INTRO

OTHERWORLD

OPEN YOUR EYES

LOSE CONTROL

JE SUIS

COMA

BURN MY TREE PART 1

INTERLUDE / FIGHT CLUB

BURN MY TREE PART 2

WHEN GIRLS TELEPHONE BOYS

FIREAL / FIST

PARANOÏA BLACK

LENNE & PAINE



Voilà à quoi ressemblait notre setlist.

- Huuum...

- Yeah.



Solenne et Dan venaient d'en achever l'écriture à grands coups de marqueur noir sur grande feuille blanche. Ils me la tendirent et je m'en emparai tout en attirant l'attention de Kepa par le bras pour qu'il m'aide à en faire une copie pour chacun des membres, avec le concours de Pierrot qui était déjà à fond dedans comme si sa vie en dépendait. On dirait vraiment que tout le monde a eu le message, ce soir.

La caméra de Kepa chargeait, Pierrot balançait des vannes entre deux instants de sourcils froncés, deux-trois voire quinze de nos amis étaient là - ou en tous cas des amis du groupe - ce qui maintenait l'illusion que tout était finalement assez normal. Leurs rires me semblaient pourtant bien lointains, comme parvenant d'un autre monde.


Une fois les 4 setlists rédigées et remises aux membres du groupe, on a demandé aux amis de sortir afin de se retrouver entre nous pour procéder à nos rituels.

D'abord, un pack de Redbull partagé entre tout le groupe, ensuite un verre de lait pour tout le monde, façon Moloko Vellocet. Ensuite, on se met tous en rond et on s'attrape par les bras, en gueulant tous de toutes nos forces. 
J'aime ces moments-là. Je me sens exister.


Ensuite, on est sortis de la loge, et là, c'est toujours le même parcours du combattant : on traverse la cuisine, on monte les escaliers, et on se retrouve derrière le grand rideau noir. On regarde chacun notre tour et on écoute le cri du public. Ce soir, ils semblaient assoiffés de son, et cette idée me retourna de l'intérieur.

Dan murmura quelque chose à l'oreille de Solenne, qui le regarda interloquée. Sûr que ça a à voir avec les évènements qui se préparent.

Dan eu l'air choqué. Solenne encore plus. 

Il était temps de sortir du rideau et de monter sur scène. 

On est arrivés sous les hurlements et les applaudissements. Je me suis dirigé vers ma batterie, finalisant frénétiquement ses réglages pendant que Pierrot, Dan et Solenne partaient sur l'intro, une partie de double guitare/basse qui avait le don d'ériger l'intégralité de ma pilosité.

J'ai compté les quatre premiers temps au charley et on a envoyé Otherworld à l'unisson. Pierrot gueulait comme un possédé, et la foule commençait à prendre vie sous ses mots. Il était hyper concentré, tant sur sa gratte que son micro, alors que Dan et Solenne se taquinaient à fond, à la limite de partir en duel de clins d'oeil. Je les observais, tous les quatre, entre les cymbales qui volaient sous mes coups.

Quand je joue, j'ai l'impression que le temps s'arrête. On est passé comme une lettre à la poste sur Open Your Eyes.

Pierrot, Dan et Solenne ont remercié le public, qui a répondu par des cris et des hurlements. J'avais un sourire encore plus large que les autres. J'étais vraiment à la maison.

- La prochaine chanson va laisser que des cendres, c'est moi qui vous le dis !

Tout le monde à hurlé de plaisir. Ils savaient à quoi s'attendre, on la fait à chaque fois.

- L'album s'appelle 1977, le groupe s'appelle Ash, et la chanson s'appelle Lose Control !

Pendant que Solenne tapait un petit arpège apparemment improvisé, le public commençait à rire de la blague de notre Pierral national. (Ash ça veut dire cendre en anglais, parce qu'on est un peu anglophones)
Une fois les rires tassés, la guitare de Solenne s'est tue, et Pierrot a dégagé la sienne pour la ramener dans son dos en un mouvement désinvolte, prenant tout le temps nécessaire pour attraper le micro tout en intimant le silence au public, dans un flegme intégralement britannique.

Il l'a porté à ses lèvres et hurla comme un diable. Un putain d'hurlement à faire trembler les murs, suivi par Dan, qui tout gueulant qu'il était lui aussi, pressait au maximum sur la pédale de Solenne, qui riait de toutes ses dents en lançant le riff d'intro, du coup propulsé en wah-wah, que j'ai pas tardé à appuyer en frappant de toutes mes forces. J'avais l'impression de battre au rythme de mon coeur pendant que la basse puissante et incisive de Dan me traversait les côtes pour se loger dans mes tripes. Pierrot a envoyé sa partie de guitare magique, et une fois cette intro magistrale terminée, j'ai pu me reposer sur le riff plus calme du couplet.

J'ai repensé à mon rêve.

J'ai essayé de me le sortir de la tête, mais pas moyen.

"Here comes the night- it is coming on

The lights are low and our records on
Inside your veins and you lead me on
Here comes the night- it is coming "


On dirait une prémonition de ce qui s'annonce, énoncée par un ado insouciant. Yeesh...

Solenne a envoyé le solo, repris en écho par Pierrot, alors que je revivais mon rêve en direct. J'allais me coucher. Je trouvais une inconnue dans mon lit. La porte se fermait . Je revoyais le déchet lépreux en forme d'étron pendre de mon entrejambe. 

J'hurlai en plein shredding de cordes.


Tout le monde a applaudi en criant, Solenne et Pierrot ont terminé leurs soli dans un énorme délire psychédélique à la wha-wha, souligné par les lignes sans faille que Dan traçait depuis le début du morceau.
 
Pendant le final, des frissons me parcouraient le dos, je prenais tellement de plaisir à battre que j'eus du mal à m'arrêter, et ne le fis qu'à contrecoeur. C'est dans un état second que j'ai continué et fini le concert, comme sur des rails. Si n'importe qui s'était ramené pour me dire que j'avais fait de la merde, je l'aurais cru sans hésiter, si les circonstances l'avaient permis.

Parce qu'à la fin de notre set, voilà ce qui s'est passé : Je me suis levé, pendant que les autres posaient leurs instruments, mais ce fut le silence. Le silence le plus total. Pas de "OUUUUAAAAIS ENCORE" ni de "ALLLEEEEEZ UNE DERNIEEEERE", ni même de "A POOOOOIL" dont on était pourtant coutumiers. Un putain de silence grave. 

Mais le silence, au fond, ça va. Y'a pire.

Le pire, c'est quand la réalité te récupère à bras-le-corps.


Et là c'est violent. Franchement violent. Tu récupères des parcelles de ta vie qu'on te refout dans la gueule tout en t'obligeant à faire face à l'évidence selon laquelle ton public composé de 350 personnes (selon l'asso qui organise l'évènement) se retrouvent figées dans la fosse mais développent en plus des ombres griffues aux regards acérés qui semblent n'avoir pour seule vocation que celle de te tailler en pièces le plus vite possible.

Ce fut à ce moment-là que je revis la fille hallucinatoire de tout à l'heure, elle qui semblait sortie d'un rêve car trop belle pour être vraie, et qui me dit en un murmure "Chuuut... Aie confiance en moi, Sébastien."

Imperméable au bordel ambiant, elle s'approchait de plus en plus de moi.
Elle prit mon visage entre ses mains. Elles n'étaient ni chaudes, ni froides. Je me sentais si bien que ça confinait à l'impossible.

Surpris, comme si je reprenais soudainement conscience, je me rendis compte qu'un des vigiles venait de tomber non loin de moi, fauché par une ombre. Peut-être fallait-il que je lui pique son flingue... 

Je me suis rendu compte que je faisais alors sans doute preuve d'une logique des plus approximatives. Mais qu'importe. C'était probablement ce que la réalité attendait de moi, alors je me suis exécuté.

J'avais l'impression d'être dans un autre monde, comme une sorte d'univers parallèle, où les gens étaient flous et lointains. Mais elle, elle était là. Nette... et si réelle. Mes sourcils froncés pesaient sur mes yeux grands ouverts.

Nous étions toujours sur scène. Moi, et la fille fantômatique. En contrebas, les ombres vaguement humanoïdes nous menaçaient encore, mais le temps semblait s'être arrêté. La compression temporelle avait commencé. Elle se déployait, et c'était le signe évident que la fin du monde était en train d'avoir lieu. Nous étions assaillis par les frustrations des gens qui étaient venus nous voir ce soir. C'était ça, les ombres. Toutes griffues et menaçantes qu'elles étaient, en contrebas, nous étions en sécurité sur la scène. Et elles étaient nos amis, nos fans, des curieux, des rebelles à l'ordre établi. Elles ne méritaient aucune violence. C'est peut-être ça le plus flippant.

Ben oui. Quand tu regardes un film d'horreur, c'est facile d'hurler au personnage principal : "Mais qu'est-ce que t'attends pour la tuer, espèce d'idiot ?? C'est pas ton amie, tu la connais que depuis deux heures, et en plus regarde, c'est une putain de zombie, elle a des lambeaux de chair putréfiée autour de la tronche, t'es aveugle ou quoi ??". Sauf que quand ça t'arrive et que tu vois tes potes altérés sous la forme de fantômes noirs et belliqueux, la réaction s'en trouve d'un seul coup beaucoup moins naturelle, et sans compter à quelle point elle se retrouve alourdie par des questions éthiques.

Le flingue dans ma main me semblait d'un seul coup bien inutile. Pourtant, je le serrai fort contre ma paume alors que je demandai à l'apparition ce qui se passait.

Evidemment, elle ne répondit rien. Mon inconscient me souffla très fort que c'était sans doute parce qu'elle appartenait à une autre réalité, mais je n'en avais cure. C'était putain de réel. Plus réel encore que le réel lui-même. Y'avait moyen de faire un débat entre les plus grands philosophes en ce qui concerne l'essence du monde, avec tout ça.


Les ombres autour de moi semblaient bouger au ralenti. Des ondes s'échappaient de chacune d'entre elles. Plus aucun bruit ne passait au-travers d'elles en cet instant. Plus rien que le silence.

Je suis descendu de scène, et elle m'a suivi. Elle m'a montré une porte, qui menait à un passage sous la scène. J'avais ni chaud, ni froid. J'étais bien. Je me sentais apaisé, et en ces circonstances, ça s'accompagnait d'une putain d'impression d'étrangeté familière.


Je suis finalement arrivé dans les loges, en passant par une porte habituellement dissimulée par des posters. On était définitivement pas dans la même réalité. Ca n'avait plus rien à voir.

Les murs n'avaient plus la même couleur qu'avant, mais plutôt une transparence fantômatique. 

La fille qui ressemble à Solenne m'a amené aux toilettes.

Enfin. Devant un trou béant, plutôt.


- Entre. Il t'attend.


C'est soit un rêve, soit la fin du monde, pensai-je. J'ai sauté dans le trou en pensant que j'avais encore une chance infime de finir par me réveiller.

Je suis aussitôt arrivé dans une étrange salle rouge. Un fauteuil noir était posé au milieu de cette grande salle vide, sans entrée ni sortie. 


Je savais même plus d'où je venais.


Je me suis approché du fauteuil.

Il s'est retourné.