Dans lequel le retour du narrateur prend du retard.

Dans lequel l'auteur prend de la hauteur pour vous donner de nouveaux éléments. Les pièces du puzzle s'assemblent progressivement d'elles-mêmes, tandis que d'autres questions se posent comme un A320 sans aile droite piloté par Ben Laden.

 

Pas mal de symboles dans ce chapitre, une fois de plus. En fait je doute que ça soit utile de mentionner à chaque fois que je m'éclate à glisser du sens partout où je peux.

Ça doit vraiment être jouissif d'être Dieu, en fait. Si ça se trouve on en fait tous partie, d'ailleurs...

 

Je me suis pas trop pris la tête pour ce chapitre, en définitive. J'ai pas mal d'idées en tête depuis le début de SIKO, et je dois avouer que ça m'étonne parfois de trouver complètement logique un chapitre qui m'a paru terriblement incompréhensible à l'écriture.


Il s'en passe des choses dans l'envers du décor...





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Je savais que ça se passerait comme ça. Depuis le début. Mais j'ai pas eu le courage de le voir venir. J'aurais voulu que les choses ne changent jamais.


Notre vie était un fleuve tranquille qu'on traversait en optimist. C'est con à dire, mais il est tout ce dont j'avais rêvé sans vraiment oser y croire. Et comme à chaque fois qu'on se retrouve dans une situation trop parfaite pour qu'on puisse la mériter, on se dit qu'il faut garder les choses en l'état. Qu'une pierre de trop sur l'édifice pourrait le faire s'écrouler.


 

J'avais peur de moi. De ce que je voyais depuis toute môme, et que je m'étais tout particulièrement appliquée à oublier.


 

J'aurais dû essayer de le lui dire en quelques mots, au moins lui expliquer les grandes lignes de la trame, avec deux tonnes de métaphores et des pots entiers de subtilité, sans oublier une dose d'espoir à rendre heureux Marilyn Manson pour qu'il percute à temps.


En admettant qu'il me croie, bien sûr. Et qu'il comprenne.


Le peu que j'aurais pu lui dire n'aurait bien sûr été qu'une ridicule partie de tout ce qu'il aurait dû savoir avant d'être embarqué de force par les rouages de la machine.


Je me sentais comme une actrice qui s'apprête à tourner un film en étant la seule à avoir lu le scénario, et qui n'a même pas eu le temps d'apprendre son rôle.




Avant de mourir, ma mère m'a confié que des choses étranges risquaient de se passer, mais qu'il ne faudrait pas avoir peur. J'étais qu'une gamine, je croyais qu'elle parlait de la vie qui m'attendait sans elle, de la douleur qu'on ressent quand on perd un être cher, du vide irremplaçable qui s'impose à l'existence de celui qui reste.


 

Les choses sont pas aussi simples.

Loin de là.


 

Elle savait que ce monde touchait bientôt à sa fin. Qu'on allait bientôt devoir se battre pour tout refaire. Comme Nietzsche qui joue au docteur avec son marteau. Comme Kepa qui déchire son scénario pour mieux le refaire, comme avec Crave quand on reconstruit une chanson de A à Z. Comme un phénix qui renaît de ses cendres.


 

Vu que j'étais trop jeune pour y comprendre quoi que ce soit, ma mère a écrit tout ce qu'elle savait dans un livre que mon père m'a remis le lendemain de mon 18ème anniversaire.


 

La préface m'a bloquée pendant plusieurs jours. C'est toujours impressionnant de lire une carte d'anniversaire post mortem.


Elle disait qu'elle était désolée de devoir partir si tôt, que c'était injuste, mais qu'elle l'acceptait.


Moi je pouvais pas.


Bordel, un cancer alors qu'elle fumait pas, qu'elle buvait pas, qu'elle était sportive et tout, ça pue le trucage, merde !


Dix ans après sa mort, le passé ressurgissait avec sa délicatesse habituelle.


Dans son livre, maman me racontait sa vie. Elle me disait qu'on avait chacun un rôle à jouer, et que le sien était de connecter les mondes entre eux. Elle disait que des gens comme ça existaient depuis toujours, dans toutes les sociétés.


«Tout n'est qu'une seule chose, c'est pour cela que tout est lié.»

J'avais du mal à comprendre.


 

Elle disait aussi qu'elle avait commencé à voir les âmes des gens vers seize ans, et les esprits deux ans plus tard. Elle n'avait jamais cessé d'évoluer dans ce rôle. Elle parlait d'une spirale en forme de 8, semblable aux brins d'ADN. C'est le symbole de la vie, de l'harmonie, de la continuité, du grand tout karmique et de quasiment tout ce que tu veux, même du pot-au-feu.


[Ouais, je me fends d'une vanne pourrie et d'une preuve que le monsieur qui partage ma vie a une mauvaise influence sur moi. L'humour est un bon moyen de faire semblant que tout va bien. Et là, tout de suite, maintenant, je me sens prête à faire la guerre des nerfs. Et je m'en veux comme t'as pas idée.]


Au début, c'est-à-dire pendant six bons mois, je n'y croyais absolument pas.

J'en voulais à la terre entière. Je me disais que maman s'était sans doute laissée embrigader dans une secte ou une connerie du genre, mise à fréquenter un shaman mexicain ou une pseudo-voyante qui lui donnait de faux souvenirs. J'en voulais à mon père d'avoir fait ressurgir le passé, d'avoir laissé ma mère faire n'importe quoi, d'avoir été aveugle.

 


Pour le coup, c'était moi qui était aveuglée.


Eyes wide shut, j'ai hurlé sur mon père, je me suis comportée comme la pire des gamines de 12 ans à qui on annonce qu'elle n'ira pas à Eurodisney cette année, sauf que j'ose croire que mon motif était autrement plus juste, d'autant que mon père n'a jamais protesté, élevé la voix ou quoi que ce soit.


Comme s'il savait ou comprenait.


Ça devait être le côté psy. Ou simplement le côté papa qui aime toujours sa femme et respecte sa mémoire.

 


Et puis les bras du monde m'ont rattrapée.

 


You can run but you can't hide. Cause it all come together.

 


J'étais à bout de souffle, usée par 6 mois de cette fuite excessive, quand je suis rentrée dans l'autre monde pour la première fois.


 

Au fond de ma chambre, malgré les larmes qui me brouillaient la vue, toutes les couleurs paraissaient beaucoup plus vivantes. Je voyais des ondes s'échapper de moi de temps à autre. Si je me concentrais un peu, je les voyais plus distinctement, et en permanence. Je sentais une chaleur douce et apaisante dans mon ventre. C'était agréable.


Je me suis rappelée de ce que disait Kepa au prof de philo, à propos de Socrate ou Platon, je sais plus : «Si le monde des idées est un monde parfait, et le nôtre une simple copie imparfaite de ce monde, pourquoi on n'y a pas accès ?»


Le prof avait répondu qu'il pouvait y avoir plusieurs raisons : La première, c'est que ce monde des idées n'existerait pas. La deuxième, ce serait que notre condition d'humains ne nous permettrait pas de nous sublimer suffisamment pour y avoir accès. La troisième dirait que ce monde est immatériel, donc que notre monde matériel n'est qu'une illusion. Si l'illusion n'est qu'une image déformée du réel, il faut la dépasser pour atteindre le réel.

 


 

Je le comprenais pas, mais je le sentais au fond de moi. Comme si mon âme connaissait des choses qui échappaient à mon petit cerveau.

Comme si au fond de moi se trouvait la réponse à la fois la plus simple et la plus complexe qui soit.


Maman avait raison. Son rôle était de lier ce monde parfait au nôtre.

Son rôle... et le mien aussi, apparemment.


Elle avait parlé de Shell Haven, aussi. Elle ne savait pas si c'était le nom du monde ou plus simplement celui de son administration.


 

La chaleur de mon ventre augmentait. C'était de plus en plus agréable, mais j'avais de nouveau envie de pleurer. Je sentais les larmes monter, lentement, de mon ventre jusqu'à ma poitrine, de ma poitrine jusqu'à ma gorge, de ma gorge jusqu'à mes lèvres...


Mais non, pas la moindre larme, pas d'éclat de tristesse en condensé lacrymal; mais un gigantesque éclat de rire, une explosion de joie pure, le plus beau sentiment de plénitude que l'on puisse imaginer, le plaisir de tout comprendre, d'en être sûr, et de pouvoir profiter de la suite des évènements en connaissance de cause.


Mais les choses sont pas aussi simples.


 

L'euphorie est retombée, les doutes ont recommencé à s'installer et le monde réel m'a retrouvée.


La vie a repris son cours. Et j'ai fini par le rencontrer.

Par hasard, par nécessité, par concours de circonstances, parce qu'il ne pouvait en être autrement, ou tout simplement pour une raison que j'ignore, et qui doit dépendre de Mr Dieu, s'il existe.


Ou peut-être pour tout ça à la fois.

 

Au théâtre, on appelle ça un Deus Ex Machina.


Il connaissait mon frère et batteur, Seb, ainsi que mon guitariste, Pierrot.

Drôles de coïncidences, on avait justement besoin d'un bassiste et il était l'outsider bienvenu.

Et moi aussi j'avais besoin de lui.

J'ai pas pensé à la fin du monde quand on a commencé à sortir ensemble.

J'ai pas pensé que je risquais de l'embarquer lui aussi.


Enfin, c'est surtout que je ne voulais pas y penser.


De la pure mauvaise foi. Dans le sens sartrien aussi. J'ai joué volontairement le rôle de la fille naïve et sympa, simple et un peu coquine, et ça m'a collé à la peau suffisamment longtemps pour pouvoir profiter de ces deux années de bonheur avec lui.


Et quelque part, tant mieux.


Il fait plutôt chaud, ici. Je me sentirai sûrement mieux en enlevant ce costume de jeune fille ridicule et ce masque forgé dans des non-dits en forme d'habitudes.

 


 

Je lui ai gribouillé un sms. «Pardonne-moi. Je t'aime.»

Même dans les teen movies sirupeux pour minettes prépubères fingerstylées on atteint pas un tel niveau de mièvrerie. Je suis même à peu près sûre que Winnie l'Ourson envoie davantage. Ouais bon là j'y vais quand même fort.

Mais ce sms est ce que j'ai de plus sincère à lui dire.


Je me demande comment il va réagir. J'espère qu'on capte, par ici...


Bon.

«Grand huit», comme dirait ma mère. «Pas d'inquiétude. Y'a pas de hasard, y'a pas de lézard et si c'est le bon, il comprendra. Quand ça va pas, pense Grand huit»


Comme si elle savait.

Même morte, ma mère fait toujours le lien entre les mondes. Et elle n'est pas la seule. C'est peut-être de famille ?

 


J'étais dans une ruelle, pas loin de Prima Cordes. Notre première rencontre... J'ai frissonné à cette pensée.

 

J'ai approché ma main de la poignée.

 

Clac. Naaaaaaaaan....


La boutique était fermée. Personne à l'intérieur. J'ai rebroussé chemin et j'ai croisé mon reflet dans un miroir.


Pierrot dit que le temps moyen passé par une fille devant un miroir est d'environ 78 minutes. Le temps de se trouver belle, moche, puis belle, puis moche et ainsi de suite, avant de courir vers la cuisine parce qu'il faut bien se nourrir, et que de toute façon c'est l'heure de Dr House sur la Une.


Je sais pas si je rentre dans cet axiome stupide, mais là, je suis restée scotchée au miroir.


L'espace d'une seconde, un autre visage dans le miroir. Une fille. Des yeux bleus. Un visage large et des boucles blondes un peu délavées.


Ça m'a troublée. J'ai remarqué la brume. Si j'en crois le bouquin de maman, dur à avaler mais apparemment important, je suis dans l'entremonde.


Ça me rappelle des souvenirs, ça... J'aurais peut-être pas dû squatter autant les jeux vidéo de mon Danou.


J'espère qu'il aura le temps de comprendre avant que je le retrouve.


Bon, normalement le passage est par ici.


J'ai fait le tour de la rue, mais rien d'inhabituel. Pas de singe ou d'écorché, pas le moindre zombie en faction pour me souhaiter la bienvenue, rien !


Lui, il arrive dans ce bordel même pas briefé et pourtant il a droit à la totale. Pyrotechnie, basse pas cassable, comité d'accueil à base de singes d'origine belge; et moi qui suis la seule à connaître un peu le scénar, je me retrouve dans une rue sombre, brumeuse et mal éclairée, sans guitare et face à un miroir à la con.

Je suis pas jalouse, non, je suis pas jalouse. Mais ça fait chier, merde !


 

Le miroir détonne un peu du décor. Il brillerait presque. Je sors Dan de mes pensées et je passe la main dessus.


Enfin dedans. C'est chaud à l'intérieur.


C'est du vide mais c'est chaud.


J'enfonce mon bras de façon à pouvoir atteindre la porte du musicshop, sans penser aux idées graveuleuses qui ont traversé la tête du scénariste quand il a décidé de ce détail.


Clic. C'est ouvert. Youpi !


Une bonne odeur de cèdre me souhaite la bienvenue. Une guitare fraîchement réparée est encore posée sur l'atelier, à côté de la caisse.

Il fait encore plus chaud dans le magasin. Stratégie marketing du patron ? Négligence légendaire de Gaspard ?


Maman parlait de portails et d'artéfacts (ouais, depuis le temps, je l'ai presque appris par coeur, le bouquin.)


Alors, normalement, le portail c'est le miroir, et il doit y avoir un artéfact pas loin. Ainsi qu'un autre portail.


Chaque chose en son temps. Une petite visite du nouveau Prima s'impose.


Les amplis, guitares et basses sont ternes comme après l'orage. Cette réalité altérée est drôlement bizarre. C'est du faux, c'est sûr, mais plus vrai que vrai.


Comme un studio. On a eu la chance de tourner un film dans ces circonstances, une fois. C'était sacrément impressionnant, je dois dire. Dès que tu poses un pied sur le plateau, tu changes de réalité. Alors qu'en fait rien ne change à part le point de vue imposé, le personnage joué et la façon de tourner.


Wah, ma tête se fait lourde... Et j'ai le cou qui brûle.

J'ai enlevé mon collier et l'ai rangé dans ma poche. Par contre j'ai pas d'aspirine.

J'ai même rien d'autre que ma tenue de scène. Je vais me retrouver dans le plus gros foutoir de l'univers, mais j'aurai quand même la classe !


Su-per.

 


Hé, c'est quoi ce truc ? Derrière le mur d'amplis ?


Une grosse boîte noire... Ça ressemble à un distributeur de capotes des années 40. Avec un peu d'imagination, ce serait la boîte noire d'un avion de l'après-guerre.


[Une aspirine, par pitié. Mes blagues m'enterrent...]


Bon, la mallette de mafieux accrochée au mur porte un petit mot.






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Bonsoir et bienvenue à vous, Mlle Carpentras. Vous avez trouvé facilement ?


(Non, pas trop, espèce de tétrapode schizoïde. La prochaine fois je veux un meilleur plan.)


Remarquez, vous ne pouviez pas vous tromper, c'était évident. La preuve, c'est que vous avez réussi à être là.


(Et je me passerais bien volontiers de tes phrases qui laissent entendre que tout est écrit d'avance. Parce que si je veux, ta feuille j'en fais des petites coupures, Don Corleone !)


J'espère que le changement de strate ne vous a pas trop perturbée.


(Non, ça va bien merci. J'ai juste une chance sur trois millions et demi que mon petit ami comprenne ce qui se passe et une sur 6 x 10^78 qu'il ne me largue pas. Et j'ai un mal de chat à me retrouver. Et je me force à penser à ce que disait ma maman à propos du 8.)


En tant que gardienne, votre première épreuve se trouve devant vous, dans cette boîte.


(Ah bah me v'là bien. Maman avait encore raison. J'ai pas droit à un badge pour avoir des réductions au mc do et au ciné, en plus ?)


Pour être plus clair, votre première épreuve EST cette boîte.


( What... the... fuck... ?)


Afin de vous aider, je vous confie une parole de sagesse : «Toute vérité vient du coeur»

Bonne chance mademoiselle !


(Au moins c'est pas un mufle. Merci !)




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Bon, on met le portail et l'artéfact de côté pour le moment. Et on se prend la tête pour comprendre un petit peu mieux le truc.


Alooors... Voyons voir...


Le bloc noir ressemble à une grosse mallette particulièrement épaisse avec un petit interstice au milieu.


Le premier qui parle de symbole vaginal, je lui passe mes nerfs dessus.


Le deuxième qui parle de problème de féminité, je lui brosse les dents avec un tractopelle.


Et à celui qui me fait remarquer mon manque d'humour, je lui dit qu'il a bien raison et qu'il a sûrement beaucoup mieux à faire de son temps que de lire ça.


 

Bon, faut trouver la clé. L'interstice a une forme un peu ronde... Peut-être une clé de piezzo ?


Razzia dans la remise de Prima. Je connais bien cet endroit. Je prend une clé de guitare et une de basse, on verra bien.


Aucune des deux ne rentre. Meeerde c'est pas ça. Bon tant pis j'essaie autre chose.


Hum... Réfléchissons...


Un jack, peut-être ?


Vandalisme dans les présentoirs.


Ça ne rentre pas non plus. Raaaah...


J'ai essayé, encore et encore. Jamais rien. Toujours rien.

Je me suis usé les nerfs pendant un moment qui m'a paru interminable. Ma tête me trahit, me met devant des faits accomplis, j'aimerais lui dire de se taire mais je peux pas. J'ai un foutu mal de crâne à force de penser et j'arrive à peine à comprendre l'énigme.


Bon.


Relecture du mot. Hey, Dan m'a toujours pas répondu. Mon coeur se retourne dans ma poitrine. Relecture du mot, donc, disais-je.


«Toute vérité vient du coeur.»

 

C'est joli... c'est une bonne raison de penser autrement, ça.


La Solenne Carpentras est parfois capable de se comporter comme une imbécile idiote de compétition. Cependant elle compense cette stupidité par... euh... par quoi ?


Quelqu'un sait ?


Personne ? Dommage.


J'avais la réponse sous les yeux et dans ma poche, quelle conne !


Quelle conne !


Le collier dans ma poche, c'est un cadeau de mon andouille d'amour.

Ma main au feu que c'est ça.


Bon, pour l'instant, c'est plutôt ma main à la poche.

Je l'approche de la boîte, et là, le phénomène irrationnel de base intervient.


J'ai pas arrêté d'essayer d'ouvrir ce truc, avec tout et n'importe quoi. J'ai même essayé en lui demandant gentiment. Rien à faire. Les boîtes noires avec des mots bizarres dessus sont trop méchantes avec moi.

J'ai essayé sans cesse et pourtant, là, je flippe.

Et j'hésite.

Pas seulement parce que je me dis que ce n'est peut-être pas la bonne clé. Je pourrais toujours chercher ailleurs après, le magasin est plein de surprises.


Il y a autre chose, un truc plus profond. Je ne sais pas pour les autres, mais en ce qui me concerne, j'ai toujours eu du mal à aller au bout des choses. A me dépasser. A faire le pas décisif. La coup d'éclat. Le truc qui change les choses. Transformer l'inconnu en réel.


J'ai peur.


Peur de gagner.


C'est absurde, hein ? Pourtant c'est comme ça. Ce n'est qu'une peur de l'échec déguisée.


J'ai pris mon temps, ma respiration, et mon courage à deux mains.

J'ai posé le pendentif sur le trou au milieu de la boîte.


Clic, déclic, reclic.


Yoooouuuhooooouuuu ! Hallelujah j'ai réussi !


La boîte s'est ouverte et le pendentif s'est retrouvé pile en face de moi. Je l'ai pris, posé mes lèvres dessus comme une enfant et j'ai vu de la lumière.


Une belle petite boule de lumière.


Ma victoire a été saluée par l'arrivée d'une jolie petite mélodie motivante et bien rythmée comme il faut. Yeah !


Mais d'où elle sort au fait ?


Pffffuuuit, un autre petit mot me tombe dessus.


«Parfois l'évidence se cache, parfois on la cache nous-mêmes.»


Merci de me rappeler que j'ai menti à l'homme de ma vie, ça fait chaud au coeur.

Enfin... homme de ma vie ou pas, je finirai bien par le savoir. En attendant une chose est sûre...



- Si je trouve le crétin qui se cache dans le décor pour m'envoyer ses messages pseudo-philosophiques, je lui fais un troisième oeil avec une seule main !



- Un troisième oeil, bonne idée, trèès bonne idée !!



- AAAAAHHHH !!!!

 

Il y avait un type en face de moi. Ne me demande pas d'où il est sorti, mais il était là.

Même en étant prévenue de beaucoup de choses, cette situation a le don de me mettre dans tous mes états.


Il était beau, stylé, avec un chapeau noir et un regard amusé. Il portait un long manteau noir, qui était sans doute une des séquelles d'une éducation basée sur les mangas et les films pour ados.


- Maist'esquitoi ?


- Toutes mes excuses, mademoiselle, loin de moi l'idée de vous importuner. Il s'avère que je n'ai en toute honnêteté aucune idée de la provenance des messages dont vous parlez, cependant je puis vous assurer d'une chose... - Il attrapa une guitare (Une SG. Beurk.) et fit un Do septième- Aussi sûr que ceci est un Do, désormais vous pouvez m'appeller Siko.


J'ai frissonné et je me suis sentie mal. C'est sûr qu'un plagiat grossier de V pour Vendetta dans un magasin de musique après une prise de tête dantesque, c'est moyen.



- Dans cette histoire point de bien point de mal. Je suis ici et c'est ainsi.


- T'as pas trouvé mieux comme phrase d'intro ?


- J'ai rien trouvé de moins vrai, je vous le confesse.

 

Super. La situation pourrait pas être plus invraisemblable. Même avec une rangée de kangourous-garous au garde à vous en train de chanter Happy Together avec une main sur le coeur. Tout à fait.



- Bon... Siko, c'est ça ?

 

Il a fait une petite révérence. C'était mignon.



- D'où tu viens ?

 

Allez, ça y est, on la joue vaguement Men In Black.



- De l'autre monde. Ce que vous appelez l'au-delà. Je suis un esprit qui ne peut prendre de forme physique qu'ici, dans l'entremonde. Et je suis là pour vous aider.


Dans un sursaut de sympathie, j'ai pensé à une vanne que Danou aurait forcément sorti s'il avait été à ma place. Un truc du genre «Ouais, t'es dans l'humanitaire, en fait. Je suis sûr que t'es tellement cool que t'as enregistré tous les épisodes de Heroes et de How I Met Your Mother sur DVD et que tu voudras à tout prix me les prêter pour la semaine si je te payais un café.»


Méfiance. Réflexe. Un pas en arrière, une question.




- Tu sais quelque chose sur les gardiens ?

 

Il a changé d'expression.



- Je suis désolé, là dessus je ne peux pas vous aider. Peut-être pour autre chose ?


- Non, ça va merci. Ça fait bizarre de parler à un esprit.

- Votre ami Sébastien s'y est habitué très vite, pourtant.

- Sébastien ? Tu le connais ?

- Oui. C'est grâce à lui que je suis là. Je connais aussi un peu Dannie.


J'avais l'impression de voir un grand frère. Je n'en ai jamais eu, à part Sébastien, peut-être, mais c'était différent.

 

Il a eu un regard grave. Plus d'allitérations alternatives à la sonorité assonancée des mots pour cacher la vérité. Il avait presque l'air humain.

 

- Tu savais que ça allait se produire depuis longtemps ? m'a-t-il demandé.


- Oui.


- Tu lui as menti ?


- Oui.


- Ou plutôt tu n'as pas pris le risque de lui dire. C'était prudent, mais ça complique quelque peu les choses. Tu connais l'histoire du 8 ?


- J'hallucine, vous parlez tous le même langage...



- C'est difficile, je sais... Mais tout se rejoint, tôt ou tard. L'épreuve du feu fait la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Elle consume le cuivre mais conserve l'or.


Il parlait un peu comme l'Alchimiste. J'ai piqué le bouquin à Danou au début de notre relation, et j'ai toujours pas fini d'en tirer des enseignements. Je te conseille de le lire, c'est édifiant.


Siko m'a regardé avec un sourire gentil et bienveillant.


-  T'as de l'espoir ?


-   Toujours sur moi.


- Tu as fait une erreur. Le pire serait qu'elle ne te serve pas.

 

 

 

Je m'appelle Solenne Carpentras et je vis la fin du monde. Je suis même pas sûre d'être bien consciente de ce qui se passe autour de moi. Je sais même pas comment je suis censée réagir.

Je suis complètement perdue. Au propre comme au figuré.