Â
Mes yeux s'équarquillent sur le plafond bancal, oscillant d'obscurité. La pression du vide me plaque au sol du matelas et ma propre sueur froide me colle à la couette. Mon crâne n'est plus qu'une caméra en plan fixe, à peine capable de couvrir les 180° que la mobilité oculaire est censée me permettre. A neuf heures, une gargouille ailée m'observe, campée sur ce qui me semble être le pied avant-gauche du lit, plus gigantesque que jamais. Je doute d'être toujours dans la chambre. Mon corps ne répond pas, même ma langue est paralysée, je suis investi par la peur la plus intégrale. La gargouille se penche vers moi, l'effroi s'intensifie, mon corps n'est plus qu'un moyen de la ressentir au plus profond de mon être. Elle ouvre la bouche et découvre ses dents monstrueuses. Ses mouvements sont lents et ça ne fait que démultiplier la terreur indicible qui ne cesse de prendre possession de moi. Son exhalaison m'emporte le nez, mes yeux sont figés sur la bête, qui lève une main ouverte sur moi. Traction gigantesque du coeur vers le haut façon passage sur le billard métaphysique. Mon âme est aspirée, je vais mourir, si je ne suis pas déjà en train. Projection vers le plafond.Â
J'ai rouvert les yeux titubant hors du lit sans la moindre idée de ce qui m'avait sorti de cette paralysie du sommeil particulièrement intense. Où suis-je ? Main sur le coeur pour vérifier qu'il battait toujours, j'ai d'abord pensé au stress accumulé ces deux derniers jours, avant de relever le regard, qui se posa sur l'homme de tout à l'heure. Cette fois, il portait un chapeau.
- Salut Dannie. Il faut qu'on parle.
Toute la peur s'est changée en rage. Il s'est remis à parler avant que je ne la lui décharge en pleine face.
- Tu dois sacrément m'en vouloir, mais je ne pouvais pas faire autrement pour te parler avant que ça n'arrive. La réalité se délite, et je dois en profiter, je ne peux pas me permettre de faire la fine bouche, tu comprends ? Si tu éprouves le besoin d'exprimer ta colère, fais-toi plaisir, ici, personne ne peut nous entendre, d'où mon petit stratagème.
Lancer de regard vers le lit. Vide.Â
- Nous sommes dans une réalité alternative, c'est pour ça, cala-t-il avec un lever de menton/sourcil alors que je ramenai les yeux sur lui.
J'implosais à répétition de l'intérieur. Impossible de faire sortir le moindre mot. Pas de temps à perdre de toute façon, il me faut rassembler un maximum de données. Refroidis, dégonfle, calme-toi. Ne pense pas à Solenne. Ne dis rien. Ne t'expose pas.Â
- Rassure-toi, elle existe aussi dans cette réalité-là . Par contre, je ne sais pas si ton double l'a déjà rencontrée, ou s'il est occupé ailleurs. Quoiqu'il en soit, il n'est pas à la maison ce soir et cette réalité était alignée sur la tienne, alors tu comprends... C'était pratique.
- Parle. Vite et bien. Tant que je peux encore me contenir.
Il se fendit d'un sourire satisfait, comparable à celui d'un père à qui on ramène un 18 en maths.
- Bien. Le monde que tu connais existe par interpositions de strates de réalités. Il ne se limite pas seulement à la réalité que tu as toujours connue depuis ta naissance : Il existe plusieurs infinités de réalités alternatives qui s'entre-régulent. Tu te rappelles de l'exaction dont je t'ai parlée tout à l'heure ? En mettant à mal la structure de la réalité, elle a entraîné la nécessité de déclencher la fin du monde. A cet instant, toutes ces réalités convergeront, le temps de se restructurer dans un nouveau paradigme, avec un rapport différent à l'espace et au temps.Â
"Oublie ta colère et note-ça dans un coin de ton esprit assez bien rangé pour que tu puisse être sûr de ne jamais l'oublier", ajouta-t-il exactement en même temps que je formulai mentalement l'idée. Je n'avais déjà plus le coeur à gueuler ou à flipper.
- La réalité va se redéployer dans un nouveau système, instancié cette fois-ci. Elle sera toujours multiple, mais unie, quoique d'une façon différente.
Comprends rien. Manque trop de données.
- Continue, articulai-je, essayant de colorer et d'affermir ma voix autant que possible.
- Vous serez seuls. Vous serez tous seuls. Une fois la fin du monde arrivée, vous devrez devenir forts. Trouver la faille. Trouver la solution.
- De quoi tu parles ? Reprends doucement. Qui a décidé de tout ça ? Qui a déclenché ça ?
- L'exacteur.
- Ca je m'en doute, ça m'avance bien, alors là , merci, heureusement que tu es là . Qui est cet exacteur dont tu parles sans arrêt ? Et pourquoi moi ? Pourquoi... nous, visiblement ?
Tout s'est brouillé. La réalité s'est délitée à nouveau. Evidemment... Il allait peut-être me répondre, ou pas, je n'en sais rien. Je me suis retrouvé dans la chaleur confortable de la couette perçue à travers le prisme du sommeil sans rêve ni conscience de la réalité. Ce qui venait de se produire me semblait lointain. Je dormais à nouveau. Le temps vibrait comme un élastique. Mon esprit glissa quelque chose à base de théorie des cordes au niveau macro-quantique et de bon moyen de déterminer si c'était vraiment une idée si casse-gueule que ça, et ensuite il zappa sur un documentaire concernant l'économie dans l'univers des licornes buveuses de bière, pour lesquelles la culture est une base solide de libre-échange, même si elles n'aiment pas trop la pop des années 90. Ensuite il me raconta l'histoire du Petit Chaperon Rouge, sauf que dans cette version, le Petit Chaperon Rouge était une punk qui ne sortait jamais sans sa guitare, ce qui lui permit de chanter Cumbaya avec le loup, puis de danser et devenir pote avec lui, si bien qu'il oublia complètement l'histoire de la mère-grand et du petit pot de margarine et fila en ville s'extasier sur un poster de Sid Vicious.
"Réductions exceptionnelles sur les rétroviseurs temporels ! Dépêchez-vous, y'en aura bientôt même plus du tout !"
La klockradio, responsable de mes réveils en douceur depuis que Solenne me l'a trouvée il y a six mois. Toujours branchée sur la fréquence pirate du marché noir, à la fois pour la forme, mais aussi parce que leur station est franchement géniale. Même leurs pubs sont drôles. Les rétroviseurs temporels, c'est un nom de code pour les vieux téléviseurs à écran plat au plasma, avant qu'ils ne soient perfectionnés, mais aussi zonés, ce qui rend impossible la lecture de certains formats et de certains films, qui sont de toute façon devenus difficiles à trouver, même au marché noir. Les gens qui tiennent cette boîte ont trouvé le moyen d'émettre via une fréquence que seuls leurs équipements peuvent capter, et se servent intelligemment de la loi pour continuer leurs activités à la limite de la légalité.
Je me suis un peu traîné hors du lit, plus ou moins droit, pour aller me faire du café en attendant que Solenne se réveille. J'ai allumé distraitement mon portable pour me faire assaillir de SMS de mes amis, qui ne comprenaient pas très bien les messages vocaux que je leur avais laissés la veille. J'étais complètement nu. Solenne et moi étions les deux seuls à savoir. Pour la fin du monde. Autrement ils auraient compris de quoi je leur parlais. Pour ma nudité aussi, mais c'est un autre sujet.
Mon inconscient n'avait visiblement pas chômé pendant la nuit : Je n'étais pas encore complètement sûr, mais je pensais y voir plus clair sur toute cette histoire, au point que si on avait été dans un film épique plein de bons sentiments à l'américaine, j'aurais dit que j'étais enfin prêt à affronter mon destin.
J'avais pas idée à quel point j'aurais eu raison.
Siko
Social interest knocked out
Samedi 23 juin 2007Mardi 25 juillet 2017
Articles populaires
- 16 - More Nightmares Shall Come To Me (130)
- 18 - Unheimlich (124)
- 03. A great, new wave Hesperian Death Horse... (93)
- 18 - Unheimlich à replacer et réécrire à partir de la seconde moitié (48)
- 20 - Sober (43)
- 21 - Automensonges et voilages de face (43)
- 22 - The fire, the bass and me (43)
- 24 - Le paradoxe humain (42)
- 17 - Karma Police (41)
- 19 - Puppenhaus (41)
Parler le langage des signes
Les bras du monde
- Polaroïds & Pornographie (13)
- Rien de Plus (10)
- Réveille-toi, Dannie... (6)
- L'histoire de Lenne (4)
- L'histoire de Siko (65)
- LIDS (6)
- L'envers du décor (6)
- Words (3)
- Bass Hysteria (9)
- SIKO 2.0. (1)
- SIKO 3.0 (26)
Le You Lied de Peach est exécuté avec les fesses
Foutez mon blog à poil, je vous dirai rien.
Archives
- juillet 2017 (1)
- avril 2017 (12)
- mai 2016 (1)
- mars 2016 (3)
- février 2016 (3)
- janvier 2016 (1)
- décembre 2015 (1)
- novembre 2015 (1)
- octobre 2015 (1)
- septembre 2015 (1)
- août 2015 (1)
- juillet 2015 (1)
- juin 2015 (1)
- janvier 2015 (1)
- août 2014 (1)
- janvier 2014 (2)
- novembre 2013 (2)
- septembre 2013 (1)
- août 2013 (1)
- mars 2013 (1)
- février 2013 (3)
- janvier 2013 (1)
- novembre 2012 (2)
- octobre 2012 (1)
- septembre 2012 (2)
- août 2012 (1)
- juillet 2012 (1)
- juin 2012 (2)
- mars 2012 (4)
- février 2012 (3)
- juillet 2011 (2)
- mars 2011 (2)
- décembre 2010 (4)
- novembre 2010 (1)
- août 2010 (6)
- juillet 2010 (3)
- juin 2010 (1)
- mai 2010 (3)
- mars 2010 (2)
- décembre 2009 (1)
- octobre 2009 (1)
- septembre 2009 (1)
- août 2009 (3)
- juin 2009 (3)
- mai 2009 (4)
- mars 2009 (3)
- janvier 2009 (1)
- novembre 2008 (4)
- octobre 2008 (1)
- septembre 2008 (1)
- août 2008 (2)
- juillet 2008 (1)
- juin 2008 (14)
- mai 2008 (1)
- avril 2008 (2)
- mars 2008 (9)
- février 2008 (10)
- janvier 2008 (4)
- décembre 2007 (2)
- novembre 2007 (1)
- octobre 2007 (2)
- août 2007 (2)
- juillet 2007 (2)
Meuh nan je suis pas syndiqué...
Mardi 22 septembre 2015 Ã 21:52
<< Page précédente | 1 | Page suivante >>