 

Quand je te disais que j'étais con...

 

- Si on fait ça, ils vont détruire tous seuls leur propre monde ! On peut pas les laisser faire ça !
- Alors faisons-le à leur place. Comme ça nous détruirons ce qui doit être détruit, et nous conserverons ce qui doit être conservé.
- T'es dingue ? Ca va être un bordel sans nom !
- Peut-être mais ça va arranger les choses. En traversant les strates, les gens arrêteront de s'ignorer. Et ils prendront aussi conscience de beaucoup d'autres choses. Ils apprendront à se connaître, et à connaître les autres, aussi.

 

 

J'aime pas quand il fait ça. Expliquer la même chose de plusieurs façons différentes.

 

- C'était dans le plan ?

- Je ne peux pas te répondre. Disons que maintenant ça l'est.

 

Le plan, c'est en quelque sorte le destin. Mais ici point de fatalité. Juste une certaine liberté.

- Soda, je veux que tu partes en mission sur Terre.

- Je peux refuser ?

- Tu peux. Mais tu iras de toute façon, tôt ou tard. Car bientôt le monde réel et Shell Haven ne feront plus qu'un. Et tu ne voudrais pas rater un bon concert, hein ?

 

 

 

 

 

 

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast