On est descendus du bus. J'ai reçu un message de Lola disant qu'elle peut pas venir, qu'une de ses amies va mal et qu'elle doit s'en occuper. Parfait. Mais depuis quand je suis comme ça ? C'est la vraie réalité, ça ?
- Ils vous chercheront chez vous en premier. Ca nous laisse le temps de trouver quoi faire. Venez, on va chez moi.
- Merci.
Le trajet s'est déroulé en silence. On pouvait pas se permettre de se compromettre, de toute façon.
- C'est au deuxième.
Silence dans l'ascenseur, aussi.
Tourné la clé dans la porte et allumé la lumière. Mon appart est terne, brun. Ambiance propice.
Il fait froid.
Le prof ne dit rien. Je vais allumer un radiateur et une bougie. J'y passe ma main. AAAAÏEEEUH.
- Mais pourquoi tu fais ça ?
- Rien, laissez tomber. Vous voulez boire ou manger quelque chose ?
- Non..
- Comme vous voulez. Vous tenez le coup ?
Silence. Je suis allé jeter un coup d'oeil dans le frigo.
- J'ai assassiné Sébastien.
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Encore un jour sans sommeil. J'ai arrêté de compter. Vidé d'énergie et des cernes plein les yeux. Paralysé par ce que je pense, entends, crois ressentir, incapable de faire autre chose que rester prostré, assis sur mon lit, entre le sommeil et la vie réelle.
Je refuse ce monde. J'y ai pas ma place.
Tous ces gens sales et vides le parasitent, le hantent, le condamnent. Si nous sommes ici pour expérimenter des choses, si c'est bien ça le sens de la vie, quelle en est la raison d'être ? La cause du monde lui-même ? Ce terrain de jeu est là pour nous faire grandir, mais dans quel but ? Une fois que ce sera fait, à quoi on servira ?
Le mec au chapeau a parlé d'échange d'énergie. Que c'était pour ça qu'on vivait et qu'on pouvait être heureux. Il avait cité la Bible, aussi. "Croître et multiplier". Créer encore plus d'énergie, mais pour alimenter quoi ? Peut-être qu'en mourant je le saurai. Trop de questions et trop peu d'éléments dans ce monde.
Je me traîne jusqu'à mon lavabo et m'y lave le visage. J'ai l'air d'un putain de déterré.
Mes gestes sont imprécis, fatigués. Vieux. J'ai 75 ans de trop, j'en ai marre de continuer. L'homme au chapeau est pas d'accord. Je le vois plus distinctement que jamais, comme s'il était vraiment là.
Je me rappelle de la lumière qui explique sans parler, après le vide. Bien après. J'ai l'impression que c'était il y a 150 ans. Maintenant elle a disparu, et plus rien a de sens.
- Relève-toi, Seb, tu me fais pitié.
- Va te faire foutre, laisse-moi crever.
Il m'a attrapé par le col et soulevé du parquet où je cherchais un semblant de sommeil.
- Tu as des choses à faire aujourd'hui, Sébastien.
- Ouais. Crever. Casse-toi.
J'avais la voix rauque.
- C'est toi qui m'as foutu dans cet état.
- Tu as eu le choix.
- Viens avec moi, il faut que tu manges.
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Sébastien zombie se traîne dans les couloirs. Ses cervicales grincent et son dos est une descente d'escaliers. Les gens se retournent parfois sur son passage, mais ça doit être parce qu'ils le confondent avec Kurt Cobain, puisque la plupart des autres l'ignorent simplement.
Trop de cernes, je suis une antipub pour crème de jour. Ca tombe bien, j'ai jamais pu les blairer, et les décérébrées qui tournent dedans encore moins.
Le cours m'a vidé. J'ai pas pu prendre grand-chose. Je sais même pas quel âge j'ai, alors suivre les tribulations du banquet de Platon, c'est un peu trop me demander. Même le meilleur prof de philo du monde peut pas faire de miracles.
Je suis sorti prendre un café. Le lycée bruyant m'énervait, mais pas suffisament pour m'assurer de pas tomber de fatigue sur le chemin du retour. Quelque part j'envie ces gens criant et leur joie de vivre, même si ça leur donne l'air d'avoir trois ans d'âge mental. Peut-être qu'au final, ce serait une preuve d'intelligence que de mettre mes questions de côté et essayer de faire comme eux. Qu'est-ce que je dis ? Ce serait de la lâcheté, rien d'autre.
J'ai assez perdu de temps ici. Je me suis dirigé vers le parking pour sortir par-derrière et éviter l'entrée du lycée bloquée par les rires et les volutes de fumée.
C'est là que je l'ai vu. Il avait l'air surpris que je sois là. Il s'approche de moi rapidement. Peut-être qu'il m'en veut de pas être resté à la fin du cours pour discuter avec lui, comme on en avait l'habitude.
J'ai pas senti le premier choc, mais j'ai bien senti la lame me rentrer entre les côtes et perforer mon poumon. Pneumothorax, pleurésie. Les mots affligent dans ma tête et l'air que je respirais retourne à l'atmosphère dans un long souffle. Le mien est coupé, je suffoque. La main du prof tremble, il me regarde et me dit quelque chose mais je ne vois rien, beaucoup trop flou, l'adrénaline se rajoute au café et mon coeur bat de plus en plus vite, je n'arrive pas à m'évanouir. J'étais courbé mais je suis déjà par terre. Pas senti le deuxième choc non plus.
Il a disparu sans que je m'en rende compte. Une ambulance est arrivée parce que c'était le bon moment pour me vriller les tympans. J'ai été mis sous oxygène pendant que les infirmiers me posaient des questions. J'aimerais leur demander de m'achever mais je peux pas parler. Ils m'ont piqué.
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Je me suis réveillé avec un respirateur, un bandage autour du crâne et une odeur d'éther. Et la douleur explosive, aussi. Je recommence à y voir clair. Je me rappelle que j'ai rêvé d'une fille et que j'étais heureux. Ca devait être de la kétamine. L'homme sans nom était là. Il a jeté un oeil à mes constantes puis a redirigé son regard sur moi. Ma gorge est sèche, je n'arrive pas à parler.
- Tu n'es pas encore stabilisé. Les médecins vont venir te mettre en coma artificiel le temps que ton poumon cicatrise.
Ca explique pourquoi j'ai encore mal, mais pas pourquoi je me suis réveillé.
- C'est moi qui ai fait ça.
La tentative de meurtre ou le réveil ?
- Le réveil. Je viens te sauver.
Non. Hors de question.
- Tu n'as pas le droit de mourir, Sébastien.
Tu vas voir.
J'ai arraché mon respirateur et me suis traîné hors du lit en suffocant. Ma tête tourne et mes jambes me lâchent. Je ne suis stable à aucun niveau. Je chancelle dans tous les sens, attrape la poignée de la fenêtre et la tourne. Je ne suis qu'au deuxième étage, mais si je saute la tête en bas, dans mon état, j'ai aucune chance de survie.
Je lui jette un dernier regard en souriant.
- Tu l'avais pas prévu, ça.
J'ai sauté.