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- Salut les jeunes, bien dormi ?
- Ta gueule.Le choeur était joué par Sonia, Neto, Kepa, Lola et moi-même. On nous applaudit bien fort.
- Merci. Je comprends que vous y caliez pas grand-chose, mais bientôt tout va s'éclaicir, dit-il d'une voix très calme.
Un jour on lui sortira de quoi le démonter. Un jour...
- Avant que vous ne partiez faire face à vous-mêmes, il y a deux personnes que vous devez rencontrer.
Le bar s'est mis à trembler, l'atmosphère vagument délétère et au fond un peu complice s'est allégée, et le sol et le plafond se sont disloqués.
On a tous entonné la chanson de Space Mountain.
Neto a été le seul à trouver ça cool et Kep a attrapé sa dulcinée par le bras pour éviter qu'elle se barre après avoir tué Soda.
Deux magnifiques demoiselles sont apparues. Irréelles. Cheveux d'un blanc argent brillant pour l'une, noir d'ébène pour l'autre avec des reflets rouges d'une fluidité fascinante. Grands yeux gris-violets pour la première (si, si, c'est possible), rouge feu plus fins pour la deuxième. Un corps à faire profondément douter n'importe qui de la pertinence du concept de fidélité pour les deux.
- Je vous présente Blanche et Noire Samarcanda. Elles sont bonnes, hein ?
- Salut Soda.
La bouche de Noire s'est doucement étirée en un sourire tendre et de ses lèvres finement dessinées est sortie la plus belle voix que j'aie jamais entendue. Une mélodie d'un autre monde, une vibration à la pureté incomparable.
Les drôles de dames nous ont regardés avec paix et sagesse. Je me suis senti foutrement bien. Solenne m'a foutu un coup de coude et a pointé ses seins du doigt. Sympa.
Seb avait calé ses yeux dans les braises de Noire et semblait décidé à les y laisser pour les deux ou trois prochaines éternités.
- Voilà le groupe dont je vous ai parlé. Je voudrais que vous les guidiez le moment venu.
Elles ont acquiescé calmement. Bordel, Morticia est super bonne. On dirait Solenne devil-style. Deuxième coup de coude façon «Matte les miens plutôt».
- C'est qui les deux gothiques ?
Neto, ben... Neto, quoi.
- Noire est une damante et Blanche une banshee. Elles sont soeurs et bossent dans la gestion évenementielle. Les damantes sont là pour s'assurer que ce qui doit arriver arrive, et les banshees s'occupent d'éviter les collisions. En gros, que ce qui ne doit pas se produire ne se produise pas. Contingence, déterminisme, champ des possibles. Tout ça c'est elles.  Je voulais que vous les voyiez avant d'y aller. Comme ça, une fois de l'autre côté, vous pourrez me croire. Soyez attentifs.
- Okay donc on part dans l'inconnu pour guetter un Deus Ex.
- C'est lui, le leader ?
Noire est envoûtante, un truc de malade. Troisième coup de coude "Je sais que tu es à l'étroit dans ton slip mais j'ai une option sur toi". Prendre la parole ou dire «Aïe».
- Arrêtez avec ce mot.
- Ouais, c'est lui, lâcha nonchalamment Soda, pieds appuyés sur la table en se balançant sur sa chaise.
- Je l'imaginais plus carré, a dit Blanche.
- Il est parfait comme ça.
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Euh ouais mais non quand même. Faut pas déconner.
- Solenne, arrête !
- Vos gueules les amoureux, on a un monde à sauver. Enfin si c'est ça le plan ultime.
- C'est lui, Neto ?
Dire qu'il m'appellait chef y'a encore quelques heures... On risque de pas tarder à se refoutre sur la gueule.
- Non, j'en ai eu marre de l'ambiance post-apo, j'ai vu de la lumière alors je suis rentré. De qui vous parlez ?
Elles ont ri. J'avais jamais entendu un rire comme ça. Il était diablement pur, avec un drôle d'effet éthéré, repiqué avec un delay.
Quatrième coup de coude. Prochain coup elle va me plaquer la tête dans son décolleté, c'est pas possible autrement.
Noire a reporté son regard sur Seb qui disait toujours rien.
- C'est le moment, dit-elle. Je compte sur toi.
Regard noir de ma muse. Maintenant c'est sûr, Solenne va m'émasculer dans la prochaine scène. Adieu, virilité... On s'est bien marrés. Même si parfois tu me cassais les c-
- Faudrait arrêter de me voir comme un leader. C'est Seb le chef maintenant. Il nous a à peu près sauvé la vie cette nuit.
Noire a encore souri et je me suis décalé discrètement de la trajectoire d'un hypothétique mom dolyo tchagui émanant des parfaites gambettes de ma dulcinée chérie d'amour.
J'ai remarqué une tension asymétrique de sa lèvre qui m'a instinctivement fait dire qu'elle avait quelque chose à cacher à propos de ce fameux blocage de portes. C'est son boulot, après tout. J'ai rejoint les autres en haut.
A l'étage-mezzanine, en face des portes, on s'est vite rendu compte que certaines portaient nos noms. Les trois démons nous regardaient avec bienveillance.
Sonia s'est plongée dans la contemplation de la rambarde en bois, garde-fou rationnel presque rassurant.
J'ai brûlé un coup et pointé Soda de ma basse.
- Je te fais confiance, mais c'est peut-être la dernière fois.
Réplique pourrie. Pourtant je flippe pas. J'ai l'impression de plus ressentir grand-chose de négatif depuis un moment.
- S'il se passe encore n'importe quoi, je me démerde pour revenir et j'te pourris la gueule.
Ça c'était peut-être déjà mieux. Neto m'a suivi.
- T'as intérêt à m'en laisser un bout, je supporte pas qu'on m'oblige à être libre.
- Hé ben enfin ils comprennent ! s'est soulagée Lola. Compte sur moi pour te finir quand t'auras étalé les deux autres.
Soda a ri, Neto a traité Lola de pute, Sonia a lancé une pièce en l'air en s'engouffrant dans l'ouverture de la porte. Sa pièce est retombée en tournant en équilibre sur la tranche à l'endroit d'où elle venait de disparaître.
- C'est vrai, a dit pensivement Blanche. La fin du monde était la seule solution.
La pièce est finalement retombée sur le côté du 1. J'ai roulé à Solenne la pelle de sa vie et j'ai claqué derrière moi la porte qui portait mon nom, quasi-certain d'atterir dans un bordel qui lui, n'en aurait pas.
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