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- Pourquoi tu m'aimes ?
- J'ai rien de mieux à faire.
J'ai dit ça machinalement, comme si quelqu'un venait de me le souffler. Mes souvenirs se clarifiaient lentement pendant que je fixais mon plafond branlant l'oeil vide. Les murs gris-bleu de mon appart me rappelaient à la réalité plus que sa voix.
- Je sais pas comment je dois le prendre.
- Ben prends-le bien.
Un silence. Courroucé et caché. Faut que j'arrête les filles sensibles, un jour ça va finir par leur faire du mal.
- Au moins je t'aime. C'est mieux que rien.
- Ouais, surtout venant du dieu de la baise.
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Ouh. Ironie sarcasmatique. Pas au réveil, surtout pas. Et jamais après les changements de réalité cosmico-mystiques, c'est un principe de vie.
- Parce que pour moi c'est justement ça.
- Nooon, pas de jeux de mots foireux quand j'ai la tête dans le pâté, pitié...
- C'est la baise. Je te donne tout et tu t'en fous comme de ta première pipe.
- Hé, parle pas comme ça de mes premiers émois de 5ème !
- Putain d'égoïste, soupira-t-elle avec une grosse dose de véhémence.
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Over. Là elle va partir et me laisser tranquille assez longtemps pour me permettre de faire le tri dans mes souvenirs, et accessoiremment j'aurai pas à me souvenir de son nom.
J'ai senti un truc. Puis un deuxième, physique cette fois-ci.
Ses mains de chaque côté de mon visage, je me suis rendu compte que je l'avais pas regardée depuis mon réveil.
Sofy.
Mon palpitant me fait défaut pendant plusieurs interminables secondes et creuse un vide brûlant dans ma poitrine. Bien fait pour ma gueule après avoir été un énorme salaud égocentrique avec cette fille que j'étais sans doute censé aimer depuis un moment, mais c'est différent depuis que je viens du futur.
- Aimer quelqu'un qui t'aime aussi, c'est de la branlette émotionnelle pour heureux imbéciles. Aimer quelqu'un qui en a rien à foutre de toi, ça, c'est de l'amour. Et je t'aime, Neto.
Wouh putain. Si ça c'est pas de la punchline de première classe, c'est elle qui paye le restau ce soir.
- Mais je me respecte aussi, sans quoi ce serait malsain. Et si tu me reparles encore une fois comme ça, je te broie ta virilité toute entière et ce sera la seule chose que je te laisserai.
Elle m'a embrassé avec passion et on s'est remis à faire ce qu'on sait faire de mieux.
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Hé ben j'ai bien fait de payer ma tournée l'autre fois... Grâce à qui on a encore une scène de sexe gratuite ? Hé oui, c'est grâce à Bibi !
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Non, non, narrateur. T'as eu ton quota de boobs pour la semaine, l'autre fois. Je raconterai rien.
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Enfoiré. J'me casse. Putain d'ingrat.
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Une heure plus tard.
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Juste une heure plus tard ?
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Ouais. Juste une heure plus tard. Et je raconterai toujours rien.
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Rien ?! RIEN ?!
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Voilà . Comme dans la chanson.
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Putain j'me casse. Vraiment, cette fois.
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C'est ça, on y croit tous.
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Bon, ben on a l'air débarrassés de lui. En attendant qu'il revienne, voilà la suite.
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Après cette heure de débauche, j'ai eu un putain de choc à la tête. Submergé de souvenirs et d'émotions d'une déferlante similaire à une machine à sous qui affiche un triple 7.
Il y avait aussi une autre fille, mais ma mémoire brumeuse accusait une sacrée gueule de bois dûe au décalage horaire salement burné qui m'infirmait le cerveau depuis mon retour dans le réel. Enfin, le passé quoi. C'est pareil de toute façon.
- J'te demande pardon, Sofy. Je manque à tous mes devoirs, en ce moment, à commencer par celui du sommeil.
Oh c'est bon ça. Ça va prendre, ça va prendre, c'est obligé.
- Alors pour toi, m'aimer c'est un devoir.
Et merde. Sûr que c'est une vengeance du narrateur. Mais à ce moment-là , ça veut dire qu'il est aussi le script. Ou qu'il est très pote avec le script, et à ce moment-là , le script est une enflure.
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Je me suis levé et rhabillé.
- Je vais chercher des clopes. T'en veux ?
Ouais, je sais que je suis un lâche.
- Deux paquets, motherfucker.
Oh ouais, pour un peu je me prendrais presque pour Hank Moody aux prises avec les difficultés du scénario.
- Ça marche. J'en ai pour dix minutes, ça te laissera le temps de réfléchir à ce que je t'ai dit, si j'suis si important pour toi.
- Crève.
- Moi aussi j'te kiffe.
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Elle a ri, finalement. M'a tendu ses bras pour un câlin, je lui ai fait un baisemain à la place.
Note pour plus tard. Ne jamais sortir en chemise, après avoir passé trop de temps dans un baisodrome pas aéré.
IL FAIT SUPER FROID PUTAIN.
Soleil éclatant + vent glaçant. J'ai dû laisser mes neurones de l'autre côté. Je me frictionne comme je peux en râlant à mi-voix. Je suis pas vraiment là , j'ai l'esprit ailleurs et les yeux à moitié fermés. Trop ailleurs pour pas regarder avant de traverser. Peut-être que c'est finalement les voyages dans le temps qui rendent con.
Un bon gros coup de klax m'a tiré les yeux hors des orbites. Au moins maintenant ils sont complètement ouverts. Et j'ai le cul par terre en plein milieu de la route. Je me relève vite fait pour croiser le regard d'une fille que j'étais pas censé connaître à ce moment-là .
- Vous allez bien, monsieur ?
Froide et timide, douce et distante.
- «Monsieur ?» J'ai l'air si vieux que ça ?
- Excusez-moi.
Est-ce que c'est vraiment elle ? Putain mais où j'en suis, bordel ? Quelle année ?
- Vous êtes sûr que ça va ?
- J'en sais rien, et vous ?
Elle s'est mise à rire.
- Vous êtes plutôt cool pour un type qui vient de se faire renverser.
Mes yeux ont bien failli ressortir une deuxième fois.
- Quoi ?
- Vous vous êtes pris un aller simple pour l'autre côté par un capot de Mercedes. Mais apparemment, votre vol n'est pas parti.
- Ça va, y'a pire...
Elle a souri.
- Ah, je crois que le voilà .
Un caucasien carré à la tronche d'acteur porno avançait vers moi depuis l'autre bout de la rue. Il émanait de lui un mélange de «J'suis désolé, vous êtes blessé ?» et de «Mais t'es complètement con de traverser comme ça sans regarder, espèce de pourriture de témoin de Jéhovah !», le tout saupoudré d'un généreux soupçon de «Mais il est où ce con ?»
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[rajouter un paragraphe où Neto prend le temps de regarder la demoiselle.]
- Ça te dérangerait de me couvrir ?
- Pardon ?
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Je lui ai montré le bureau de tabac du menton.
- Je rentre là -dedans et toi tu fais tout ce que tu peux pour l'éloigner. Invente un truc, n'importe quoi. Une fois qu'il s'est barré, tu viens me le dire. Okay ?
- Hum d'accord. Mais il faudra que je vous pose quelques questions.
Son sourire grandit et trahit un peu d'excitation derrière son calme. Pas de doute, c'est bien elle.
- Tout ce que tu veux, lançai-je avant de m'engouffrer chez le dealer de cancers.
Le miroir disait que mes yeux s'étaient refermés à moitié, comme si rien ne s'était passé et que ma vague douleur sacro-illiaque n'était qu'un bonus DVD des voyages dans le temps.
Il rajoutait que j'avais besoin d'une bonne coupe et de me raser. Je ressemblais à Kurt Cobain croisé avec Jim Morrisson. Du grunge psychédélique, ouais, et selon la fille calme et tranquille qui est très probablement elle, je devrais être tout aussi mort qu'eux.
Kurt et Jim en version européenne, s'il faut le préciser. Donc en bien moins sex. Je sais pas ce qu'elles me trouvent. Faudrait vraiment que je pense à faire un sondage, un jour.
- Monsieur ? ... Monsieur !
Buraliste me coupe dans ma passionnante discussion avec le miroir. Dommage, on allait arriver au passage où il me dit que j'ai de beaux yeux, je sais ?
Et puis qu'est-ce qu'il y a avec tous ces «Monsieur», c'est une conspiration ?
- Ouais, pardon. 4 paquets de Lucky, s'il vous plaît. Et mettez-moi deux demis aussi.
Je suis allé m'asseoir en ressassant tous les souvenirs qu'il me restait. Ou que j'avais récupérés. Je sais même pas en quelle année on est, et une flemme puissante m'empêche d'aller trouver ma réponse du côté des périodiques.
Et puis quel âge j'ai ? Je suis peut-être un loser qui cumule encore les plans cul à 30 ans, au lieu de se poser comme tout le monde. Si c'est le cas, ça veut dire que j'suis aussi mauvais en «tout le monde» qu'avant. Je suis donc resté le même, et ça, c'est bon signe.
En quelle année j'ai rencontré Anna, déjà ? Après avoir perdu Sonia, c'est sûr.
Pas étonnant que j'aie été aussi sec avec Sofy, tout à l'heure. Je m'en rappellais sans le savoir. L'inconscient...
- Merci.
J'ai pris une gorgée en sortant de quoi payer l'actif pour l'inertie, ma main libre sur mes pensées, évitant de regarder les jeunes filles autour dans les seins.
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T'es irrécupérable, mec.
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Je l'avais dit, ça aura pas duré longtemps. En parlant de ça, elle est où, Peut-Être Anna ? 'Tain, je suis vraiment pas fait pour attendre.
J'ai repris une gorgée. J'ai pas le souvenir d'avoir déjà été percuté par une voiture, ou même failli. D'ailleurs j'ai mal nulle part, à part au suçon que Sofy a cru bon de me faire de le bas du cou. Je relève mon col. La bière me fait trembler et envole mes pensées.
Avant la fin du monde, comment j'ai rencontré Anna ? A la fac, je crois. Et en ce moment, j'ai un taf suffisamment bien payé pour traîner avec 40 boules dans la poche sans lever le sourcil.
Faut que je retrouve mes carnets, vite.
Pour l'heure je suis coincé ici. Elle avait l'air d'avoir envie de continuer à me parler.
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Range ton putain d'ego à la con et bois ta bière.
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La porte s'est refermée au moment où j'ai reposé mon verre. La scène s'est ouverte sur la blonde la plus canon de ma génération. Enveloppée dans un manteau de mi-saison, elle m'a posé ses yeux d'ange dessus et j'ai pas pu décoller les miens de son visage. Jamais vu une finesse comme ça. Ou enfin si, puisque je la connais. Mais là je la connaissais plus. Enfin pas encore. Enfin vous avez compris.
Elle souriait.
Vient vers moi, s'installe. Je lui approche le deuxième verre d'un doigt, le dos toujours contre ma chaise.
- Il est parti ?
- Oui. Ne vous inquiétez pas.
- Hé, pas de «vous» avec moi ! Souris-je
- Pardon. J'ai... pas l'habitude. Et ce que vous m'avez demandé de faire était... excitant. Je me croyais dans un film.
- Mais on est dans un film ! Pourquoi tu crois que j'ai commandé une deuxième bière ? J'ai le sens de la mise en scène, moi, mademoiselle !
- Elle a ri doucement et m'a tendu sa main.
- Anna. Enchantée.
Mon coeur a fait une vrille carpée. Elle avait l'air sincère. Mais c'est elle bordel ! Je lui ai fait un baisemain par réflexe. Et merde. Mais c'est génial ! Enfin je crois.
- Tout le monde m'appelle Neto. Tout le plaisir est pour moi, mais on peut partager, si tu veux.
Encore un sourire.
- Partageons alors, Neto.
Je me suis recalé contre mon dossier.
- Je t'écoute.
- Pourquoi vous m'avez demandé de vous couvrir ?
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Heu... 1) Parce que j'aime pas être emmerdé par une doublure bite quand je vais acheter des clopes pour deux. Les plans à        trois avec un mec, c'est hors de question.
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2) Parce que j'ai suffisamment d'ennuis avec les flics pour vouloir éviter de remplir un constat, même si ça peut me rapporter des thunes. «Dédommagement corporel» ils appellent ça, je crois.
3) Parce que tu est magnifique et que c'était le meilleur moyen pour te draguer. Cet exemplaire de «Comment draguer efficacement dans les bars-tabac» que tu vois à côté du comptoir le confirme à la page 26.
Â
4) Parce que je suis un putain de gros lâche.
5) Parce que j'ai apparemment déjà failli mourir une fois aujourd'hui et que j'ai pour principe de pas tenter le diable, si jamais il existe.
Â
- Je sais pas, je l'ai senti comme ça.
- Vous êtes habile. Même si vous ne mentez pas, vous ne me dites pas la vérité. Vous êtes catholique ?
- Dieu m'en garde, j'ai déjà du mal à croire en l'homme...
Sourire.
- Et en vous ?
- J'en parle même pas.
- On dirait bien que j'ai ma réponse, sourit-elle encore une fois.
- J'ai déjà assez d'ennuis pour le moment.
- Votre vrai nom, qu'est-ce que c'est ?
- On s'en fout.
Elle est sacrément intéressée ou je m'y connais pas.
- Bien. Je pense que je vais y aller, se leva-t-elle.
Ah merde. Autant pour moi.
- Attends !
Je l'ai attrapé par le bras en priant pour que ma skill des yeux à moitié fermés mais déterminés fonctionne une fois de plus.
- T'as dit que j'avais été percuté par la Mercedes, mais j'en ai aucun souvenir, et j'ai mal nulle part.
- Je sais.
Je me suis recalé sur ma chaise et elle s'est rassise. Bingo.
- Je commence à penser que t'as pas mal de choses à me dire et que tes questions n'étaient qu'une façon de s'amuser un peu.
- Monsieur Neto, je vous demande pardon, mais on ne peut pas parler ici.
Â
On dirait Catwoman timide qui joue dans Usual Suspects. Ne pas relever, surtout.
- Finis ton verre et on décolle.
La porte a claqué derrière nous.
- Je dois te dire beaucoup de choses, Lester.
Â
J'ai avalé ma bouffée de travers et manqué de me brûler avec la clope. Dommage, ça aurait pu me réchauffer.
- On m'a pas appelé comme ça depuis des années.
- Je sais.
- Dis-moi ce que tu sais pas, ça ira plus vite.
- Je ne me souviens jamais si la 11ème décimale de Pi est un 8 ou un 9.
Parce qu'elle a de l'humour, en plus. C'est vraiment Anna ?Â
- Qu'est-ce que c'est que tout ça ? Pourquoi tu m'as fait un plan aussi bizarre ?
- J'avais besoin d'être sûre que c'était le bon toi.
- Hein ?
- La bonne strate, si tu préfères.
Ça commence à m'énerver cette histoire. J'y voyais plus clair dans la ville fantôme. Me dis pas qu'en fait c'est Blanche ? Elles se ressemblent pas mal, en plus...
Elle a souri.
- Rentrons chez toi, tu vas attraper froid.
Â
Â
J'ai ouvert la porte de l'appart, laissé passer Anna, et elle s'est pris une culotte au visage.
A jeté son manteau sur une chaise à travers la porte de la cuisine et embrassé Sofy qui restait la bouche ouverte en attendant de trouver les mots pour formuler un râle à peu près civilisé et à la mesure de mon retard. L'a plaquée sur le lit et a commencé à jouer plus ou moins sauvagement avec elle.
Lever d'yeux au ciel dans un soupir de mon côté.
- Pourquoi faut toujours baiser avant de discuter ?
Â
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