Samedi 15 avril 2017 à 0:04

 

 


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Mes yeux se sont finalement rouverts au bout d'un laps de temps inquantifiable sur ce fameux rouleau de papier-toilette qui portait à lui seul un tout nouveau mystère insondable que je me retrouvai à devoir résoudre la tête dans le cirage.

Sonia était-elle morte ? Avais-je vraiment eu le temps de faire mon deuil considérant le temps que j'avais passé inconscient ? Tant de questions restaient sans réponse, et je brûlais d'envie de leur apporter une résolution le plus vite possible, ne serait-ce que pour rester en vie un peu plus longtemps sans sombrer dans la folie. Les larmes coulaient brûlantes le long de mes joues sans que je ne puisse rien y faire. C'était à moi qu'il incombait d'offrir une sépulture décente à Sonia, et il n'y aurait personne d'autre pour se joindre à moi, ce qui en un sens rendait mon entreprise aussi pathétique qu'inutile. Mais pour ce faire, encore fallait-il retrouver son corps.

Je me suis relevé, et mon regard avec, pour lui faire face, non sans surprise.

- Hej, bro.

Mes sourcils sont partis direct dans la warpzone et mes yeux ne se croyaient pas eux-mêmes.

- Je crois que je peux échanger ma place avec celle d'autres trucs autour de moi. 

Elle a disparu et j'ai engueulé un café.

- Dis-le que ça t'impressionne.

- Ca m'aurait impressionné que tu m'en parles AVANT que je me retrouve encore à risquer ma vie.

- Toi aussi t'as des pouvoirs, et ils sont sacrément violents. T'avais clairement plus de chances que moi de t'en tirer.

Et il y en a encore pour me trouver froid.

- J'aurais pu y passer, ça aurait été beaucoup plus simple si t'avais daigné m'aider.

- Et pourtant t'es là.

- Pas grâce à toi.

- On s'en fout. T'es là. T'as gagné. C'est ça qui importe.

Sûr qu'elle avait maté tout le combat, bien au chaud dans un coin, alors que j'étais persuadé de la savoir morte. J'ai serré les dents pour ne rien dire, au risque de m'en faire sauter le masséter. Préférant ruiner l'ambiance plutôt que ma mâchoire, je me suis finalement décidé à l'ouvrir.

- Quand j'ai découvert mon pouvoir, j'étais pas sûr qu'il ait une logique. Mais quand je vois le tien, ça me paraît évident que c'était le seul que t'aurais pu développer.

- D'ailleurs, c'est peut-être comme ça que je suis arrivée là, au final, dit-elle songeuse, ignorant ma pique sur sa passive-agressivité. "Peut-être même qu'il y avait un point commun entre ici et chez moi".

- Peut-être, lâchai-je d'une voix rauque. Les différentes vibrations des univers se seraient accordées en certains points suite aux failles dans la structure de la réalité, avant qu'elle ne se déploie. La compression temporelle ne serait peut-être pas arrivée tout de suite, et aurait du coup été la conséquence d'une expansion physique de la réalité, puisque le temps c'est de l'espace. Ca se tiendrait. Peut-être. Si jamais il existe une sorte de multivers qui fonctionne comme ça, où chaque itération a sa propre vibration; des points de réalité auraient pu correspondre et permettre une translation d'un univers à un autre avant que tout ça ne se distorde dans tous les sens pour créer ce bordel sans nom.

Je réfléchissai, essayant de reprendre le contrôle de mes émotions. Quasi-impossible, surtout considérant que mon feu s'en nourrit, ou les exprime, je ne sais pas encore trop. Peut-être avais-je perdu à cet instant une idée particulièrement pertinente. J'en savais rien, je pouvais plus penser, je n'étais plus qu'émotions. Ma théorie se tenait. Ca me rendait dingue.

Où en suis-je vraiment ?

- Cassons-nous d'ici.

- Ouais, lâchai-je par réflexe.

- N'empêche, le singe... Tu lui as quand même vraiment mis le tarif, me dit-elle alors que nous passions la porte.

- Tu l'aurais emmuré avant que j'aie le temps de dégainer si t'avais voulu faire autre chose que fuir, pour une fois.

Elle garda le silence une poignée de secondes. Un stess aussi flippant que jouissif me remplissait le coeur et les tripes. J'en frissonnais de tout mon corps, sans savoir si je devais exulter ou me recroqueviller.

- Je suis pas fort, réussis-je à rajouter , et t'as pas intérêt à croire le contraire si tu veux avoir une chance de rester en vie.


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Mes yeux se sont ouverts sur une porte blanche et noire. La compression temporelle avait eu lieu. J'étais toujours dans la salle rouge, malgré le contraste créé par la porte qui détonnait vachement. Une ritournelle de piano obsédante habitait maintenant la pièce. Sur la chaise était écrit «Please suicide here» en lettres de sang. J'ai gardé les yeux fixés dessus pendant quelques instants. J'étais pas sûr de comprendre. Au fond de mon être, une partie de moi flippait comme jamais. Une autre mourait d'envie d'en savoir plus.

 

Je l'avais encore fait et j'étais vivant. Dans quel plan de l'Univers tu peux te foutre en l'air pour la deuxième fois et t'en tirer comme tu te réveilles d'un rêve ? Avoir une balle dans le cerveau, c'est quand même censé aider tout être humain normalement constitué à ne plus se poser de questions.

J'étais censé être mort entre les murs de cette pièce aussi rouge qu'inconnue, et l'inscription sur la chaise indique clairement que quelqu'un m'observe.

 

Quelqu'un qui saurait que j'étais là, tout seul, coincé dans cette pièce exigüe, aux murs désespérément plats et sans le moindre interstice où on aurait pu loger ne serait-ce qu'un oeil.  Si je suis pas mort, ça veut dire que Dieu existe ?  Un dieu assez magnanime pour laisser la vie à un loser toutes catégories confondues dans mon genre.  Un dieu qui aurait fait apparaître une porte devant moi, noire et blanche.  Ne serait-ce qu'histoire de détonner clairement du rouge.

 

J'ai frissonné. La température baissait de plus en plus, et la musique ne me réchauffait pas, au contraire.

 

Je me suis retourné vers la chaise avant de partir. Il y avait un sweat noir dessus. Il n'y était évidemment pas tout à l'heure.

 

Le flingue était dans ma poche. Je ne l'avais pas remarqué, malgré son poids.

 

Je l'en ai sorti et l'ai laissé tomber par terre. Saloperie.

 

Un dessin tribal apparut sur la porte quand je l'ouvris. On aurait un truc maori ou amérindien. Forte connotation crypto-mystique. Flippe de type corollaire et surtout intense. La réalité était en train de se restructurer, de se rééquilibrer.

 

Je me suis retrouvé  dans la rue sans pouvoir dire comment ni pourquoi.  Il y avait plein de gens, tous avec de drôles d'airs sur le visage.  J'essayai de me fondre dans la masse pour aller quelque part, n'importe où, en sortir. 
Pas rassuré, et avec un foutu blues à cause de la musique qui avait accompagné mon réveil.

 

C'était une grande rue passante, avec plein de magasins de tous les côtés. Si je tournais la tête sur ma droite, je voyais un clodo crever la dalle. Si je la tournais vers la gauche, je voyais la porte qui m'avait amené ici.

 

J'avais pas une thune, alors j'ai évité le clodo. Il m'a regardé d'un air apeuré. Il n'avait pas l'air de vouloir du fric. J'ai eu à nouveau cet étrange pressentiment. Comme si quelque chose de gigantesque se préparait.

 

Et avec tout ce qui s'était passé depuis la baston de fin de concert, je dois dire que j'étais pas trop étonné de la tournure que prenaient les évènements.

 

Je me suis remis à marcher. Au bout d'un moment, j'ai remarqué qu'un truc clochait sévère.  Le clodo avait toutes les raisons d'avoir peur.

 

Les gens qui marchaient face à moi avaient un air plus que menaçant. Freddy Krueger et Pinehead pouvaient aller au vestiaire se déguiser en lampes à rayons UV pour ménagères postrockeuses. Ils avaient l'air franchement malsains, ces gens.

 

L'un d'eux m'adressa un sourire qui ne révéla que des canines.

 

Une femme enceinte ouvrit sa chemise pour me montrer son ventre ouvert en deux par des lèvres monstrueuses aux dents acérées.

 

Un vieux avait une barbe de serpents.

 

Une jeune fille portait un sac de commissions d'où s'échappaient des tentacules humides. Elle avait un regard mêlé de désir et de honte.

 

Un môme d'une dizaine d'années sans sourcils me tira doucement le sweat. «A ton avis, elle a mal ou elle a peur ?»
Il était accompagné par son père, un petit homme dans un smoking noir, sans sourcils non plus, et dont les lèvres restaient serrées, verouillées.

 

Le môme reprit la parole :

 

- Mon père dit qu'il ne sait pas. Mais je n'ose pas lui demander, ça lui ferait sans doute beaucoup de peine.

 

Inutile de vous préciser que j'étais terrifié. Sur une échelle de la flippe de 1 à 10, j'étais au moins à 134.

 

J'ai pris mes jambes à mon cou, et tracé vers la porte rouge et noire. J'ai attrapé le flingue en haletant. Ils allaient sûrement m'attendre pour me tuer. Je me demandais lequel de ces êtres déshumanisés allait m'attaquer en premier. Lequel allait me tuer, et de quelle façon.  Je me passai la main sur le visage et les cheveux. J'étais en nage.

 

Après, je suis bien mort une fois. Pourquoi pas deux ?
J'ai rassemblé le peu de courage que j'avais jamais eu pour ouvrir la porte.

 

Le clodo avait la même tête que tout à l'heure. Mais les gens étaient cette fois-ci tout à fait normaux. L'un deux adressait un sourire Aquafresh à une jeune fille qui faisait ses courses, une femme enceinte accompagnait son père à la barbe blanche, un homme d'affaires en smoking tenait son jeune fils par la main.

 

Rien d'anormal. Rien d'inhabituel. Sauf dans ma tête. Sauf peut-être dans ma tête. Me demandez pas, j'en savais rien. Y en a trop dans mon mental pour faire la part des choses.

 

J'ai caché le pistolet dans ma poche et j'ai essayé de marcher de la façon la plus naturelle possible.

 

La pluie s'est mise à tomber et le cauchemar a recommencé.

 

 

Merde.

 

J'ai sorti le flingue de ma poche, et, sans réfléchir ni fléchir, j'ai tiré dans le tas.

 

 
La femme enceinte me parlait avec ses quatre lèvres en même temps. Dégueulasse. Elle saignait abondamment mais semblait s'en foutre complètement. Elle disait qu'elle était pas encore tout à fait satisfaite, qu'il lui en fallait plus. De son ventre coulait un liquide poisseux qui n'avait rien à voir avec de la salive. Ou en tous cas, pas le genre de salive qu'on trouve dans une bouche.

Putain de bordel de merde-de-qu'est-ce que c'est que ça.

La fille aux commissions avait l'air du même avis. Elle en redemandait, avec le même air pervers et malsain.

 

Sur l'échelle de la flippe, j'étais à 278 sur 10. Je pleurais, et j'aurais prié n'importe quel Dieu de me sortir de là, de me dire que c'était qu'un rêve, qu'un cauchemar de plus, alors que je savais pertinemment que c'était réel, que c'était ça, la réalité, désormais.

 

J'ai vidé mon chargeur sur les déshumanisés. Le vieux est tombé le premier et a disparu dans un nuage de poussière.

 

J'espérais, peut-être naïvement, ne pas tirer sur de vrais gens.

 

J'avais plus de balles. Si un Dieu existe, il repassera. C'est l'heure de se débrouiller tout seul.

 

J'ai repoussé la femme enceinte à coups de pied dans les dents (du bas), et la fille aux commissions à coups de poings dans les dents (du haut).  Je me suis retourné vers le môme et son père. Ils avaient été balayés par le clodo au visage apeuré de tout à l'heure.  Si ça continue, plus rien ne va m'étonner.

 

Quand j'étais hors d'haleine et à court d'énergie à force de frapper dans tous les sens, les choses ont fini par se calmer.

 

La fille aux commissions sortit son poulpe de son sac. Il grimpa sur ses épaules et étendit paresseusement ses tentacules sur sa poitrine.

 

- Recule.

 

C'est le clodo qui avait parlé. Je reconnaissais sa voix.

 

Deux boules noires entourées d'un halo flottaient dans ses mains. Il s'en est servi pour se débarrasser de ces monstres en forme d'humains. Une danse macabre en seulement deux mesures, aussi rapide qu'efficace. Je me croyais dans une histoire de science-fiction ou de superhéros ou des deux.

 

J'avais le souffle coupé, les yeux humides et le cerveau dans tous ses états. Mais c'était fini maintenant.

 

- Est-ce que ça va ?

 

Lui. 
Je ne sais pas qui est ce type et encore moins quel est son plan, peu importe à quel point je le vois souvent. Il dit qu'il est sans cesse en train d'attendre son nom, comme si pour lui c'était ce qu'il y a de plus important, plus encore que tous les trucs qu'il me dit depuis si longtemps, tous ces trucs qui ont fait qu'en un sens, je m'attendais à la fin du monde, même si j'avais jamais pensé qu'elle prendrait cette forme, non, pas cette putain de forme, fantasmagorique, flippante, tortueuse, et traumatisante. 
Je savais que ça arriverait mais pas comme ça, non..

- Qu'est-ce que tu fous là ? Je croyais que tu pouvais pas...

 

Il m'attrapa par le col pour m'aider à me relever.

- Ca commence, reprit-il. Maintenant c'est à toi de faire la différence.

- Foutu contrat.

- Désolé.

Mes yeux brisés lui en disaient plus long que toutes les larmes de l'enfer.


 

 

Samedi 15 avril 2017 à 7:14

Il m'est arrivé le truc le plus improbable qui soit. Non seulement j'avais rencontré miraculeusement le bassiste de génie-idéal-qui-nous-manquait-depuis-qu'on-avait-formé-le-groupe, mais en plus il était quelqu'un de démentiellement cool que je mourais d'envie de connaître davantage – raison pour laquelle je l'ai invité d'une manière qui se voulait la plus naturelle du monde à venir jammer chez moi pour se découvrir accessoirement autour de quelques bières (24), occasion au cours de laquelle il s'est avéré être tout à fait charmant – et bordel il a disparu en plein milieu de la nuit.


Je me suis réveillée, la tête dans le pâté et sûre d'avoir fait des rêves épiques dans l'univers des pirates, avec force tempêtes en pleine mer et craquements de cale, de mâts, et autres structures à base de bois, pour me rendre compte qu'en fait, les sons que j'avais cru entendre étaient bien réels, comme en témoigne la porte de la salle de bains enfoncée à l'intérieur de ladite salle, les gonds défoncés. Il me fallut la soulever et la déplacer pour pouvoir boire un coup, ma tête tournant encore un peu.

Qu'est-ce que c'était que ce bordel ? Que s'était-il passé ? C'était Dan qui avait fait ça ? En était-il seulement capable ? Non, il était bien trop respectueux. A moins que ce ne soit qu'un hypocrite ? Que son trip soit de foutre la merde chez les autres ? 

Je doutais. Je ne le connaissais pas, après tout, mais comment pourrait-on ne pas avoir de vie à ce point ? J'étais perplexe. Après avoir replacée la porte sur ses gonds, je me suis dirgée vers la cuisine en passant par le salon. Quand j'ai ouvert la porte du couloir qui y mène, j'ai senti un courant d'air.

Là, j'ai hallucinurlé.

Des éclats de verre partout. Plein le sol. La vitre de la fenêtre avait implosé en de multiples fracas qui tapissaient le salon.

Je me suis mise à flipper ma race en courant dans tous les sens pour vérifier si rien n'avait été volé.

Ma premère théorie était que des cambrioleurs se seraient inflitrés chez moi en implosant la fenêtre pour me voler des trucs et qu'ils auraient capturé ou tué Dan, qui les aurait vus, mais cette hypothèse a volé en éclats dès que je me suis rendue compte que rien ne manquait à l'appel.

Ca m'a rassurée autant que ça m'a encore plus fait flipper. "Une fois que tu as éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est forcément la vérité."

Sauf que je ne savais pas quoi chercher, et qu'instinctivement, ma colère s'est dirigée vers Dan, même si je savais déjà que c'était irrationnel.

C'est donc enragée que j'ai attrapé ma veste et suis sortie de chez moi dans une colère noire, en me dirigeant vers Prima Cordes, parce que c'était là que je l'avais rencontré, et que c'était au final le seul lieu qu'on avait en commun, à part chez moi, ce sur quoi je ne vous ferais pas l'offense d'argumenter, étant donné le bordel intersidéral laissé par son passage.

Après un coup de bus et quelques centaines de mètres parcourus à grands coups de mes Converse claquées, mon regard fut attiré par un type de dos à la terrasse d'un café. Je ne l'ai pas beaucoup vu mais je reconnaîtrais ces cheveux ébouriffés entre mille.

 
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J'avais rencontré Solenne de la manière la plus improbable qui soit. 

Un jour, en allant à Prima Cordes récupérer ma basse que j'avais laissée à réparer, Gaspard, le patron qui refuse obstinément qu'on l'appelle Kaspar ou même Kasper, m'apprit que j'étais venu la chercher la veille. Il était à peu près aussi surpris que moi, mais, devis de remise avec ma signature et livre de comptes à l'appui, il disait la vérité. Le problème, c'est que je venais à peine de revenir en ville d'un weekend chez ma meilleure amie, à à peu près 200 km d'ici.

C'est donc passablement préoccupé que je suis le café le plus proche. Où avait bien pu passer ma basse ? Qui était ce double qui l'avait récupérée et pourquoi ? Je réfutai la théorie du clone avant même de l'avoir formulée : personne n'aurait d'intérêt à me cloner, surtout pour récupérer une vieille basse qui tomberait en ruine et sonnerait comme le ukulélé de ma grand-mère si je ne m'en occupais pas à tout bout de champ. J'ai donc soupiré en me dirigeant vers le bar dans l'idée de commander une pinte ou un café, je ne savais pas trop encore.

De toute façon qu'est-ce que ça pourrait être à part un clone ? Mon double du -

  - HÉ, TOI !!

Je me suis retourné d'un bond en manquant de me casser la gueule pour faire face à la plus belle fille que j'aie jamais vue. Durant la fraction de seconde que j'ai eue pour pour la regarder avant qu'elle ne m'attaque, je n'ai pas pu m'en rendre bien compte, mais la sensation puissante imprimée dans mon coeur n'avait rien à voir avec son arrivée fracassante.


- Tu me dois des explications, planta-t-elle ses magnifiques yeux verts dans les miens stupéfaits.
- Je... Quoi ? Je comprends pas, de quoi tu parles ?
- Tu te fous de moi ? Prima Cordes, hier. Ne me dis pas que t'as déjà oublié. Je t'invite chez moi, on passe la soirée à faire de la musique et à discuter, et toi tu disparais en me laissant une fenêtre implosée, la porte de la salle de bains sortie de ses gonds, et ta basse. Explique-moi ça.
- Non, c'est pas vrai...

 

Mon double du futur. Ou du passé. Ou d'un autre univers. Ou un métamorphe, mais là ce serait vraiment pas de bol. Tout colle impec. A part que c'est impossible, mais ça, c'est un détail. 

 

- Tu crois vraiment que je serais aussi énervée si c'était pas vrai ?
- La fenêtre, elle était cassée comment ?
- Comment ça ?
- C'était la vitre ou le châssis ?
- La vitre. Tout a volé en éclats. Le châssis tient encore à peu près debout.
- De quel côté, les éclats ?
- Y'en a partout sur le sol, elle a implosé, je t'ai dit.
- Donc le choc venait de l'extérieur ! Ca colle impec !
- Quoi ?
- Conduis-moi chez toi ! Je t'expliquerai en chemin !
- T'as intérêt à avoir une explication solide... Hé !

 

Je l'ai prise par la main et j'ai commencé à courir tout droit.

- C'est par où ?
- De l'autre côté !
- Evidemment.

Vous pouvez dès à présent lancer le thème de Benny Hill, s'il existe encore à votre époque et/ou s'il existe tout court dans votre réalité (On sait jamais).

 - Attends, j'ai une autre preuve, par ici !
- Gaspard.
- Absolument.

Dire qu'on a enfoncé la porte de Prima serait un euphémisme. Hésitez pas à m'envoyer un message pour me dire si la serrure marche encore après ça.

- Gaspard !
- Montre-lui !
- Quoi ?
- Mon devis de remise et ton livre de comptes, dis-je en moins d'une seconde 30. 
- Hé, faut se calmer, les enfants.
- Si on te dit que tu détiens peut-être la preuve qu'il y a eu un phénomène paranormal dans Boredom City, est-ce que tu partages notre excitation ?
- La tienne.
- La mienne.
- Vous êtes sérieux ?
- Je suis pas encore sûr.
- J'ai toujours de sérieux doutes.

Gaspard a sorti les documents qu'il m'avait montrés tout à l'heure.

 - C'était bien hier. Et c'est ma signature. Sauf qu'hier...

Je me mis à farfouiller dans la poche intérieure de ma veste pour sortir un ticket de train.

 - J'étais à Tolose depuis 3-4 jours, et je ne suis rentré à Boredom que vers 23h30/minut, dans le train de 23h10. Et Prima ferme à 18h.
- 19h le vendredi, plaça subtilement Gaspard.
- T'aurais pas pu le dire tout de suite ?
- J'avais des éléments plus immédiats à prendre en compte, et tu m'as un peu sauté dessus. Mais avoue que ça se tient !
- C'est un début, admit-elle.
- Merci pour tout Gaspard, passe une excellente soirée !

On s'est tirés aussi vite qu'on était venus avant que Gaspard ait eu le temps d'ouvrir la bouche.

Vous pouvez remettre la musique de Benny Hill.

- Qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui ?
- Je t'ai cherché partout, j'ai même pas pris le temps de nettoyer le bordel que... tu ? As fait.
- Impec.
- Ca va, les chevilles ?
- C'est pas ça.
- Quoi, alors ? 
- Les éclats de verre seront toujours là.
- Arrête de marcher si vite, tu sais même pas où j'habite !
- T'as une boussole ?
- Non...
- Alors continue de me suivre !

Je n'avais encore jamais été si excité de toute ma vie.

- Où est-ce qu'on achète une boussole ?
- Mais tu te fous vraiment de moi !?
- Non ! Où est-ce qu'on achète une boussole ?
- J'en sais rien, moi, dans un magasin de sport ?
- Excellente idée !
- Il y a un Naturkompaniet deux rues plus loin.
- Tu es la demoiselle de la situation.
- Tu peux m'appeller Solenne.
- Tu es la Solenne de la situation.

Nous avons tracé dans le magasin façon Looney Tunes et en sommes ressortis dix minutes plus tard, armés de notre précieuse acquisition.

- Il te faut autre chose ?
- Une radio et un ampli, mais ça, je pense que tu as.
- Effectivement. Suis-moi.

Je me délectais de la situation et du fait qu'elle ne me demandait pas pourquoi on allait avoir besoin de tout ça. Vivre ça avec une demoiselle aussi exceptionnelle était incroyable et inespéré.

Je l'ai suivie jusqu'à l'arrêt de bus, qui est arrivé en même temps que nous. Parfait.

- Préviens-moi quand on sera à 100/200m de chez toi.
- D'accord.

Il y eut un bref silence.

- Voilà.
- Ok, fais comme moi, dis-je en sortant mon portable. Demande à ton GPS où on est.
- Houlà.
- 3, 4...
- San Francisco, Californie, lâchâmes-nous en choeur. 
- Attends ! Là c'est Boredom (toujours en choeur).

Ma main au feu qu'elle avait compris. Elle ne disait toujours rien quant à mon comportement. Peut-être même ne me trouvait-elle pas dingue. Sublime Solenne aux yeux verts et au corps délicieux.

Hum. J'ai sorti mon casque.

- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vérifie une théorie.
- Ca te dirait d'arrêter de te la jouer "Trust me, I'm the Doctor" ? 
- J'écoute la radio pour voir si les infos signalent quoi que ce soit d'inhabituel qui se serait produit dans la nuit d'hier et qui aurait encore des conséquences aujourd'hui. Je me disais que Gaspard aurait pu nous en parler, mais il n'écoute que la playlist infinie de Prima Cordes, jamais NRP. Si je trouve rien, je regarderai sur Internet.
- Qu'est-ce que tu cherches ?
- Je ne sais pas encore. Ou plutôt, je ne suis pas encore sûr. Mais à mon avis, y'a de fortes chances que ce soit épique.

Elle a souri tout grand. C'était magnifique, mon coeur en a raté trois battements.

"Boredom City News, c'est tout de suite sur NRP, Notre Radio Pirate !"

Jackpot.

"Bonjour, vous écoutez NRP, il est 18h. Tout de suite, les titres du journal. Comme vous le savez peut-être si vous êtes des couche-tard ou autres noctambules, nous avons expérimenté un blackout hier soir, puisque tous les systèmes électriques se sont arrêtés entre 2h et 3h du matin. Plus étrange, il nous a été rapporté que l'ensemble des systèmes électroniques ont eux aussi cessé de fonctionner, téléphones portables, ordinateurs -même les portables sur batterie-, montres et même des baromètres. Selon nos enquêteurs, tous les dispositifs électriques et électroniques ont cessé de fonctionner pendant une durée d'environ une heure. Cependant, grâce aux miracles de la technologie moderne sur-synchronisée, la plupart d'entre vous ne s'est rendue compte de rien. Ceci dit, ce qui aurait pu ne sembler être qu'un bug généralisé - et fort peu compréhensible par le commun des mortels au demeurant - s'est avéré assorti d'évènements pour le moins insolites, pour ne pas dire étranges : En effet, un certain quartier de la ville expérimente depuis hier soir quelque chose sans précédent : à cet endroit précis, dont nous tairons la localité pour éviter un phénomène de masse, vous pourrez autant jouir d'une chance insolente que vous retrouver à vivre dix ans de malheur en cinq minutes. Espérons que les choses reviennent rapidement à la normale, en attendant nous vous tiendrons au courant sur NRP, Notre Radio Pirate !"

J'ai coupé à ce moment-là. J'avais tout ce qu'il me fallait, et le sourire victorieux en prime. 

- Je crois que j'ai raison.

- C'est là, dépêche !

Elle était déjà devant la porte du bus. Je me précipitai hors de mes pensées pour la retrouver avant de me faire bouffer par les battants en train de se refermer.

On est allés chez elle en courant dans un élan d'évidence. Ouvert la porte en grand. Maintenant il allait falloir se maîtriser et procéder étape par étape en évitant de trop se la raconter. (Ce qui est difficile quand on se rend compte qu'on est le Docteur.)

Les éclats de verre tapissaient le sol, la fenêtre avait bien été éclatée de l'extérieur.

- Passe-moi le balai, je vais te le passer. C'est la moindre des choses.

Il aura fallu cette maladresse grammaticale pour qu'elle me regarde bizarrement.

 

Je calai une clope entre mes lèvres et nettoyai les éclats de verre.

 

- Ca te dérange si je fume à l'intérieur ?
- Non. Fais comme chez toi.
- Je peux me mettre à la fenêtre, si tu préfères. 
- Ce qu'il en reste. Dis voir, tant qu'on est en pause, là... Tu veux bien me dire ce que tu as entendu à la radio ?
- En gros tous les systèmes électroniques ont cessé de fonctionner hier entre 2h et 3h, même ceux qui étaient sur batterie. 
- Je crois qu'on a la même idée sur ce qui est arrivé hier soir.
- Peut-être. 3, 4...
- Vortex.

Troisième choeur en moins d'une heure. J'ai sorti la boussole. L'aiguille s'est fixée sur la fenêtre. Enfin vers la fenêtre. Mais violemment.

- Laisse-moi deviner, ton salon est...
- Orienté plein sud.
- OUI ! Je le savais ! Ha-ha ! Au tour de l'ampli, maintenant !
- Tu as un All Mars derrière toi.
- Ni-ckel.... Allez, parle-moi, Billy !

Je l'ai branché et orienté vers la fenêtre avant de l'allumer. Il s'est mis à biper, comme quand quelqu'un reçoit un appel ou un message en répète. A mesure que je rapprochais l'ampli de la fenêtre, les bips s'intensifiaient.

- T'as oublié quelque chose, tu crois pas ?

Elle me sortit de mes pensées pour pointer du doigt ma basse, encore dans sa housse.

- Oh ! Dans mes bras, ma beauté ! Tu m'as horriblement manqué !

Je dénudai mon instrument pour lui faire le plus ridicule des câlins. Solenne rit gentiment, amusée. Elle se détendait.

- Concernant le vortex...
- Oui ! Tu as raison, toussai-je dans l'espoir de retrouver un semblant de contenance et de respectabilité.
- Je vais chercher la radio.
- Tu es merveilleuse.

Elle tourna la tête vers moi et son regard étincela en même temps que son sourire. Cette fille est beaucoup trop magnifique pour ce monde.

- Chasser un vortex le premier soir. Meilleur rencard de tous les temps.
- Le pire c'est que t'es pas ironique.
- Le pire. Après ton double était pas mal non plus.

Ca devenait gênant. J'ai préféré couper court. Restons professionnels, que diable.

- Comment on atteint la rue derrière la cour ? 
- Suis-moi.

En chemin, je dégainai à nouveau mon téléphone et en rallumai le GPS, rafraîchissant régulièrement la page toutes les 20 à 30 secondes. La radio de Solenne diffusait pour le moment de la musique, ou des gens faisant des "Euuuuh" extrêmement longs entre deux phrases et parlant de sujets pseudo-intellectuels et réellement ennuyeux, quand elle passait sur Frank-Sverige Kultur.

- Passe sur une fréquence neutre, on va finir dingues sinon.

- T'es sûr que c'est la bonne direction ?

 Je ressortis la boussole.

- Ouaip. Toujours tout droit.

La radio se mit à grincer et à se brouiller, tout en bipant. Selon mon GPS, nous étions à Cardiff, Wales, UK. Enorme. Deux secondes après, Boredom à nouveau.

- Dommage que le vortex soit sans doute plus là.
- Ne me dis pas qu'on traque autre chose que de l'énergie résiduelle avec les moyens du bord; c'est pas comme si personne n'aurait remarqué un énorme trou de ver en plein milieu du ciel.
- A une époque où on fait pas attention à son voisin de palier ? Dis voir... Tu crois que mon double est toujours vivant ?
- Il y a encore deux heures, je ne pensais pas que les vortex existent ailleurs que dans la SF bon marché, alors te dire comment ça fonctionne...
- Je ne sais pas ce qu'il y avait entre vous, mais je veux pas être un remplaçant.

Elle garda le silence, et moi ma théorie sur le fonctionnement du trou de ver.

Le GPS pétait les plombs et la radio, nos oreilles, ses bips s'intensifiant à mesure qu'on s'approchait d'un parc.
San Francisco, Californie. Puis Boredom City. Le bus était passé par là, tout à l'heure.
Plus clair encore, les gens qui passaient par là étaient soit au comble du bonheur, soit au trente-sixième dessous, soit dans la rage la plus totale. Et ils étaient nombreux. Certains brandissaient joyeusement des billets de 30 000 couronnes, d'autres hurlaient de douleur dans leurs portables, d'autres encore s'enrageaient contre la dixième merde de chien dans laquelle ils venaient de mettre les pieds.

Solenne leva la radio au-dessus de sa tête, les yeux serrés par la douleur, et le bruit se fit plus fort que jamais.

- Arrête ça ! T'es pas bien ?
- Je veux le retrouver. Je veux comprendre, dit-elle en coupant finalement la radio qui n'en pouvait plus de crisser.
-   Quand j'ai écouté NRP depuis mon portable, dans le bus, tout à l'heure, ils ont parlé d'un quartier où la chance était complètement déréglée.
- Et alors ?
- Alors regarde ! Ca veut dire qu'on y est !

Elle s'est tue et ses yeux se sont écarquillés. Jamais nous n'avions vu pareil spectacle. Une définition vivante de l'impossible.

- Apparemment, l'origine du vortex était juste au-dessus de nous. Il est parti de là pour aller jusque chez toi. 
- Dans le salon..
- Oui..?
- C'est là qu'il a dormi.
- Je crois que j'ai une idée. Ca te dit une soirée films ?



Dimanche 16 avril 2017 à 1:58

 A MODIFIER

Salut toi. J'm'appelle Soda, et c'est moi qui vais raconter ce chapitre. Je sens qu'on va bien se marrer, tous les deux. Parce que les histoires de fin du monde, c'est un peu comme les fondues : C'est convivial, ça rapproche les gens, mais on y voit pas grand-chose. 

Du coup, tel un maître d'hôtel-hiérophante-du-bon-goût, j'arrive pour vous expliquer des trucs, du haut de mes 207 ou 208 ans. Peut-être plus. Je sais jamais.

 

Ah oui, je suis un démon, détail important. Je ne suis pas une âme, juste une conscience (et là la plupart des spiritualistes de bas-étage sont en train de développer des métastases cérébrales, parce que oui, l'âme n'est pas forcément la conséquence logique de la conscience. On peut très bien avoir l'un sans l'autre. Regardez les vampires dans Buffy. Bon. Voilà. Maintenant arrêtez de râler et de vous prendre la tête et écoutez-moi.)

 

208 ans (ou 207) c'est encore jeune pour un démon. (Fermez-la, vraiment.) Je suis pas particulièrement sage ou expérimenté, comparé aux autres. Je passe le plus clair de mon temps ici, à Shell Haven, à analyser les destins et contrôler le cycle des âmes, c'est mon rôle, mon travail. Ensuite je fais des rapports à Karma, qui va décider d'envoyer des Banshees ou des Damantes, selon les cas. Ces races ont de grands pouvoirs, et elles servent à équilibrer l'univers pour éviter qu'un jour tout se casse la gueule.

 

Comme mon taf est plutôt simple -hey, j'suis un démon, Baby-, je peux me permettre de passer le moins clair de mon temps avec des succubes ou, plus rarement, dans le "réel" (très régulé, du coup).

 

J'y vais pour profiter des paysages et fuir un peu la routine du boulot, même si ça implique de me déguiser en humain sous couvert d'une incarnation temporaire, ce qui est plutôt embarrassant, je ne vous le cache pas. Je sais vraiment pas comment vous faites avec toutes ces limitations. 


Là, j'étais au boulot, dans la tour de Karma, à Shell Haven, les deux pieds sur le bureau en train de rêvasser quand quelqu'un a frappé à ma porte.  C'était la première fois depuis des lustres.
Plus dingue encore, ce fut Karma en personne qui entra. Imaginez-vous une vague d'énergie qui investit COMPLETEMENT la pièce où vous vous trouvez. Maintenant dites-vous que cette vague n'est qu'un milliardième de milliard de je ne sais pas combien de quantième de l'énergie qu'elle représente, c'est-à-dire de l'énergie qu'elle est en réalité. On pourrait parler de potentième, si ça vous parle. 
Pour vous donner une idée, si le milliardième de milliardième de cette quantité que je viens d'évoquer à l'instant rentrait chez vous, vous sombreriez instantanément dans la folie la plus totale pendant un laps de temps qui ne pourrait pas durer plus d'une minute, moment fatidique à la suite duquel vous décèderiez fatalement d'un anévrisme dû à votre incapacité physique et mentale à appréhender la nature du bordel outrageusement métaphysique remettant en cause toutes vos règles du temps et de l'espace qui se serait alors imposé à vous. Ah oui, Shell Haven se situe à la lisière du temps. Si vous avez vu Lost, vous pouvez considérer cet endroit comme étant le centre initiatique primaire de l'Univers. Je sais pas si ça vous aide mais hey, je fais ce que je peux, hein. 

 


- Il faut que je te parle. Comment ça se passe de ton côté ?

Imaginez une voix tonitruante qui résonne dans votre tête. Vos trompes d'Eustache résisteraient pas. 

- Pourrait être pire. L'équilibre des destins tient le coup. Et toi ?

- Ma chaîne commence vraiment à poser problème.

 

Ah ouais. La chaîne de Karma.

 

Comme son nom l'indique, et surtout comme vous l'aurez compris si vous m'avez suivi tout à l'heure, Karma est... ben... pas vraiment palpable. C'est une entité multiplanaire, qui se matérialise dans la forme qu'il veut, quand il le veut, suivant un rituel bien précis : rester insaisissable, agir au bon endroit quand rien dans l'Univers ne peut le faire à sa place, et le tout dans le délire de conserver l'ordre des choses à travers le temps et l'espace.
Il représente plus ou moins la même chose que le Cosmos pour les Grecs et Dieu pour les catholiques, si l'un des deux vous parle. 
De mon point de vue, eh bien... Disons simplement qu'il est ce qui se rapproche le plus d'un dieu dans tout ce que j'ai expérimenté en deux siècles d'existence. Et vu que mon boulot est de gérer les destins, vous pouvez en déduire que Karma est très probablement ce à quoi vous faites référence quand vous parlez de Dieu.

 

Un immense network énergétique qui circule entre les gens, les choses, les idées, les faits. Le hasard, la fatalité, tout ça, c'est lui.

 

Ici, à Shell Haven, dans un plan bien supérieur à celui du réel que vous connaissez, Karma ne ressemble à rien de ce que vous ne pouvez concevoir. J'en ai donné plus tôt la description la plus complète possible, pour le reste, vous ne pouvez normalement pas l'appréhender, si on a réussi et que vous êtes humains. Et surtout, vivants. Mais nous n'en sommes pas là.  
- Le paradoxe grandit, reprit-il. Le juste et l'écorché vont se rencontrer à nouveau dans un autre plan.

Il m'emmerde, avec ses phrases sybillines.

- Tais-toi. Tu sais de qui je parle, Soda.

Ses mots ont résonné si fort dans ma tête que j'ai cru qu'elle allait exploser. Je me suis senti aussi faible qu'un homme, et c'est peut-être ce jour-là que mon inconscient a décidé de m'apprendre l'humilité, quoique je restais un démon, arrogant par nature.

- Je n'ai que peu de temps à te consacrer, me défonça-t-il à nouveau le crâne. "J'ai besoin que tu m'écoutes."

- Tout ce que vous voulez, Master, me tus-je.

- Si j'en crois tes derniers rapports, le monde que nous nous devons de protéger va droit dans le mur.

- C'est vrai. Malgré tous les évènements de ces dernières décennies qui ont conduit à une paix relative, de nombreuses inégalités subsistent, et surtout, l'humain n'arrive pas à évoluer de manière concluante - si l'on excepte quelques êtres minoritaires qui tirent leur épingle du jeu. Pour autant, l'équilibre des destins tient encore le coup.

Karma eut un silence. En deux siècles, ce n'était jamais arrivé.

- Trouve-moi ce groupe.

- Quoi ?

- Tu m'as très bien compris. 

Il est excessivement rare de tomber sur un démon surpris. Vous avez vraiment de la chance.

- Je vais déclencher la fin du monde.


Dimanche 16 avril 2017 à 2:02

La déchéance. La puissance de la réalité s'empare de moi. La solitude et la tristesse m'enveloppent. Le destin me prend au corps et m'obsède toute entière. Je n'ai pas mon mot à dire.

 

 


J'ai merdé. J'ai grave merdé. Dans un futur proche, j'aurai tout foutu en l'air et il n'y a plus moyen d'y couper. J'aurais dû lui dire. Parier sur lui, sur sa confiance inébranlable en moi, sur son amour, sur 
notre  amour. 
J'avais peur de moi, mais j'étais si bien dans ma zone de confort que j'arrivais presqu'à oublier. Anesthésiée. Dans une paix artificielle presqu'authentique. Si longue, si confortable, et pourtant au final pour si peu, seulement quelques années. 
J'aurais dû lui dire, et c'est pas comme si j'en avais pas eu mille fois l'occasion. 

Mais on avait une vie bien, une vie cool, une vie normale, presque ! On était heureux, bordel ! Ca compte pas, ça ? C'est pas plus important que de savoir que le monde en a plus pour longtemps depuis qu'on est à peine majeure et responsable et qu'on a pas arrêté de le remettre en cause depuis qu'on l'a appris ? C'est pas une bonne raison, ça ?

La question reste ouverte pendant que j'essaie de me calmer. Et je vous prie de croire que se calmer à la sortie d'un vortex, c'est pas ce qu'il y a de plus simple. Faut commencer par reprendre son souffle. Ca perturbe, ces trucs-là.

Et même, si je lui avais dit, en quoi ça l'aurait aidé ? Je n'en savais moi-même qu'une infime partie avant de me faire embarquer dans les rouages de la machine. Maintenant qu'on y était, les données que j'avais jalousement gardées me semblaient finalement bien ridicules. Je me sentais comme une actrice  montant sur scène en étant la seule à avoir lu le scénario sans avoir eu le temps d'apprendre son rôle.

Ma mère est morte quand j'étais ado. C'était une dame sage, cultivée, intègre, et par ailleurs sportive et particulièrement intelligente. Elle méditait. Elle écrivait. Beaucoup. Je n'ai jamais connu de personne d'aussi calme et apaisante qu'elle. Elle dégageait une douceur, une lumière incroyable, au diapason de la finesse de ses traits. Quand j'étais petite, je la voyais comme une ange. Jamais je ne l'ai vue hausser le ton ou se mettre en colère. Jamais, vraiment.

Elle savait qu'il y aurait la fin du monde. Mieux que ça, elle savait que je la vivrais, et bonus DVD, que j'aurais un rôle primordial à y jouer.

Elle avait consigné l'ensemble de ses connaissances, acquises autant par le biais de la méditation que de la réflexion, dans un livre qu'elle est allée jusqu'à éditer en un seul exemplaire et que mon père m'a remis à l'occasion de mon dix-huitième anniversaire, plusieurs années après sa mort.

La préface m'a bloquée pendant plusieurs jours, et pas seulement à cause du côté "carte d'anniversaire post-mortem". Elle me demandait pardon de devoir partir si tôt, et qu'aussi injuste que ça puisse être, elle l'acceptait, parce que ça faisait partie de son rôle, tout comme il allait falloir que j'accepte le mien.

Et là, maintenant, pilée en deux à cause du vortex qui m'oblige à réapprendre à respirer avant même d'avoir levé les yeux pour savoir où je suis, je vous avoue que je peux pas. 

'Déjà eu assez de mal à accepter qu'elle soit morte d'un cancer alors qu'elle ne buvait pas, ne fumait pas, qu'elle était sportive, joyeuse, pleine de vie et exempte du moindre atome de haine ou de colère, alors endosser un rôle dont je n'ai aucune idée de la nature et pour lequel je suis censée avoir été créée, allez bien vous faire mettre.


Dans son livre, maman me racontait sa vie. Son rôle, sa nécessité de méditer pour maintenir le cycle, pérenniser les connexions entre les mondes, tout en s'occupant de celui-ci en tant que législatrice primordiale. Elle disait que des êtres comme elle existaient depuis la nuit des temps, et qu'elle était désolée pour moi que ça soit tombée sur elle. 
Je n'y comprenais rien à l'époque, et pas davantage maintenant.

"Si tout est lié, c'est parce que tout n'est qu'une seule chose."

 

Cette phrase-là, cette phrase, m'a hantée pendant toutes ces années qui m'ont séparée de ce moment où je me suis figée en statue de sel avant d'être réveillée par Dan. Je suis peut-être la seule à ce moment-là à avoir pris conscience de la compression temporelle et à n'avoir fait qu'une avec le temps. J'avais pris ça comme un rêve, mais avec la certitude que tout ce dont il était question dans ce monde onirique aurait une résonnance avec ce qui se passerait après, quand on sortirait du Krakatoa pour affronter le grand méchant monde de la fin des temps.


Ma mère était une mystique, capable de voir les auras, de lire les âmes, et d'entrer en contact avec des êtres d'autres dimensions. Selon mes souvenirs, elle parlait dans ses écrits d'une spirale en forme de 8, qu'elle comparait aux brins d'ADN pour le côté conglomérat d'informations. Elle parlait de destin, de karma, de libre-arbitre, de lutte entre les énergies hors de tout manichéisme et je n'y comprenais strictement rien, au point de me dire qu'elle s'était peut-être laissée abuser par une secte ou une connerie du genre, ou pire encore, que ses trips mystiques l'aient purement et simplement altérée mentalement; et ce doute a été pour moi une grande force quand il s'est agi de profiter de la vie en oubliant d'attendre la date fatidique prédite par ma mère.

 

Une grande force en carton, oui, on peut le dire, je m'en cache pas. Plus. Bref. Foutez-moi la paix.

J'ai été aveuglée par ma colère, à la fois celle de son décès et de cette "mission" qu'elle m'imposait.

Tu peux fuir mais pas te cacher, la vérité te rattrapera toujours, au final. C'est exactement ce qui s'est passé.

6 mois plus tard, usée par cette fuite excessive, à bout de nerfs et à court d'énergie, je suis entrée dans un autre monde pour la première fois.

Au fond de ma chambre, malgré les larmes qui me brouillaient la vue, toutes les couleurs paraissaient beaucoup plus chatoyantes. Je voyais des ondes s'échapper de moi de temps à autre. Si je me concentrais un peu, je les voyais plus distinctement, et en permanence. La réalité s'augmentait d'une nouvelle dimension. Je m'apprêtais à passer au-travers.
Je sentais une chaleur douce et apaisante dans mon ventre. C'était agréable. Le vortex s'est ouvert. C'était la première fois que j'en voyais un.

 

Avant de le traverser, je me suis rappelée de ce que disait Kepa au prof de philo, à propos de Socrate ou Platon, je sais plus : «Si le monde des idées est un monde parfait, et le nôtre une simple copie imparfaite de ce monde, pourquoi on n'y a pas accès ?».

 

Le prof avait répondu qu'il pouvait y avoir plusieurs raisons : La première, c'est que ce monde des idées n'existerait pas. La deuxième, ce serait que notre condition d'humains ne nous permettrait pas de nous sublimer suffisamment pour y avoir accès. La troisième dirait que ce monde est immatériel, donc que notre monde matériel n'est qu'une illusion. Une illusion qui ne serait qu'une image déformée du réel, et qu'il faudrait transcender pour atteindre ce dernier.

 

Je n'étais pas sûre de comprendre, mais certaine de le sentir au fond de moi, comme si mon âme connaissait des choses qui échappaient à mon esprit, comme si en moi se trouvait la réponse à la fois la plus simple et la plus complexe qui soit, celle qui allait me permettre de retrouver le souvenir de ma véritable nature.

J'ai alors compris que nous avions tous une origine mystique, mais à différents niveaux, ou en tous cas de différentes façons, ce qui donnait tout son sens à cette notion d'anamnèse.

Je nageais dans le monde des âmes, la quatrième dimension, celle du temps. J'expérimentais à la seconde une infinité d'évènements que j'étais trop subjugée pour comprendre, l'éther équarquillé et le coeur en fête. Je plongeais délectée dans le plus doux des océans, virevoltant dans le plus tendre des espaces, maintenu par un énorme tourbillon formé par deux immenses branches qui soutenaient l'Univers, dégageant une puissance énorme, calme et apaisante. Je sentais au fond de moi que j'appartenais à cette force d'une certaine façon, que j'avais contribué à la façonner, d'une manière ou d'une autre.
C'était épique. Je vous le dis comme je le ressentais, et comme je l'ai ressenti à chaque fois que j'y suis retournée. C'était dingue de vérité.

Le retour au réel était pas pareil. Plaquée dans le terne, la demie-mesure, c'était frustrant. Passer d'un tout intense à un univers de rien, ça te sape le moral à la bombe nucléaire et t'ouvre grand la porte aux doutes, à la remise en cause, à l'hypothèse de la folie. De la surcompensation psychotique, du délire, de la perte de contact avec la réalité, de la maladie, de la dépossession de soi.

Boom dans ta face, copine. 
Mais rassure-toi, c'est ça, l'illusion. Ce que tu as vécu, ce que tu as ressenti, est réel.
Tes plongeons dans l'astral ont bien eu lieu, tes irruptions dans la sphère interne de la réalité étaient bien vraies. T'as pas fait de trou dans le tissu du monde. Tu t'es pas fait doser ton verre au bar la veille au soir. Maintenant tu vas te sentir seule pendant quelques temps, plus humaine, même, parce que plus qu'humaine, mais t'en fais pas. Très bientôt, tu vas le rencontrer.


Dan.


Par hasard, nécessité, concours de circonstances, ou parce qu'il ne pouvait en être autrement, ou encore tout simplement pour une raison que j'ignore, et qui doit dépendre de Mr Dieu, s'il existe. Déterminisme, destin, causalité, fatalité, tous ces concepts se mélangeaient dans mon esprit, et malgré le chaos improbable qu'ils semblaient créer, j'avais la conviction intime d'y voir clair.

De l'authentique Deus Ex Machina. Une facilité de scénario si énorme et dingue qu'il faut la vivre pour y croire. 


Même quand votre propre mère décédée vous en avait parlé des années avant que ça n'arrive. Elle aurait pu le nommer que ça n'aurait rien changé à l'impact émotionnel que ça a eu pour moi, tant elle avait été précise sur ses caractéristiques, au demeurant plus qu'atypiques. Ca pouvait pas être un coup d'esbroufe à base d'effet Barnum. Elle avait même prédit qu'il voyait mon père pour une thérapie des plus spéciales. 
Et moi j'étais là-dedans, plongée dans ce marasme de prédestinations, de prédéterminations, ce chaos entropique en forme de bon gros fuck à l'ordre établi, j'étais la victime de mon propre bonheur programmé, mais néanmoins putain de réel. Parce qu'autant être honnête, je ne me serais jamais donnée comme ça au premier venu. Il en faut des qualités pour mériter mon amour. Et même plus que ça. Je suis Solenne Carpentras, bordel de merde. Respectez-moi.

Je l'ai rencontré d'une manière miraculeuse, sans qu'on ne se soit cherchés. Il connaissait Seb, mon batteur que j'aimais comme mon frère, ainsi que mon guitariste, Pierrot, avec qui il avait été à la fac. Pire encore, on avait justement besoin d'un bassiste et il était l'outsider bienvenu, le charisme en prime, en plus d'un certain potentiel de séduction qui ne me laissait pas indifférente, entre sa maladresse et son génie, sa sensibilité et son détachement certain du monde réel. J'adore les paradoxes, je ne pouvais pas lui résister. Et là, je parle de manière purement rationnelle, parce que le feeling qu'on a partagé le jour de notre rencontre, dans ce magasin de musique, était si intense qu'il faisait parler nos âmes entre elles, à tel point que je suis sûre et certaine que ce fut à cet instant que nous sommes tombés amoureux, même si nous avons déployé des quantités d'efforts pour se le cacher mutuellement.

On avait besoin de lui, j'avais besoin de lui, et il avait besoin de moi.

J'ai pas pensé à la fin du monde quand on a commencé à sortir ensemble.  J'ai pas pensé non plus que je risquais de l'embarquer lui aussi, et encore moins aux prédictions de ma mère sur lui. Plus encore, je refusais d'y penser.

 

De la pure mauvaise foi, dans le sens sartrien, aussi. "Fuir sa liberté et l'angoisse qu'elle implique, c'est être de mauvaise foi". Merci Mr Dubbelmurbruk et vos mythiques cours de philo.

J'ai joué volontairement un rôle qui m'a collé à la peau suffisamment longtemps pour pouvoir profiter de ces deux années de bonheur avec lui. Ca se passait tellement bien que j'ai même pu être moi-même sous ces apparences, ce qui fait que vous pouvez m'appeller la Fabrice Lucchini de la fin du monde (je ne sais pas s'il existe dans votre réalité au moment où ces mots vous parviendront, mais si ce n'est pas le cas, sachez que c'était un acteur qui poussait l'investissement personnel au point de se retrouver régulièrement en hôpital psychiatrique entre deux rôles.)

Et je ne sais pas si je me le reproche, au final. Peut-être était-ce finalement tant mieux. Peut-être que si je lui avais dit la vérité, il m'aurait pris pour une cinglée et se serait barré le plus loin possible de moi et de ma belle tignasse brune. Peut-être aussi que je dis n'importe quoi et que ce mec est tellement génial qu'il l'aurait accepté et se serait battu pour moi.

A la réflexion, c'est le plus probable, tel que je le connais. 

Dan est noble. Si vous cherchez quelqu'un pour pas agir comme les autres, pour accepter quelque chose que n'importe qui d'autre refuserait, vous avez tapé à la bonne adresse. Dans la limite de la raison, bien sûr. Et de l'honneur. On déconne pas avec ça.

Il fait plutôt chaud, ici. Je me sentirai sûrement mieux en enlevant ce costume de jeune fille ridicule et ce masque forgé dans des non-dits en forme d'habitudes.

Je lui ai gribouillé un sms. «Pardonne-moi. Je t'aime.»

 

Même dans les teen movies sirupeux pour minettes prépubères fingerstylées on atteint pas un tel niveau de mièvrerie. Je suis même à peu près sûre que Winnie l'Ourson envoie davantage du bois. Et ne me dites pas que j'y vais fort, ces mots sont ce que j'ai de plus sincère à lui dire. Je me demande comment il va réagir. Pour être honnête, j'en ai aucune idée. 
C'est la fin du monde, et que dans des circonstances extrêmes, on se révèle comme jamais auparavant. Pourtant, j'ai confiance en lui. Je n'ai pas peur pour ça.

 

Et puis de toute façon «Grand huit», comme dirait ma mère. «Pas d'inquiétude; pas de hasard, pas de lézard, si c'est le bon, il comprendra. Quand ça va pas, pense Grand huit»

Sages paroles. Ma mère savait. Même morte, elle maintient toujours le lien entre les mondes, finalement. 

J'ai fini par lever les yeux.

J'étais dans la ruelle de Prima Cordes. Face au magasin. Notre première rencontre... J'en ai frissonné. 

 

J'ai approché ma main de la poignée.

 

Clac. Naaaaaaaaan....

 

La boutique était fermée. Personne à l'intérieur. J'ai rebroussé chemin, me suis retournée vers la porte et j'ai croisé mon reflet dans un miroir.
J'ai rebroussé chemin, avant de me retourner vers la porte pour y croiser mon reflet dans le miroir. Il faisait nuit et la rue dégageait une lumière blafarde, électrique.

 

Pierrot dit que le temps moyen passé par une fille devant un miroir est d'environ 78 minutes. Le temps de se trouver belle, moche, puis belle, puis moche et ainsi de suite, avant de courir vers la cuisine parce qu'il faut bien se nourrir, et que de toute façon c'est l'heure de Dr House sur la Une.

 

Je sais pas si je rentre dans cet axiome stupide, mais là, je suis restée scotchée à ce miroir.

 

L'espace d'une seconde, un autre visage est apparu. Une fille. Des yeux bleus. Un visage large et des boucles blondes un peu délavées.

 

Ça m'a troublée et j'ai remarqué la brume. Si j'en crois le bouquin de maman, dur à avaler mais apparemment important, je suis dans l'entremonde, la réalité suppléée au monde réel tel que nous le connaissions, réalité dans laquelle nous pourrions accéder à l'ensemble des réalités alternatives liées à notre univers. Rien que ça. Je vous laisse apprécier l'ironie.

J'ai pensé à Danou, à tout ce qu'on a vécu et traversé ensemble, et me suis soudain retrouvée investie d'une confiance inébranlable en sa capacité à comprendre tout cet immense bordel au moins aussi bien que moi. Ca m'a grave rassurée. Probablement parce qu'à cet instant, j'avais oublié à quel point mon mec est un génie. Mais c'est un détail. Je sors à peine d'un vortex, merde !

Bon, normalement le passage est par là.

 

Pour en être sûre, j'ai fait le tour de la rue. Rien d'inhabituel. Pas de singe ou d'écorché, pas le moindre streumon en faction pour me souhaiter la bienvenue, rien. Rien de rien de rien de rien de rien !
Et surtout pas le moindre signe pour m'indiquer la direction que j'étais censée prendre. Normal. 

Putain, c'est un monde, ça.

Lui, il arrive dans ce bordel à peine briefé et pourtant il a droit à la totale. Pyromagie, basse pas cassable, comité d'accueil à base de singes mutants de type gigantesques; et moi qui suis la seule à connaître un tant soit peu le scénar, je me retrouve dans une rue sombre, brumeuse et mal éclairée, sans guitare et face à un miroir à la con, qui est en plus censé être la porte menant à Prima Cordes, le lieu de notre première rencontre, LE TOUT PORTANT EN SOI UNE METAPHORE DOUTEUSE A SOUHAIT.

 

Je suis pas jalouse, non, je suis pas jalouse. Mais ça fait chier, bordel de merde !

Bon. Je me recalme encore une fois. C'est le vortex, c'est le vortex, c'est ça qu'il faut se dire. Et puis ça pourrait être pire, il pourrait pleuvoir, et j'aurais l'air maligne, dans mon combo chemisier / cravate rouge / veste / pantalon de costume.

 

Ce miroir détonne du décor. Trop brillant. Et c'est censé être une foutue porte d'entrée !
Je sors Dan de mes pensées et je passe la main dessus.  Enfin dedans. C'est chaud à l'intérieur.  C'est du vide mais c'est chaud.

 

J'enfonce mon bras de façon à pouvoir atteindre la porte du musicshop, sans penser aux idées graveuleuses qui ont traversé la tête du scénariste quand il a décidé de ce détail, et encore moins à celle des lecteurs quand ils ont parcouru ces lignes.

 

Clic. C'est ouvert. Youpi !

 

Une bonne odeur de cèdre me souhaite la bienvenue. Une guitare fraîchement réparée est encore posée sur l'atelier, à côté de la caisse. Pas de poussière dessus.

 

Il fait encore plus chaud dans le magasin. Stratégie marketing du patron ? Négligence légendaire de Gaspard ? Modification dûe à la fin du monde ?

Maman parlait de portails et d'artéfacts (ouais, depuis le temps, je l'ai presque appris par coeur, le bouquin).  Alors, normalement, le portail c'est le miroir, et il doit logiquement y avoir un artéfact pas loin. 

 

Une petite visite du nouveau Prima s'impose. 
Les amplis, guitares et basses sont ternes comme après l'orage. Cette réalité altérée est drôlement bizarre. J'en suis à me poser la question de savoir si c'est vraiment réel ou pas. Autant avant on ne se posait pas la question : si tu peux le toucher, c'est réel, point. Sauf que là, tout est différent. Rien n'a plus aucun sens. On est sur de la transmutation, les amis. Sortez vos précis d'alchimie.

C'est comme un studio, en fait. 
On a eu la chance de tourner un film dans ces circonstances, une fois. C'était sacrément impressionnant. Dès que tu poses un pied sur le plateau, tu changes de monde, alors qu'en fait tout est pareil à part le point de vue imposé, le personnage joué et la façon de tourner.

D'un coup, ma tête se fit lourde et se mit à tourner dans un vertige inattendu. Mon cou se mit à brûler.  En un éclair, j'ai enlevé mon collier et l'ai rangé dans ma poche en me maudissant de ne pas avoir pris d'aspirine.

 

Je vous rappelle au passage que je ne porte rien d'autre que ma tenue de scène. Je vais me retrouver dans le plus gros foutoir de l'univers, mais j'aurai quand même la classe !

 

Su-per.

Hé, c'est quoi ce truc, derrière le mur d'amplis ?

Une grosse boîte noire qui ressemble à un distributeur de capotes des années 40. Avec un peu d'imagination, ce serait la boîte noire d'un avion de l'après-guerre.

 

[Un  Dåliprann, par pitié...]

 

Bon, la mallette de mafieux accrochée au mur porte un petit mot.


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Bonsoir et bienvenue à vous, Mlle Carpentras. Vous avez trouvé facilement ?


(Non, pas trop, espèce de tétrapode schizoïde. La prochaine fois je veux un meilleur plan.)

Remarquez, vous ne pouviez pas vous tromper, c'était évident. La preuve, c'est que vous avez réussi à être là.

 

(Et moi je me passerais bien volontiers de tes phrases qui laissent entendre que tout est écrit d'avance. Parce que si je veux, ta feuille j'en fais des petites coupures, Don Corleone !)

 

J'espère que le changement de strate ne vous a pas trop perturbée.

 

(Non, ça va bien merci. J'ai juste une chance sur trois millions et demi que l'amour de ma vie comprenne ce qui se passe et une sur 6 x 10^78 qu'il ne me largue pas malgré son génie sus-mentionné. Et j'ai un mal de chat à me retrouver. Du coup je me force à penser à ce que disait ma maman à propos du 8. Alors ta gueule.)

 

En tant que gardienne, votre première épreuve se trouve devant vous, dans cette boîte.

(Mais c'est qu'il continue, l'effronté ! Gardienne ? T'es sérieux ? Et puis d'abord ça veut dire quoi, hein ?)

Celle qui se trouve juste devant vous.

(Ah bah me v'là bien. Maman avait encore raison. J'ai pas droit à un badge pour avoir des réductions au Södermanna et au ciné, en plus ? Non parce qu'en plus d'être Solenne Carpentras j'suis une gardienne, alors à un moment, respectez-moi.)

 

Pour être plus clair, votre première épreuve EST cette boîte. Vous avez droit à un indice : "Dans un monde régi par la subjectivité, toute vérité vient du coeur."

Bonne chance Mademoiselle !

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(Au moins c'est pas un mufle... Merci,  CONNARD  !)

Bon, on se re-re-re-recalme, on met le portail et l'artéfact de côté pour le moment, et on se prend la tête pour comprendre un petit peu mieux le truc.  Alooors... Voyons voir...

 

Le bloc noir ressemble à une grosse malette particulièrement épaisse avec un petit interstice au milieu.

 

Le premier qui parle de symbole vaginal, je lui passe mes nerfs dessus.

 

Le deuxième qui parle de problème de féminité, je lui brosse les dents avec un tractopelle.

Et à celui qui me fait remarquer mon manque d'humour, je lui dit qu'il a bien raison et qu'il a sûrement beaucoup mieux à faire de son temps que de lire ça, et je n'en dirai pas plus parce que tout le monde déteste les spoilers.

 

Alors maintenant, faut trouver la clé. L'interstice a une forme un peu ronde... Peut-être une clé de piezzo ?

 

Razzia dans la remise de Prima. Je connais bien cet endroit. Je prends une clé de guitare et une de basse, on verra bien.

 

Aucune des deux ne rentre. Meeerde c'est pas ça. Bon tant pis j'essaie autre chose.

 

Hum... Réfléchissons...

 

Un jack, peut-être ?

 

Vandalisme dans les présentoirs.

 

Ça ne rentre pas non plus. Raaaah...

 

J'ai essayé, encore et encore. Jamais rien. Toujours rien.

 

Je me suis usé les nerfs pendant un moment qui m'a paru interminable. Ma tête me trahit, me met devant des faits accomplis, j'aimerais lui dire de se taire mais je peux pas. J'ai un foutu mal de crâne à force de penser et j'arrive à peine à comprendre l'énigme.

Bon.

 

Relecture du mot. Hey, Dan m'a toujours pas répondu. Mon coeur se retourne dans ma poitrine. Relecture du mot, donc, disais-je.

 

"Dans un monde régi par la subjectivité, toute vérité vient du coeur."

 

Joli. Une belle philosophie de l'émotionnel et du sentiment, ça me parle.

 


La Solenne Carpentras est parfois capable de se comporter comme une imbécile idiote de compétition. Cependant elle compense cette stupidité par... par quoi ?

Quelqu'un sait ?

 

Personne ?

 

J'avais la réponse sous les yeux et dans ma poche, quelle conne !

 

Quelle conne !

 

Le collier dans ma poche, c'est un cadeau de mon Danou d'amour.  Ma main au feu que c'est ça.
Bon, pour l'instant, c'est plutôt ma main à la poche.  Je l'approche de la boîte, et là, le phénomène irrationnel de base intervient.

J'ai pas arrêté d'essayer d'ouvrir ce truc, avec tout et n'importe quoi. J'ai même essayé en lui demandant gentiment. Rien à faire. Les boîtes noires avec des mots bizarres dessus sont trop méchantes avec moi.  J'ai essayé sans cesse et pourtant, là, je flippe. J'hésite.

 

Pas seulement parce que je me dis que ce n'est peut-être pas la bonne clé. Je pourrais toujours chercher ailleurs après, le magasin est plein de surprises.

 

Il y a autre chose, un truc plus profond. Je ne sais pas pour les autres, mais en ce qui me concerne, j'ai toujours eu du mal à aller au bout des choses. A me dépasser. A faire le pas décisif. La coup d'éclat. Le truc qui change les choses. Transformer l'inconnu en réel.

 

J'ai peur.

 

Peur de gagner.

 

C'est absurde, hein ? Pourtant c'est comme ça. Ce n'est qu'une peur de l'échec déguisée.

 

J'ai pris mon temps, ma respiration, et mon courage à deux mains.

 

J'ai posé le pendentif sur le trou au milieu de la boîte.

 

Clic, déclic, reclic.

 

Yoooouuuhooooouuuu ! Hallelujah j'ai réussi !

 

La boîte s'est ouverte et le pendentif s'est retrouvé pile en face de moi. Je l'ai pris, posé mes lèvres dessus comme une enfant et j'ai vu de la lumière.

 

Une belle petite boule de lumière.

 

Ma victoire a été saluée par l'arrivée d'une jolie petite mélodie motivante et bien rythmée comme il faut. Yeah !

 

Au passage, d'où elle sort, en fait ?

 

Pffffuuuit, un autre petit mot me tombe dessus.

 

«Parfois l'évidence se cache, d'autres fois nous la cachons nous-mêmes.»

 

Merci de me rappeler que j'ai menti à l'homme de ma vie, ça fait chaud au coeur. Franchement j'suis super jouasse, là, merci, merci beaucoup.  Enfin. C'est vrai que j'ai merdé et que je sais pas s'il va me pardonner, en attendant une chose est sûre...

 

- Si je trouve le crétin qui se cache dans l'envers du décor pour m'envoyer ses messages pseudo-philosophiques à deux balles, je lui fais un troisième oeil avec une seule main !

- Un troisième oeil, excellente idée !!

- AAAAAHHHH !!!!

 

Un type était apparu en face de moi. Ne me demande pas d'où il est sorti, mais il était là, et bordel, c'était flippant sa race.

Même en étant prévenue de beaucoup de choses, cette situation a le don de me mettre dans tous mes états. 

 

Il était beau, stylé, avec un visage fin, un chapeau noir et un regard amusé. Il portait un long manteau noir, ce qui n'était pas pour contredire tous les tropes auxquels j'étais tentée de l'associer.

 

- Maist'esquitoi ? 

- Pas réel. Enfin pas complètement. Pas encore. C'est pas important. Ce qui compte, c'est ce que j'ai à dire.

Super. La situation pourrait pas être plus invraisemblable. Même avec une rangée de kangourous-garous au garde-à-vous en train de chanter Happy Together avec une main sur le coeur. Tout à fait.

- Tu sais ce qui s'est produit. Je pourrais te dire tout ce que je sais quitte à y passer trois heures, je ne t'apprendrais rien de ce que tu ne connais déjà. 

- Tu te rends compte d'à quel point t'enfonces des portes ouvertes tout en te rendant parfaitement ridicule, là ?

- Okay, je m'incline, moi c'est Siko, depuis environ quatorze minutes, si j'ai bien compté. Ou alors seize.

- Tu te fous de ma gueule ?

- Non, du tout. C'est très récent, tu sais.

- NON MAIS T'ES SERIEUX LÀ ?? 

- Malgré ça j'ai un truc à te dire.

- Qu'est-ce qui se passe, bordel ?

- Ce dont tu as été informée depuis des années.

- Je sais pour la fin du monde, j'ai compris, merci. Mais toi, d'où tu sors ? Et pourquoi tu me parles comme ça ?

- Je viens d'un monde affranchi du temps. Et je te parle parce que tu es Solenne Carpentras et que je dois te parler.   D'ailleurs au passage j'suis enchanté de faire ta connaissance.

Il a calé sa révérence au moment-même où je crevais d'envie de lui foutre mon poing dans la poire.   Ca m'a désarçonnée, du coup même s'il se répétait tout en me tapant sur les nerfs, je l'ai écouté.

- Je viens d'un monde encore au-delà de celui-ci, un monde que tu connais, au moins en partie. Je n'ai pas beaucoup de temps mais il faut que j'en passe avec toi, parce que tu dois savoir.

Dans un sursaut de joie de vivre, j'ai pensé à une vanne que Danou aurait forcément sortie s'il avait été à ma place. Un truc du genre «Ouais, t'es dans l'humanitaire, en fait. Je suis sûr que t'es tellement cool que t'as sauvegardé tous les épisodes de Buffy et d'Angel sur un DDE que tu voudras à tout prix me prêter pour une semaine si je te payais un café.»

 

Méfiance. Réflexe. Un pas en arrière, une question.

 


-Qu'est-ce que tu sais sur les gardiens ?

 

  Il a changé d'expression.

 

- T'es sûre que tu veux pas savoir autre chose ?

 

- Non, ça va merci. Ce qui m'intéresse c'est les gardiens. Et au passage, ca fait bizarre de parler à quelqu'un qu'existe pas, ou en tous cas à peine plus qu'un fantôme.

- Ton ami Sébastien s'y est habitué assez vite, pourtant.

- Sébastien ? Tu le connais ?

-  Oui. C'est grâce à lui que je suis ici. Je connais aussi un peu Dannie.

 

J'avais l'impression de me retrouver face à un grand frère. Je n'en ai jamais eu, à part Sébastien, peut-être, mais c'était différent. Une puissance violente dans mes tripes, dans mon coeur.

 

Là-dessus, il eut un regard grave.

 

- Tu savais que ça allait se produire depuis longtemps, pas vrai ? 

- Oui.

- Tu lui as menti ?

- Oui.

- Ou plutôt t'as eu peur de lui dire. C'était prudent, au final, mais ça complique quelque peu les choses. Tu connais l'histoire du 8 ?

- Ouais.

- C'est difficile, je sais... Mais tout se rejoint, tôt ou tard. L'épreuve du feu fait la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Elle consume le cuivre mais conserve l'or. C'est là tout le sens du 8.

 

Il parlait un peu comme l'Alchimiste. J'ai piqué le bouquin à Danou au début de notre relation, et j'ai toujours pas fini d'en tirer des enseignements. Je te conseille de le lire, c'est édifiant.

- Il faut qu'on parle. C'est important.

- Parle vite et bien, avant que je te casse la gueule.

- Ce que tu sais est autant en partie vrai qu'en partie faux. La fin du monde n'a pas été déclenchée pour les raisons que tu crois, et ses implications ne sont pas celles que tu penses.

- Continue.

- Je peux pas. J'ai pas le temps. Mais en un mot, le réel est un mensonge.

- Ca en fait cinq.

Siko m'a regardé avec un sourire gentil et bienveillant. 

-  T'as de l'espoir ?

-  Toujours sur moi.

- Tu as fait une erreur. Le pire serait qu'elle ne te serve pas. Parce que là on est partis pour faire des miracles.

 

Je m'appelle Solenne Carpentras et je vis la fin du monde. Je suis même pas sûre d'être bien consciente de ce qui se passe autour de moi. Je sais même pas comment je suis censée réagir.

 

Je suis complètement perdue. Au propre comme au figuré.




Dimanche 16 avril 2017 à 2:03

 Siko m'a conduite vers le fond du magasin, face à la porte du débarras. Il l'a ouverte et m'a laissée passer devant.  

 

La pièce était étrangement vide, mais l'un de ses murs était translucide. Je l'ai pointé d'un sourcil interrogateur, il acquiesça en silence. Le portail.

Mon coeur s'est mis à battre à tout rompre dans un rythme terrifiant. J'aurais juré entendre une musique calée dessus, prenant de l'importance à mesure que je m'approchais de la surface.

Quand j'ai fait le premier pas de l'autre côté, elle s'est mise à péter dans une dégaine de mélodies et d'émotions incroyables. 

C'était vraiment magnifique, j'en avais des frissons et les larmes aux yeux.

On était maintenant au beau millieu du hall d'un gigantesque manoir poussiérieux éclairé à la lueur des chandeliers, face à un escalier qui menait dans trois directions différentes, une supérieure et deux latérales. Je distinguai une porte tout en haut, et en imaginai deux autres, chacune au bout d'un des deux corridors qui partaient sur les côtés. J'ai monté les marches, Siko sur mes talons. Quand ma main se posa sur la poignée de la porte supérieure, il brisa le silence.

- Tu es sûre ? Après, il ne sera peut-être plus possible de faire demi-tour.

J'aurais dû logiquement avoir peur, pourtant j'en étais incapable. 
Après tout, ce n'est qu'un manoir vide et il en faut plus pour me faire flipper. Néanmoins je n'arrivais pas à abaisser la poignée. Ce n'était pas la peur qui me paralysait, mais ma mauvaise foi en moi. 

Ceci dit, je vous rappelle que c'est la fin du monde, qu'on a bien vu qu'il y avait des monstres, et contrairement à Dan, j'ai pas de pouvoirs. J'ai une classe de dingue, j'incarne peut-être même le glamour à la perfection, mais j'ai zéro budget effets spéciaux sur moi, pour le moment.

Après a-t-on vraiment besoin de superpouvoirs pour être badass ? 

C'est dans une tentative de réponse à cette question que j'ai finalement poussé la poignée pour ouvrir la porte dans un grincement lugubre.

Tout disparut. Nous nous trouvions maintenant dans une énorme salle faite du même bois noir que les salles de concert et d'enregistrement, ce bois mat et abîmé qui a vécu et donne envie de faire du wack'n'woll. Quand mes yeux eurent fini de s'habituer à l'obscurité, je me rendis compte que cet endroit sans plafond visible était en fait un entrepôt. [ Peut-être placer la scène de découverte/exploration de l'endroit ici et la discussion conflictuelle après, qui serait du coup coupée par le combat.]

J'ai (encore) pensé à Dan. J'avais du mal à me le sortir de la tête. Quelque chose s'y est produit et a fait sens.

-  TOI !! T'as dit tout à l'heure que tu connaissais Dan. C'est toi qui lui as parlé de la fin du monde. C'est toi le petit Noir, et c'est aussi toi la paralysie du sommeil. Putain de manipulateur de merde, pourquoi t'as fait ça ?

- Parce qu'il le fallait. Parce qu'il est des choses - et aussi des plans- sur lesquels tu n'as aucun impact, et que si je n'avais rien fait, il ne t'aurait jamais crue. 

- Mais tu le prends vraiment pour un con !! Dan est pas comme ça, il est noble, juste, patient. Dan m'aime, bordel de merde !

- Dan ? Aimer quelqu'un ? Je sais bien que t'es exceptionnelle et tout ça, mais on parle bien de la même personne, là ?

- Justement. Je suis son exception, me renfrognai-je.

- Ah. Alors dans ce cas je dis pas. Je ne le connais pas tant que ça, tu sais.

- Tu l'as envoyé dans une réalité alternative rien que pour lui dire un truc, essaie pas de me faire croire que tu le connais pas !

- Seulement deux fois.

- DEUX FOIS ??!!

- C'est pas suffisant pour connaître quelqu'un. D'ailleurs techniquement, notre deuxième rencontre n'a pas encore eu lieu dans ta timeline; donc je pourrais tout aussi bien dire "juste une".

- Espèce d'enfoiré... 

  - J'ai fait ce qui est juste, me clama-t-il à la gueule. Pense ce que tu veux de moi, juge-moi autant que ça te fera du bien, mais je suis de ton côté. Sans mon intervention, il n'aurait jamais pu comprendre que tu étais une gardienne, ni que tu savais que la fin du monde aurait lieu depuis des années. 

- Ta gueule. Arrête de l'insulter. Dan est un putain de génie, et je sais pas combien il faut être con pour pas s'en rendre compte après avoir passé ne serait-ce que 5 minutes avec lui. Alors si toi, Möössieur le fantôme du futur d'au-delà-du-temps-de-mes-boobs-sur-ton-front-ça-fait-des-Ray-Ban, tu t'es arrangé au point de lui provoquer une paralysie du sommeil pour pouvoir lui parler DEUX FOIS et que t'as toujours pas capté qu'il te mettait la misère sur le plan intellectuel, c'est que t'es vraiment la dernière des sous-âmes consanguines de merde !! 

- S'il était si malin que ça, il aurait cramé ta couverture depuis longtemps.

- Et si c'était le cas ? Et s'il n'avait rien dit parce qu'il m'aime et qu'il me respecte ?

- Il ne savait rien de la fin du monde, en tous cas avant que je ne lui apparaisse pour lui en parler. L'intelligence n'a rien à voir là-dedans. Il avait besoin de voir que le réel ne se limite pas à ce qu'il expérimentait jusque-là au quotidien pour pouvoir y croire. A partir de là, ta nature de gardienne lui devenait compréhensible. Pas avant. Vous aviez besoin de moi. 

J'ai soupigrunté. Cet enfoiré avait raison, et il était bel et bien de notre côté, mais plutôt mourir que de m'excuser. 

- J'attends pas tes excuses, plaqua-t-il comme en réponse à mes pensées. A ton avis, où est-ce qu'on est ?

- A toi de me le dire. C'est toi l'entité omnisciente, ici.

- Je serais vraiment un très mauvais guide si je le faisais.

- Tu connais le sens du mot "guide" ?

- On est dans ta strate altérée, ma chère. Tant que tu ne me donnes pas de quoi m'accorder avec toi, je ne vois pas ce que tu vois. Pour moi, l'endroit où nous sommes n'est même pas tangible.

Ca m'a fait un choc au fond du coeur. Il disait la vérité depuis le début, j'en étais intimement persuadée.  Si ça continue comme ça, je vais finir blasée dans moins de deux épisodes/chapitres/heures (Rayez la mention inutile ou faites-le taire, moi j'en ai pas la force.) Je me sentais affreusement seule. 

- Où est-ce qu'on est ? / Dis-moi où est-ce qu'on est.

Sa voix me sortit brièvement de mes émotions.

- Un entrepôt.

Rempli d'étagères, maintenant que j'y regarde de plus près.

- Quel genre ? Tout est en bois noir et il y a plein d'étagères partout ?

- ...Oui.

- Arf. Tu es dans la Puppenhaus. Laisse-moi un instant, que je m'accorde.

Je me suis forcée à avancer. Les étagères étaient remplies de poupées en bois ou en chiffon. La nostalgie a frappé à la porte de mon coeur et il s'est serré dans ma poitrine. Je me sentais encore plus seule que jamais.

- Tu devrais pas être là. Tu es trop près d-....

J'ai cru entendre une respiration, longue et rauque. Vu qu'il s'est tu, je pense que Siko l'a entendu lui aussi. Elle semblait venir de derrière une étagère. Mon coeur serré s'est mis à battre de plus en plus fort, à m'en faire mal.

Ces poupées avaient toutes des formes étrangement familières. En m'en rapprochant, je me rendis compte que les socles sur lesquels elles étaient posées portaient des noms. 

Seb. Kepa. Pierrot. Dan. Toutes les personnes que j'avais connues de près où de loin dans ma vie étaient rangées sur des dizaines de kilomètres et de niveaux.

Pas besoin de plus pour que je me sente mal à en mourir. Leur nombre impliquait quelque chose de pire. Toute l'humanité était ainsi répertoriée, en avatars sous la forme de jouets.

La respiration se faisait entendre davantage. Plus forte, plus oppressante. Mon coeur me donnait l'impression d'exploser à chaque battement. Je me suis retournée vers Siko. Il suivait le son du regard. Je me suis rendue compte que je transpirais quand j'eus soudain l'impression que les poupées me suivaient des yeux. Une énorme boule s'est formée dans mon ventre. 

Des bruits de pas ont résonné derrière nous. Siko a ouvert sa main et un long bâton blindé est apparu entre ses doigts. J'étais trop flippée pour être étonnée. Il marchait face au problème et je n'arrivais pas bien à voir où il voulait en venir, la pièce était trop sombre.
               
J'ai entendu des coups et une masse chiffonneuse est tombée à deux pas de mes pieds. J'ai crié. Une autre m'a sauté à la gorge et m'a propulsée par terre avec la puissance d'une moissonneuse-batteuse.


- Du calme, ça mord pas.


Parce qu'il est drôle en plus. Les poupées sur les étagères me font flipper de plus en plus et j'ai l'impression d'être d'une inutilité navrante. Peut-être parce qu'un certain nombre de leurs collègues situées à quelques mètres d'ici avait pris vie puis sauté au sol pour nous attaquer et que ce drôle de type les a toutes rétamées. 
         
Il m'a tendu la main pour m'aider à me relever. Le bruit derrière se faisait persistant. Le sol tremblait. D'un seul coup, un mur du hall a volé en éclats et une créature gargantuesque a fait son apparition. Un corps tout noir, parcouru de lignes blanches luminescentes, une tête ovoïde et un cou de la même couleur, des yeux noirs, pas de bouche, et des stries rouges pour la parcourir de la tête aux pieds.


- Par contre, ça... 

Le tout mesurait une bonne dizaine de mètres de hauteur sur bien quatre ou cinq de large à hauteur des épaules.

- Qu'est-ce que c'est ?


Ma voix tremblait tellement que je croyais que j'allais pleurer. Siko ne m'a pas répondu et s'est jeté sur le monstre, qui faisait bien 3 fois sa taille.

Armé d'un bâton. 

On va mourir.


On va mourir, mais pas n'importe comment. On va mourir très, très fort. Siko a lutté une minute ou deux, ce qui déjà était en soi sacrément respectable, voire même carrément épique, mais l'équarisseur a fini par l'envoyer par le trou qu'il avait fait dans le mur en arrivant. Le monstre insensément grand s'est approché de moi. J'étais à moitié morte de trouille et il allait me finir en deux secondes.


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Oh putain. Plus jamais ça. QUATRE  heures d'attente dans un aéroport BONDÉ comme dans un film avec Roger Moore. Bordel de cul (copyright A) j'en ai plein le derche mes amis. C'est la dernière fois que je pars en vacances. LA DERNIERE, BORDEL DE MERDE ! En plus j'ai raté combien de chapitres ? Qu'est-ce qui s'est passé depuis ? Rien ? Pas la moindre scène de cul ? RAAAH mais quel puceau cet auteur ! Et vas-y que j'te balance des filles sexy, et vas-y que j'te mette du sous entendu un peu partout ! Même dès le premier chapitre ! Alors ouais, mon perso il baise toute la nuit et en plus, il te produit de la punchline entre deux sessions vaginales. Mais quelle classe ! Ah ouais ! Alors après je vois d'ici les gens qui vont lire ça et qui vont se dire : "Ouais, en fait c'est totalement autobiographique..." 


MAIS N'IMPORTE QUOI !!! Notre auteur de merde au prénom suédois n'est qu'un petit sexe éjaculateur précoce qui projette ses fantasmes sur des personnages virtuels. Voilà c'est dit.


Comment ça, d'où je le tiens ? Non j'ai pas les numéros de ses ex. MAIS ON M'L'A FAIT PAS, A MOI !! 

Ce connard de puceau de merde m'a dit que je pouvais prendre quelques mois de vacances à moindre frais, mais il m'a jamais dit à quel point c'est CHIANT A MOURIR de prendre l'avion, PUTAIN !!
               
Et va culbuter de l'hôtesse de l'air à 10 000 mètres chais pas combien d'altitude sans perdre pied à cause des turbulences. Va !


Bon, bref, j'vais pas vous raconter mes vacances, vous en avez rien à carrer. Rooh et en plus je suis grossier.


Quelle honte.


Ohh, c'est quoi ça ? Rien à faire, je m'habituerai jamais au réel, moi. C'est allongé, noir et plat, avec plein de boutons dessus...


*zap*


Tiens mais c'est drôle cette merde !


*zap* *zap* *zap*


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Des courbatures. Des rires de fille. Deux voix différentes. Ca annonce un réveil difficile.
J'essayais de repenser à la soirée de la veille qui s'était étirée jusqu'aux 14h du matin qu'il était actuellement pour me détacher autant que possible de ce rêve qui me colle au coeur jusqu'à le faire battre à cent à l'heure.


Fait chier. Je te sors des rimes pourries dans une prose d'une lourdeur assourdissante. Quand même, je te mets au défi de faire mieux avec environ une heure de sommeil ou deux et après une soirée pareille.


Et merde, encore une rime. "I'm fucked up", chantonnai-je dans ma tête. Tiens, d'ailleurs, ce soir c'est concert. Ca motive. J'en lève mon corps saturé de douleurs du lit.

Lifting my body endolori du lit
Motivated au point d'ouvrir les yeux
Au-delà des couvertures
(Grows the distance as far as I can see)
En pensant très fort à un bon gros shoot à base de café.
(Too tired so I can even start to say)
Yeah.

Le regard d'ange d'Anna me disait bonjour pendant qu'elle embrassait sa moitié -à savoir une cigarette- et que Sofy me pinçait le téton -droit- bien fort pour me faire bien mal comme il faut, dans l'espoir de bien me réveiller. Aïïïeeeeeuh.


[Au point d'ouvrir les yeux et de lever au-delà des couvertures en pensant très fort à un gros shoot à base de café. Le regard d'ange d'Anna me disait bonjour pendant qu'elle embrassait sa moitié -à savoir une cigarette- et que Sofy me pinçait le téton -droit- bien fort pour me faire bien mal comme il faut, dans l'espoir de bien me réveiller. Aïïïeeeeeuh.]


A tatouer sur ma main : Ne plus dormir sans T shirt, en pantalon. En Énochien pour que ça ait la classe. Comprenne qui voudra. Argh, putain ça fait mal.


Sofy m'a souhaité un bon réveil de la plus douce des manières et je suis allé dans la cuisine un goût sucré sur les lèvres et le téton droit endolori as fuck.


"Pour bien commencer ma petite journée, et me réveiller, moi j'ai pris un café..."


Lalalalala, lalalalala, lalalalala, lalalalalala.


Les filles m'appelaient depuis la chambre. "Netooooo ! Dépêêêêche !!!" J'essayais de ne plus penser à mon rêve. Ou alors c'était l'inverse, mon rêve essayait de ne plus penser à moi. Peu importe. Je me suis dirigé vers les demoiselles en baillant, un plat rempli par trois tasses de café et un paquet de Luckies dans la main.

A peine le plat était posé sur le bureau que je me suis retrouvé entre deux bras réconfortants qui voulaient absolument me prouver que la vie vaut le coup d'être vécue et que 14h du matin c'est le bon moment pour battre des records.


- J'arrête pas de te le dire, mais RASE-TOI, merde ! Tu piques ! 
- Commence par te raser toi même ! T'es vachement plus sexy comme ça.
- Sympa. Mais ça me rend tout de suite beaucoup moins viril quand j'me rase.
- Rien à foutre, je déteste la cire.
- Ouais ben alors trouve toi un mec !

Sofy m'a sauté dessus, et je saurais pas dire si c'était plus par habitude que par envie. Anna nous regardait faire, descendant lentement mais sûrement mon paquet de clopes. Elle souriait d'un air complice et bienveillant. Quand Sofy s'est retrouvée au-dessus de moi et que la moitié de l'immeuble eut la certitude qu'elle était en train de prendre un voyage monumental, Anna s'est décidée à nous rejoindre, toute en caresses et en douceurs, subtilité et sensualité.


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ENFIIIIN  DUU  CUUUUUULL  !!!
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Hé non, je te vois venir, libidineux narrateur. Non, je ne relaterai pas ici en détail les 4 heures qui suivirent.
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Baaah ?
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Non.
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Ben alors fais le pour les lecteurs, ils attendent que ça ! Tiens, regarde : "Courrier du jour" :  "salu c pa mal tn blOg mé je trOuv ke sa mank un peux de q lol"; "Salut Orjan, j'aime beaucoup ce que tu fais, mais ça manque d'alchimie physique" ; "Salut Orjan, ton histoire c'est de la merde et on y comprend rien, faudrait que t'arrêtes d'écrire défoncé, ça te réussit pas. Parle plutôt de cul, ça fera plaisir aux gosses et aux puceaux. Et aux mal baisées aussi. Merci-bisous.

PS  : Tu m'as toujours pas rendu la saison 1 de Twin Peaks. Sors-toi les doigts du rectum, vieux viking !"; "kikoo ! lol c pa mal 7 istoir mèm si ji conpren ri1 lol, kontinu é mé du q lol"


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Mais depuis quand t'es au courrier toi ?
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Depuis que l'autre enfoiré a brûlé au 6eme degré une bande d'illettrés. Il a fini les réclacitrants à coups de dictionnaire. On en a retrouvé un avec un Bescherelle dans le cul et des commotions cérébrales.
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Ah ouais d'accord.  Y'a quand même des aigris dans la vie. Bon bref.

Il est 17h. Sofy est rentrée chez elle et je me suis retrouvé seul avec Anna. Mon Dieu que cette fille est intriguante. Quand je l'ai rencontrée, elle était taciturne, solitaire, frigide, blasée, et promenait son regard sage, intelligent et clairvoyant sur tout ce qui bougeait. Ca fait quelques années que je la vois grandir, comme une merveille construite plus par la nature que par les efforts des hommes autour. Une monstre sacrée, largement au-dessus de nous tous. Une fille qui monte toute seule au niveau des dieux. Je sais à peine si c'est volontaire de sa part.

Et là, ça faisait un joli quart d'heure qu'elle me dévisageait avec un léger sourire tendre. Cette fille a une capacité dingue à transcender le désir.

- Tu vas partir.

- Ben, le concert est à 21h-21h30 , j'ai encore le temps.

- Neto, me dit-elle souriante, mettant son doigt sur mes lèvres. C'était pas une question. Tu vas partir.

On dirait une gamine omnisciente dans le corps d'une fille de 26 ans. J'ai doucement embrassé son doigt.

- Je vais juste à un concert. Tu veux m'attendre ici ? Le groupe que je veux voir joue pas trop tard, j'ai qu'à partir à la fin.

- Quand je t'ai rencontré, j'étais coincée dans une morale qui n'était pas la mienne. J'avais enchainé les relations douloureuses avec les mecs, et à cause de mon handicap, j'étais persuadée de ne jamais pouvoir être heureuse.

Alors là, prends ta caméra et filme bien, parce que c'est la première fois que je l'entends parler autant.

- Je me disais que j'étais condamnée à voir sans ressentir. A comprendre les choses sans pouvoir les vivre. J'étais bloquée en moi-même. 

- Hey, du calme, dis-je doucement. Ne me dis pas que je suis ton sauveur ou quoi. 

- T'es con !

Elle riait. Ca aussi c'est très rare.

- Bien sûr que t'es mon sauveur ! Je pourrais jamais te remercier pour ça mais c'est pas grave, tu me connais.

- Pardon ?

- (Je sais pas pourquoi, mais j'avais besoin de te le dire maintenant.] Tu viens, on va au lit ?

- Ouais... si tu veux.

J'étais perplexe. Anna ne dit jamais rien d'anodin, pourtant j'ai l'impression qu'elle se fout de moi(,) alors qu'elle me parle comme si c'était la fin. La tête posée sur mon torse, elle me regardait mater le plafond. 

- C'est la dernière fois qu'on se voit, pas vrai ?

- Quoi ? Mais pourquoi tu dis ça ? Tu sonnes bizarre depuis un moment... / Ca fait un moment que tu sonnes bizarre.... 

- Parce que je sais pourquoi ce concert est si important pour toi.

- T'en parles comme de la fin du monde. / Qu'est-ce que t'essaies de me dire ? T'en parles comme de la fin du monde.

- Peut-être.

- Hey, j'y vais juste dans l'espoir de capter un mec qui connaissait une amie que je voudrais revoir. Si ça se trouve il a perdu contact avec elle et mon délire est voué à l'échec alors je comprends pas du tout pourquoi tu-

- Parce que tu vas la trouver.

- Bien sûr. A tous les coups, il a perdu contact avec elle lui aussi. 

- Non. Et parce que c'est pas qu'une amie.

- Anna, t'es flippante, là...

- Pardon. C'était pas mon intention. Je voulais juste m'assurer que cette fois, tu iras jusqu'au bout.

Le désintéressement de cette femme est proprement hallucinant. Quant à sa sagesse, j'en parle même pas. (On dirait qu'elle lit dans mon esprit jusqu'au fond et au-delà.)

- Tu crois que je vais être aspiré par un trou de ver pour plus jamais revenir ?

Elle se mit à rire.

- Non, quand même pas !

- Il me reste deux bonnes heures, si tu veux explorer la couette.

- Ca fait peu...

Elle souriait de toutes ses dents, et pourtant, quelque chose dans sa voix et ses yeux avait quelque chose de serein, calme, presque transcendant. C'était étrange, j'avais l'impression de faire rire une sainte. 


On a refait l'amour, rien que tous les deux, cette fois. (Puis j'ai )pris une douche avec elle, (je) me suis préparé et j'ai ouvert la porte.


- Neto ?

- Ouais ?

Elle m'a embrassé et elle s'est pelotonnée contre moi, chose inhabituelle. Mais bon, avec Anna, l'habitude est toute relative.

- Rappelle-toi que la vie vaut le coup, d'accord ? Moi j'oublierai pas.

- Merci.

Je suis parti, ses mots encore dans ma tête.


La vie vaut le coup, ouais. Mais pas pour ce que j'ai vécu ce jour-là ni les autres. Pour ce que j'allais vivre après avoir payé mon entrée. Et à ce moment-là, je l'ignorais.



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