Jeudi 17 janvier 2013 à 19:36

 J'avais le dos collé à la porte. Il était là. Il me parlait, à la lueur blafarde de la lampe de chevet, tirant sur une cigarette qui ne se consumait pas, appuyé nonchalamment sur un bâton noir. 

Il était en costume sans cravate, chemise col ouvert et ses cheveux clairs encadraient son visage. Ca nous donnait un petit air de ressemblance assez perturbant. Son haut de forme était posé sur la table et il parlait calmement. 


- La situation est urgente, surtout pour moi, il disait. Ils me surveillent, ils savent sans doute que je suis là. Les strates permettent ça. Tu dois le comprendre.


J'en suis pourtant loin. Il continue.


- La raison de la fin du monde est pas celle que vous croyez. Mais si vous voulez changer les choses, il va falloir jouer le jeu. Aucun d'entre vous n'a le niveau pour le moment.

- Dis-moi ce que tu sais.

- Non. Ca vous mènerait d'une manière ou d'une autre à une mort certaine. Je ne peux pas t'expliquer pour le moment, mais il faut que tu me fasses confiance.

- Pourquoi je ferai ça ?

- Je t'ai déjà déçu ?

J'ai rapidement balayé la pièce du regard en me sentant responsable sans pouvoir l'expliquer. 
Je ne sais rien, je ne suis que Sébastien.



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La fatigue nous a étalé tous les deux en même temps après un final thrust salvateur au niveau de notre intimité partagée.


And then I dreamt the strangest dream. En Anglais et sans sous-titres. Solenne et moi avions trente-cinq ans et étions heureux, avec un chat, un chien, des enfants. En ouvrant la fenêtre, on s'est retrouvés à contempler les vestiges d'une civilisation dévastée. Les murs de notre maison se sont craquelés, effondrés, avalés par le vide sous nos pieds. Seul restait le ciel et ce soleil aveuglant. Plus de trace des enfants. Le silence.

Les façades dévastées des immeubles cachaient les ruines qui servaient d'abris aux plus désespérés. Les courageux marchaient sans autre but que l'espoir d'un renouveau. La pluie s'est ajoutée au soleil de plomb, le vent soufflait, la terre tremblait, la main de Solenne serrait la mienne.
On a vu un homme étrange nous faire un signe. Il s'est mis à briller dans des lueurs orangées et s'est élevé vers le ciel jusqu'à finalement disparaître.

J'étais déjà debout quand je me suis réveillé. Troublant. Ebouriffage de cheveux. J'ai rebordé Solenne pour pas qu'elle prenne froid et suis allé à la fenêtre pour m'en griller une. Au bout de la quatrième bouffée je me suis étranglé.


- Yo.

Pierrot. Mon guitariste. Mon ami. Mon compagnon de galères au début de la fac. Barbe de trois jours, yeux brillants et cheveux en bataille noirs comme la nuit. Flottait en l'air de l'autre côté de la fenêtre. On est plus à ça près.


Je l'ai pris dans mes bras. 

- Mec. Tu nous as carrément manqué. 

- Vous aussi. Je vous observais. Faut qu'on parle.

Ce qu'il y a de bien avec Pierrot, c'est qu'il tergiverse pas. Il va toujours droit au but. Il prend pas des moyens détournés pour s'exprimer. Il est concis. Il allie la force du propos à la légèreté lexicale.

- On se retrouve en bas.

Je suis allé chercher ma veste, et la colonne de feu m'a propulsé par la fenêtre et déposé doucement dans la rue.

Pierrot m'a fait un thumb up en souriant. J'ai tiré sur ma clope et lui en ai passé une.

- T'étais où depuis tout ce temps ?

- Un peu partout. 

J'ai fouillé dans la poche intérieure de ma veste et lui ai rendu sa boîte AUSTRALIA.

- J'ai aussi ton casque au fait.

- Je sais. Je vous ai un peu suivis.

- J'ai cru te voir dans la strate infernale.

- Ouais. Je cherchais ma guitare et je me suis un peu paumé à un moment. Je l'ai toujours pas retrouvée, dit-il en souriant.


Note pour plus tard : Penser à demander à Solenne à quoi servent les artéfacts, on dirait bien qu'ils sont notre porte de sortie.



- T'as dit qu'il fallait qu'on parle. 

- Ouais. En fait c'est simple : Il FAUT que vous alliez dans les strates. Faites ce qu'a dit le mec rouge. C'est le seul moyen d'aller à l'endroit que vous devez atteindre. 

Je retire ce que j'ai dit sur Pierrot et sa clarté.

- J'suis convaincu, on part quand ?

- Je sais que c'est pas clair, mais quand je voyage, je perçois que des thèmes, pas de sons. J'entends des idées comme si elles étaient vivantes, mais elles ne me parlent pas. Suivant les strates, le temps s'écoule différemment, et ma perception est elle aussi modifiée. Ca devient assez dur de suivre les flux. Il y en a deux énormes, qui créent beaucoup d'interférences. Entre les deux, il y a plein d'âmes, enfin, je crois que c'est des âmes, qui se démènent comme elles peuvents. J'ai vu d'autres groupes de gens aussi. Je pense que la première chose à faire est d'ouvrir des ponts entre les strates. 


- Ca colle pas, l'Entremonde est censé avoir une durée limitée, et nous, on doit évoluer suffisamment pour avoir droit à un ticket pour une autre réalité. 



- Pas du tout. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais tout ça c'est des conneries.

J'ai froncé les sourcils et commencé à réfléchir en fixant un point aléatoire.

- A part maîtriser le temps et l'espace, tu as d'autres pouvoirs ?

- Je les maîtrise pas. Je joue avec leurs règles, plutôt. J'ai pas réellement de pouvoir offensif comme vous. 

- T'as l'air de t'en sortir mieux que nous en tous cas.

- Je fais ce que je peux. Mais tu sais comme moi que c'est pas toujours facile de gérer un groupe, pas vrai ?


J'ai souri. Crave... nos plus grandes galères ont aussi donné naissance à nos plus beaux moments.


- Tu as vu d'autres gens...

- Plein. T'as pas idée. L'humanité toute entière est là, dispersée dans un nombre astronomique de strates. C'est pas parce que vous ne voyez personne qu'il n'y a personne.

- J'en étais presque sûr. C'est cool d'avoir ta confirmation. 

- D'après ce que j'ai compris, on a été répartis par groupes. Les mêmes que quand on s'incarne pour une nouvelle vie. Mais c'est de la communication d'âme à âme, ou plutôt d'âme à origine, du coup je maîtrise pas trop et si ça se trouve j'interprète mal.

Pierrot qui parle de réincarnation et d'exprérience mystique. Je commence à me demander si je suis bien réveillé.

- On est tous liés de différentes façons. En progressant, on va recréer d'autres liens, plus ou moins forts, plus ou moins importants, et surtout consolider ceux qui sont primordiaux et indéfectibles. 


- On va sans doute discuter tous ensemble demain matin, voir ce qu'on fait. Tu viens avec nous ?

- Pas tant que j'aurai pas récupéré ma guitare. Elle me manque. Tous mes souvenirs sont avec elle.

- C'est pas comme si tu pouvais nous rejoindre quand tu veux.

- Voilà.


La brume nous enveloppait doucement. Les façades des bâtiments autour de nous étaient exactement les mêmes que dans mon rêve. Un frisson m'a parcouru lentement le bas du dos.


- Rappelle-toi : Vous DEVEZ aller dans les strates rassembler les morceaux, sans quoi vous êtes coincés ici.

- Les strates seraient la porte vers Shell Haven. Mais c'est absurde, ça colle avec rien de ce que Soda a dit...

- Qui c'est ?

- Le mec en rouge.

- Ah...

- C'est un démon.

- Ah.

- Il a rien à voir avec l'image qu'on s'en fait, rien à voir avec la conception démonique du folklore judéo-chrétien, rien à voir non plus avec les djinns arabes ou les incubes, encore qu'il en a deux-trois caractéristiques, assez effacées en fait, mais il serait plus proche de Hellboy, si on devait le comparer à quelque chose de connu.

- D'aaaccord, et tu penses que c'est fiable, un démon qui est plus proche d'un personnage de comics que de quoi que ce soit d'autre que l'homme ait pu imaginer pour remplir ses croyances ?

- Ben ouais, il est cool Hellboy. Enfin le truc c'est que Soda nous a interdits d'essayer d'atteindre Shell Haven, mais nous a encouragés à partir dans les strates.

- Et donc ? On s'en fout de Shell Haven ! 

- Au contraire, c'est eux qui ont déclenché la fin du monde et apparemment il y a pas mal de dysfonctionnements internes de leur côté.

- Intéressant. 

- Absolument.

- Continuons notre enquête chacun de notre côté, Sherlock. Si on se débrouille bien, on pourrait tirer ça au clair avant la fin de la semaine.

On s'est checkés et tapé la bise.

- A la prochaine ! me lança-t-il d'un geste de la main. 

Il disparut avant que j'aie pu dire quoi que ce soit. Je suis remonté de la même façon que j'étais descendu et me suis effondré dans le lit.
Avant de me rendormir, je me suis dit qu'il aurait été pertinent de bloquer les portes des autres chambres avec des chaises, surtout celle de Lola, au cas où elle tenterait de prendre le large faire des conneries.


Mais la flemme.



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Je me suis réveillé avec à mes côtés une Solenne pensive. 

- Bonjour, me dit-elle doucement sans même me regarder, les yeux fixés sur le plafond.

- J'ai fait un rêve étrange, et après j'ai vu Pierrot.

- Moi aussi, sauf pour Pierrot. Le futur parfait qui se disloque et dévoile un monde en ruines, d'où émerge un type étrange qui s'envole en souriant.

Je me souvenais pas du sourire, mais pour le coup, elle m'a percuté les tripes avec ses mots. Tachycardie. Clope. L'éclat de la flamme sonne comme une caisse claire. Je me suis levé pour aller ouvrir la porte, avec un drôle de pressentiment qui avait élu domicile dans ma cage thoracique. Sûr qu'il allait se plaindre de l'état de la cave. Il me faisait pas marrer et je voulais m'en débarasser au plus vite.

- T'embête pas, elle est bloquée.

- C'est toi qui a fait ça ? 

J'ai trouvé le moyen de bâiller malgré tout en disant ça.

- Non. Je pense que les autres sont bloqués aussi.

- Et t'as pas pensé à balancer un big éclair de sa mère dans la porte ?

- Non.

J'ai soupiré. Je vais pas tenir longtemps avant de tout faire sortir.

- Je voulais pas te réveiller. Et puis si on est coincés ici, c'est pas pour rien.

Choisir, vite. Parler ou sortir. Parler ou sortir. Parler ou sortir.

- Il faut que tu me dises ce que tu sais. Pourquoi tu te comportes comme ça. Ta froideur générale à tendance à faire apparaître ta chaleur d'hier soir comme fausse, ou en tous cas bien suspecte. Pareil pour les fois où tu fais preuve de douceur. Ce contexte pervertit tout ton être et je te reconnais plus.

- Je t'ai déjà tout dit au bar. Il te faudra peut-être du temps pour l'assimiler, mais je ne te mens pas. La seule chose que je t'ai cachée, c'était que je savais pour la fin du monde. J'ai joué un rôle pour pas prendre le risque de te faire fuir, mais j'étais pas mal moi-même malgré ça. Je ne te parlais pas de mes peurs, de mes doutes, mais c'est tout.

- Et moi je me dis que tu me fais simplement écouter ce que j'ai envie d'entendre. Ton comportement va dans ce sens, en tous cas.

- Je ne peux pas t'empêcher de penser ce que tu veux. J'ai choisi d'avoir la foi et de renoncer à toute emprise sur ce monde, pour me laisser guider et voir ce qu'il a dans le ventre.

C'est les deux phrases les plus sages que j'aie jamais entendues. 

- On battra des records une prochaine fois, lâchai-je en explosant la porte d'un coup de pied brûlant.

Wack'n'woll.

- HEEEY ! rugis-je dans le couloir. VOUS M'ENTENDEZ ?

- OUAAAIS !

- TA GUEULEEEEE !

- T'ETAIS PAS BLOQUE, TOI ?

- SI, MAIS J'SUIS SORTI !

- MAIS VOS GUEULES, J'VEUX DORMIR !

Les portes sont vachement bruyantes, de nos jours.

- T'ES SÛR QU'ON PEUT DEFONCER LA PORTE ?

Kepa, je crois.

-TU TE FOUS DE MA GUEULE ?



BRAAAAAAAM.

- J'ai une pêche d'enfer, annonça Kepa d'un sourire en enjambant les débris.

On a aidé les filles à sortir. Solenne nous avait pas rejoints et Seb donnait pas signe de vie.

Kepa a défoncé la porte de la chambre de Neto avec son poing et s'est approché de Mr Gueule-de-bois.

- Dégage Nietzsche, j'veux dormir bordel !

Attrapé les draps et tiré d'un coup sec.

- Debout ! On a des trucs à faire.

- Réunion de crise, dis-je. Prenez une douche et retrouvez-moi en bas, on décidera de la suite.

Sonia et Neto ont soupiré en même temps mais pour des raisons différentes. Je suis sorti. Crochet par la chambre.

- J'ai entendu. Seb doit être dans le coin.

Je suis resté interdit quelques secondes en me rappellant de l'étrange scène d'hier soir, dans le couloir. 

- Tu sais, je pourrais avoir des doutes sur ta fidélité avec une phrase pareille.

- Sois pas ridicule, Danou.

- Grmbl.

Je suis descendu pour me calmer, en m'attrapant une deuxième cigarette au passage. Seb était là, assis sur le canapé portant encore les cendres d'hier soir.


- Bonjour Dan.


J'abandonne. Je suis vraiment pas fait pour être un leader.


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Douche chaude. Sol est venue m'y rejoindre, comme pour se faire pardonner et/ou me réconforter. Par rapport à ses attitudes, mes doutes, mon incapacité à leader, mon impuissance malgré mes efforts, la méfiance qui devient une seconde nature, et par rapport aussi à

Elle m'a embrassé et les questions sont tombées dans le siphon.

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Salle commune de l'hôtel. Lola avait fait deux ou trois litres de café.

- J'ai bien réfléchi, et il faut faire ce que dit Soda, a-t-elle commencé.

- C'est pas ce que tu disais il y a encore quelques heures, fit remarquer Neto.

- Donc tu penses plus que ça revient à nous aliéner du peu de liberté qu'il nous reste, a conclu Kepa.

- Voilà.

- C'est un retournement inattendu ! s'exclama Sonia. Maintenant je nous propose de laisser la parole à notre leader chéri d'amour élu démocratiquement, qui saura quoi faire parce qu'il a tout compris grâce à ses précieuses prises de têtes constructives.

Bam, dans ma gueule. Si elle continue comme ça, je saurai si c'est aussi la fin du monde en Chine.

- Dan, allez, un discours. Fais-nous rêver.

Ah... Café, clope, je suis paré. Et si ça tourne mal, j'ai ma basse pas loin.

- J'ai vu Pierrot hier.

Leurs yeux se sont tous illuminés. Même ceux de Solenne.

- Pour ceux qui le connaissent pas, Pierrot est notre ami et guitariste, et on était presque sans nouvelles de lui.

- Presque ? releva Solenne.

- Je l'ai vu dans la strate infernale d'hier.

- Développe ?

- Il a des pouvoirs de déplacement qui lui permettent de voyager entre les strates, de voler ou de se rendre invisible.
- Son truc, c'est de se déplacer dans les strates. Y vole, se rend invisible, ce genre de trucs. Et il a accès à toutes les strates. Ou les dimensions, je sais pas trop comment dire.

- En gros il nous a suivis.

- Voilà. Il sait ce qui se passe du coup, et il a bien insisté sur l'importance de jouer le jeu et d'accepter ce que Soda nous propose.

- J'en suis, a dit Seb plus fort que d'habitude.

Ses ailes éthérées se sont déployées.


- Quand Pierrot nous rejoindra, on aura deux demi-dieux parmi nous, c'est-à-dire des chances à peu près sérieuses d'arriver à faire ce qu'on veut. Si on se sépare, on finira tous par mourir à un moment ou un autre. On est arrivés ici ensemble, on repartira ensemble.

Neto s'est levé. Tout le monde l'a regardé.

- Juste pour dire que j'en suis aussi, avant que tu te mettes à citer Lost.

Il est parti chercher son sabre.

- Moi aussi, mais je veux changer la mise en scène.

Kepa aussi. Parfait.

Solenne dit toujours rien.

- La même, mais je veux pouvoir continuer à foutre des coups de pieds dans la gueule à Neto en toute impunité.

- Tout ce que tu voudras, souris-je.

- Attends, t'as oublié un truc.

Lola. Elle va encore me casser les couilles. Mon lance-flammes, vite.

- On a juste été tous enfermés dans nos chambres et tout le monde s'en branle.

- Ou tout le monde commence à s'habituer, dit doucement Solenne.

Je dois avouer que je l'avais pensé.

- C'est moi qui ai fait ça.

Seb est devenu le centre de l'attention.

- Pourquoi t'as fait ça ? T'es malade ou quoi ?

Lola et Neto quasi-en choeur. Ca change un peu. Seb garde un calme olympien.

- La vraie question, c'est comment, recentra Kepa. 

- C'est évident. Hier soir deux d'entre vous comptaient se barrer, ce qui aurait conduit à un bordel monstre pour les retrouver et les raisonner. Sans parler des risques.

Un temps.

- J'ai de bonnes raisons de vouloir tenter ce que nous propose Soda. Et je peux pas vous laisser faire n'importe quoi.

Bah le voilà, notre leader. C'est quand même bien branlé, cette histoire.

- Pour ce qui est du moyen, Pierre, je pense que c'est encore plus évident.

- Bloquer des portes par la pensée, c'est vraiment un pouvoir à la con, lâcha Neto, affalé dans un fauteuil, les yeux mi-clos et enveloppé dans son long manteau noir qui lui donnait un style étrange, mix improbable entre un gothique et un ninja, le tout narcoleptique, désabusé, et à l'ironie parfois foireuse. Le sabre appuyé sur son dossier aidait.

J'allais parler mais Seb m'a précédé.

- Je sais ce que tu vas dire, Dan. Et je vais refuser. Je suis pas un leader.

- Tu crois que c'en est un, lui ?

- Merci Sonia, moi aussi je t'aime beaucoup même si t'es encore pire depuis la fin du monde.

- Oui, je le crois. Il comprend mieux certaines choses que la plupart d'entre nous et ses plans sont bien.

- Ouais tu parles. Avancer et attendre le prochain truc bizarre, j'appelle pas ça un plan. Il s'en remet au hasard, c'est tout.

- Il sait ce qu'il fait. Et depuis quelques temps, on a la preuve qu'il y a pas de hasard.

- Mais tu vas arrêter de le sucer devant tout le monde, ouais ?

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Here comes a new challenger !


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Neto.

Suffers
Smokes cigarettes
Gets laid
Fights

Rating : Awesome.


- Et que pense la brune mystérieuse de tout ça ? a demandé Sonia.

- Je suis pour, ça me semble évident.

Elle fait un concours de calme avec Seb, c'est sûr. Je commence à me demander si elle couche pas avec. Si elle était sortie du lit cette nuit, je m'en serais rendu compte, c'est évident. Je suis un idiot parano. Respirer et se dégager ces pensées parasites de la tête.

Pour ça, j'ai ouvert la porte de l'hôtel de Stan avec impossibilité de la refermer. D'un coup de basse, ouais. Ca fait plaisir, vous suivez.

- Allez. Tous au bar. On trouvera un moyen de rentrer chez nous, je vous le promets.

Ils m'ont suivi en silence, enjambant les débris de bois encore brûlants.




Vendredi 15 février 2013 à 17:50

 

- Salut les jeunes, bien dormi ?

- Ta gueule.

Le choeur était joué par Sonia, Neto, Kepa, Lola et moi-même. On nous applaudit bien fort.


- Merci. Je comprends que vous y caliez pas grand-chose, mais bientôt tout va s'éclaicir, dit-il d'une voix très calme.


Un jour on lui sortira de quoi le démonter. Un jour...


- Avant que vous ne partiez faire face à vous-mêmes, il y a deux personnes que vous devez rencontrer.


Le bar s'est mis à trembler, l'atmosphère vagument délétère et au fond un peu complice s'est allégée, et le sol et le plafond se sont disloqués.

On a tous entonné la chanson de Space Mountain.

Neto a été le seul à trouver ça cool et Kep a attrapé sa dulcinée par le bras pour éviter qu'elle se barre après avoir tué Soda.

Deux magnifiques demoiselles sont apparues. Irréelles. Cheveux d'un blanc argent brillant pour l'une, noir d'ébène pour l'autre avec des reflets rouges d'une fluidité fascinante. Grands yeux gris-violets pour la première (si, si, c'est possible), rouge feu plus fins pour la deuxième. Un corps à faire profondément douter n'importe qui de la pertinence du concept de fidélité pour les deux.


- Je vous présente Blanche et Noire Samarcanda. Elles sont bonnes, hein ?

- Salut Soda.


La bouche de Noire s'est doucement étirée en un sourire tendre et de ses lèvres finement dessinées est sortie la plus belle voix que j'aie jamais entendue. Une mélodie d'un autre monde, une vibration à la pureté incomparable.

Les drôles de dames nous ont regardés avec paix et sagesse. Je me suis senti foutrement bien. Solenne m'a foutu un coup de coude et a pointé ses seins du doigt. Sympa.

Seb avait calé ses yeux dans les braises de Noire et semblait décidé à les y laisser pour les deux ou trois prochaines éternités.


- Voilà le groupe dont je vous ai parlé. Je voudrais que vous les guidiez le moment venu.


Elles ont acquiescé calmement. Bordel, Morticia est super bonne. On dirait Solenne devil-style. Deuxième coup de coude façon «Matte les miens plutôt».


- C'est qui les deux gothiques ?


Neto, ben... Neto, quoi.


- Noire est une damante et Blanche une banshee. Elles sont soeurs et bossent dans la gestion évenementielle. Les damantes sont là pour s'assurer que ce qui doit arriver arrive, et les banshees s'occupent d'éviter les collisions. En gros, que ce qui ne doit pas se produire ne se produise pas. 
Contingence, déterminisme, champ des possibles. Tout ça c'est elles.  Je voulais que vous les voyiez avant d'y aller. Comme ça, une fois de l'autre côté, vous pourrez me croire. Soyez attentifs.

- Okay donc on part dans l'inconnu pour guetter un Deus Ex.
- C'est lui, le leader ?

Noire est envoûtante, un truc de malade. Troisième coup de coude "Je sais que tu es à l'étroit dans ton slip mais j'ai une option sur toi". Prendre la parole ou dire «Aïe».


- Arrêtez avec ce mot.

- Ouais, c'est lui, lâcha nonchalamment Soda, pieds appuyés sur la table en se balançant sur sa chaise.

- Je l'imaginais plus carré, a dit Blanche.

- Il est parfait comme ça.

 

Euh ouais mais non quand même. Faut pas déconner.

- Solenne, arrête !
- Vos gueules les amoureux, on a un monde à sauver. Enfin si c'est ça le plan ultime.
- C'est lui, Neto ?


Dire qu'il m'appellait chef y'a encore quelques heures... On risque de pas tarder à se refoutre sur la gueule.


- Non, j'en ai eu marre de l'ambiance post-apo, j'ai vu de la lumière alors je suis rentré. De qui vous parlez ?


Elles ont ri. J'avais jamais entendu un rire comme ça. Il était diablement pur, avec un drôle d'effet éthéré, repiqué avec un delay.

Quatrième coup de coude. Prochain coup elle va me plaquer la tête dans son décolleté, c'est pas possible autrement.


Noire a reporté son regard sur Seb qui disait toujours rien.


- C'est le moment, dit-elle. Je compte sur toi.


Regard noir de ma muse. Maintenant c'est sûr, Solenne va m'émasculer dans la prochaine scène. Adieu, virilité... On s'est bien marrés. Même si parfois tu me cassais les c-

- Faudrait arrêter de me voir comme un leader. C'est Seb le chef maintenant. Il nous a à peu près sauvé la vie cette nuit.

Noire a encore souri et je me suis décalé discrètement de la trajectoire d'un hypothétique mom dolyo tchagui émanant des parfaites gambettes de ma dulcinée chérie d'amour.
J'ai remarqué une tension asymétrique de sa lèvre qui m'a instinctivement fait dire qu'elle avait quelque chose à cacher à propos de ce fameux blocage de portes. C'est son boulot, après tout. J'ai rejoint les autres en haut.

A l'étage-mezzanine, en face des portes, on s'est vite rendu compte que certaines portaient nos noms. Les trois démons nous regardaient avec bienveillance.

Sonia s'est plongée dans la contemplation de la rambarde en bois, garde-fou rationnel presque rassurant.

J'ai brûlé un coup et pointé Soda de ma basse.

- Je te fais confiance, mais c'est peut-être la dernière fois.

Réplique pourrie. Pourtant je flippe pas. J'ai l'impression de plus ressentir grand-chose de négatif depuis un moment.

- S'il se passe encore n'importe quoi, je me démerde pour revenir et j'te pourris la gueule.

Ça c'était peut-être déjà mieux. Neto m'a suivi.

- T'as intérêt à m'en laisser un bout, je supporte pas qu'on m'oblige à être libre.

- Hé ben enfin ils comprennent ! s'est soulagée Lola. Compte sur moi pour te finir quand t'auras étalé les deux autres.


Soda a ri, Neto a traité Lola de pute, Sonia a lancé une pièce en l'air en s'engouffrant dans l'ouverture de la porte. Sa pièce est retombée en tournant en équilibre sur la tranche à l'endroit d'où elle venait de disparaître.

- C'est vrai, a dit pensivement Blanche. La fin du monde était la seule solution.


La pièce est finalement retombée sur le côté du 1. J'ai roulé à Solenne la pelle de sa vie et j'ai claqué derrière moi la porte qui portait mon nom, quasi-certain d'atterir dans un bordel qui lui, n'en aurait pas.

 

Vendredi 15 février 2013 à 18:36

 Dans lequel Neto nous livre un résumé tout personnel des évènements. Dans lequel Mindfuck me, I'm famous. Et puis rajoute des frites, tiens, j'ai pas mangé à midi. Dans lequel on se rapproche doucement mais sûrement de la théorie du complot.


 

- Pourquoi tu m'aimes ?

- J'ai rien de mieux à faire.


J'ai dit ça machinalement, comme si quelqu'un venait de me le souffler. Mes souvenirs se clarifiaient lentement pendant que je fixais mon plafond branlant l'oeil vide. Les murs gris-bleu de mon appart me rappelaient à la réalité plus que sa voix.


- Je sais pas comment je dois le prendre.

- Ben prends-le bien.


Un silence. Courroucé et caché. Faut que j'arrête les filles sensibles, un jour ça va finir par leur faire du mal.


- Au moins je t'aime. C'est mieux que rien.

- Ouais, surtout venant du dieu de la baise.

 

Ouh. Ironie sarcasmatique. Pas au réveil, surtout pas. Et jamais après les changements de réalité cosmico-mystiques, c'est un principe de vie.


- Parce que pour moi c'est justement ça.

- Nooon, pas de jeux de mots foireux quand j'ai la tête dans le pâté, pitié...

- C'est la baise. Je te donne tout et tu t'en fous comme de ta première pipe.

- Hé, parle pas comme ça de mes premiers émois de 5ème !

- Putain d'égoïste, soupira-t-elle avec une grosse dose de véhémence.

 

Over. Là elle va partir et me laisser tranquille assez longtemps pour me permettre de faire le tri dans mes souvenirs, et accessoiremment j'aurai pas à me souvenir de son nom.

J'ai senti un truc. Puis un deuxième, physique cette fois-ci.

Ses mains de chaque côté de mon visage, je me suis rendu compte que je l'avais pas regardée depuis mon réveil.


Sofy.


Mon palpitant me fait défaut pendant plusieurs interminables secondes et creuse un vide brûlant dans ma poitrine. Bien fait pour ma gueule après avoir été un énorme salaud égocentrique avec cette fille que j'étais sans doute censé aimer depuis un moment, mais c'est différent
 depuis que je viens du futur.


- Aimer quelqu'un qui t'aime aussi, c'est de la branlette émotionnelle pour heureux imbéciles. Aimer quelqu'un qui en a rien à foutre de toi, ça, c'est de l'amour. Et je t'aime, Neto.


Wouh putain. Si ça c'est pas de la punchline de première classe, c'est elle qui paye le restau ce soir.

- Mais je me respecte aussi, sans quoi ce serait malsain. Et si tu me reparles encore une fois comme ça, je te broie ta virilité toute entière et ce sera la seule chose que je te laisserai.


Elle m'a embrassé avec passion et on s'est remis à faire ce qu'on sait faire de mieux.

 

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Hé ben j'ai bien fait de payer ma tournée l'autre fois... Grâce à qui on a encore une scène de sexe gratuite ? Hé oui, c'est grâce à Bibi !

 


Non, non, narrateur. T'as eu ton quota de boobs pour la semaine, l'autre fois. Je raconterai rien.

 

 

Enfoiré. J'me casse. Putain d'ingrat.

 


Une heure plus tard.

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Juste une heure plus tard ?

 


Ouais. Juste une heure plus tard. Et je raconterai toujours rien.

 

Rien ?! RIEN ?!

 

 

 

Voilà. Comme dans la chanson.

 

 

 

Putain j'me casse. Vraiment, cette fois.

 

 

C'est ça, on y croit tous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bon, ben on a l'air débarrassés de lui. En attendant qu'il revienne, voilà la suite.

 

 

Après cette heure de débauche, j'ai eu un putain de choc à la tête. Submergé de souvenirs et d'émotions d'une déferlante similaire à une machine à sous qui affiche un triple 7.

Il y avait aussi une autre fille, mais ma mémoire brumeuse accusait une sacrée gueule de bois dûe au décalage horaire salement burné qui m'infirmait le cerveau depuis mon retour dans le réel. Enfin, le passé quoi. C'est pareil de toute façon.


- J'te demande pardon, Sofy. Je manque à tous mes devoirs, en ce moment, à commencer par celui du sommeil.

Oh c'est bon ça. Ça va prendre, ça va prendre, c'est obligé.

- Alors pour toi, m'aimer c'est un devoir.


Et merde. Sûr que c'est une vengeance du narrateur. Mais à ce moment-là, ça veut dire qu'il est aussi le script. Ou qu'il est très pote avec le script, et à ce moment-là, le script est une enflure.

 

Je me suis levé et rhabillé.

- Je vais chercher des clopes. T'en veux ?


Ouais, je sais que je suis un lâche.

- Deux paquets, motherfucker.

Oh ouais, pour un peu je me prendrais presque pour Hank Moody aux prises avec les difficultés du scénario.


- Ça marche. J'en ai pour dix minutes, ça te laissera le temps de réfléchir à ce que je t'ai dit, si j'suis si important pour toi.

- Crève.

- Moi aussi j'te kiffe.

 

Elle a ri, finalement. M'a tendu ses bras pour un câlin, je lui ai fait un baisemain à la place.

Note pour plus tard. Ne jamais sortir en chemise, après avoir passé trop de temps dans un baisodrome pas aéré.


IL FAIT SUPER FROID PUTAIN.


Soleil éclatant + vent glaçant. J'ai dû laisser mes neurones de l'autre côté. Je me frictionne comme je peux en râlant à mi-voix. Je suis pas vraiment là, j'ai l'esprit ailleurs et les yeux à moitié fermés. Trop ailleurs pour pas regarder avant de traverser. Peut-être que c'est finalement les voyages dans le temps qui rendent con.

Un bon gros coup de klax m'a tiré les yeux hors des orbites. Au moins maintenant ils sont complètement ouverts. Et j'ai le cul par terre en plein milieu de la route. Je me relève vite fait pour croiser le regard d'une fille que j'étais pas censé connaître à ce moment-là.

- Vous allez bien, monsieur ?

Froide et timide, douce et distante.

- «Monsieur ?» J'ai l'air si vieux que ça ?

- Excusez-moi.


Est-ce que c'est vraiment elle ? Putain mais où j'en suis, bordel ? Quelle année ?

- Vous êtes sûr que ça va ?

- J'en sais rien, et vous ?

Elle s'est mise à rire.

- Vous êtes plutôt cool pour un type qui vient de se faire renverser.

Mes yeux ont bien failli ressortir une deuxième fois.

- Quoi ?

- Vous vous êtes pris un aller simple pour l'autre côté par un capot de Mercedes. Mais apparemment, votre vol n'est pas parti.

- Ça va, y'a pire...


Elle a souri.

- Ah, je crois que le voilà.

Un caucasien carré à la tronche d'acteur porno avançait vers moi depuis l'autre bout de la rue. Il émanait de lui un mélange de «J'suis désolé, vous êtes blessé ?» et de «Mais t'es complètement con de traverser comme ça sans regarder, espèce de pourriture de témoin de Jéhovah !», le tout saupoudré d'un généreux soupçon de «Mais il est où ce con ?»

 

[rajouter un paragraphe où Neto prend le temps de regarder la demoiselle.]


- Ça te dérangerait de me couvrir ?

- Pardon ?

 

Je lui ai montré le bureau de tabac du menton.


- Je rentre là-dedans et toi tu fais tout ce que tu peux pour l'éloigner. Invente un truc, n'importe quoi. Une fois qu'il s'est barré, tu viens me le dire. Okay ?

- Hum d'accord. Mais il faudra que je vous pose quelques questions.


Son sourire grandit et trahit un peu d'excitation derrière son calme. Pas de doute, c'est bien elle.


- Tout ce que tu veux, lançai-je avant de m'engouffrer chez le dealer de cancers.

Le miroir disait que mes yeux s'étaient refermés à moitié, comme si rien ne s'était passé et que ma vague douleur sacro-illiaque n'était qu'un bonus DVD des voyages dans le temps.

Il rajoutait que j'avais besoin d'une bonne coupe et de me raser. Je ressemblais à Kurt Cobain croisé avec Jim Morrisson. Du grunge psychédélique, ouais, et selon la fille calme et tranquille qui est très probablement elle, je devrais être tout aussi mort qu'eux.

Kurt et Jim en version européenne, s'il faut le préciser. Donc en bien moins sex. Je sais pas ce qu'elles me trouvent. Faudrait vraiment que je pense à faire un sondage, un jour.

- Monsieur ? ... Monsieur !

Buraliste me coupe dans ma passionnante discussion avec le miroir. Dommage, on allait arriver au passage où il me dit que j'ai de beaux yeux, je sais ?

Et puis qu'est-ce qu'il y a avec tous ces «Monsieur», c'est une conspiration ?


- Ouais, pardon. 4 paquets de Lucky, s'il vous plaît. Et mettez-moi deux demis aussi.

Je suis allé m'asseoir en ressassant tous les souvenirs qu'il me restait. Ou que j'avais récupérés. Je sais même pas en quelle année on est, et une flemme puissante m'empêche d'aller trouver ma réponse du côté des périodiques.

Et puis quel âge j'ai ? Je suis peut-être un loser qui cumule encore les plans cul à 30 ans, au lieu de se poser comme tout le monde. Si c'est le cas, ça veut dire que j'suis aussi mauvais en «tout le monde» qu'avant. Je suis donc resté le même, et ça, c'est bon signe.

En quelle année j'ai rencontré Anna, déjà ? Après avoir perdu Sonia, c'est sûr.

Pas étonnant que j'aie été aussi sec avec Sofy, tout à l'heure. Je m'en rappellais sans le savoir. L'inconscient...

- Merci.

J'ai pris une gorgée en sortant de quoi payer l'actif pour l'inertie, ma main libre sur mes pensées, évitant de regarder les jeunes filles autour dans les seins.

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T'es irrécupérable, mec.

 

 

Je l'avais dit, ça aura pas duré longtemps. En parlant de ça, elle est où, Peut-Être Anna ? 'Tain, je suis vraiment pas fait pour attendre.

J'ai repris une gorgée. J'ai pas le souvenir d'avoir déjà été percuté par une voiture, ou même failli. D'ailleurs j'ai mal nulle part, à part au suçon que Sofy a cru bon de me faire de le bas du cou. Je relève mon col. La bière me fait trembler et envole mes pensées.


Avant la fin du monde, comment j'ai rencontré Anna ? A la fac, je crois. Et en ce moment, j'ai un taf suffisamment bien payé pour traîner avec 40 boules dans la poche sans lever le sourcil.

Faut que je retrouve mes carnets, vite.

Pour l'heure je suis coincé ici. Elle avait l'air d'avoir envie de continuer à me parler.

 

Range ton putain d'ego à la con et bois ta bière.

 

 

La porte s'est refermée au moment où j'ai reposé mon verre. La scène s'est ouverte sur la blonde la plus canon de ma génération. Enveloppée dans un manteau de mi-saison, elle m'a posé ses yeux d'ange dessus et j'ai pas pu décoller les miens de son visage. Jamais vu une finesse comme ça. Ou enfin si, puisque je la connais. Mais là je la connaissais plus. Enfin pas encore. Enfin vous avez compris.

Elle souriait.

Vient vers moi, s'installe. Je lui approche le deuxième verre d'un doigt, le dos toujours contre ma chaise.


- Il est parti ?

- Oui. Ne vous inquiétez pas.

- Hé, pas de «vous» avec moi ! Souris-je

- Pardon. J'ai... pas l'habitude. Et ce que vous m'avez demandé de faire était... excitant. Je me croyais dans un film.

- Mais on est dans un film ! Pourquoi tu crois que j'ai commandé une deuxième bière ? J'ai le sens de la mise en scène, moi, mademoiselle !

- Elle a ri doucement et m'a tendu sa main.

- Anna. Enchantée.


Mon coeur a fait une vrille carpée. Elle avait l'air sincère. Mais c'est elle bordel ! Je lui ai fait un baisemain par réflexe. Et merde. Mais c'est génial ! Enfin je crois.

- Tout le monde m'appelle Neto. Tout le plaisir est pour moi, mais on peut partager, si tu veux.

Encore un sourire.

- Partageons alors, Neto.

Je me suis recalé contre mon dossier.

- Je t'écoute.

- Pourquoi vous m'avez demandé de vous couvrir ?

 

Heu... 1) Parce que j'aime pas être emmerdé par une doublure bite quand je vais acheter des clopes pour deux. Les plans à              trois avec un mec, c'est hors de question.

 

    2) Parce que j'ai suffisamment d'ennuis avec les flics pour vouloir éviter de remplir un constat, même si ça peut me rapporter des thunes. «Dédommagement corporel» ils appellent ça, je crois.

    3) Parce que tu est magnifique et que c'était le meilleur moyen pour te draguer. Cet exemplaire de «Comment draguer efficacement dans les bars-tabac» que tu vois à côté du comptoir le confirme à la page 26.

 

    4) Parce que je suis un putain de gros lâche.

    5) Parce que j'ai apparemment déjà failli mourir une fois aujourd'hui et que j'ai pour principe de pas tenter le diable, si jamais il existe.

 

- Je sais pas, je l'ai senti comme ça.

- Vous êtes habile. Même si vous ne mentez pas, vous ne me dites pas la vérité. Vous êtes catholique ?

- Dieu m'en garde, j'ai déjà du mal à croire en l'homme...

Sourire.

- Et en vous ?

- J'en parle même pas.

- On dirait bien que j'ai ma réponse, sourit-elle encore une fois.

- J'ai déjà assez d'ennuis pour le moment.

- Votre vrai nom, qu'est-ce que c'est ?

- On s'en fout.


Elle est sacrément intéressée ou je m'y connais pas.


- Bien. Je pense que je vais y aller, se leva-t-elle.


Ah merde. Autant pour moi.


- Attends !


Je l'ai attrapé par le bras en priant pour que ma skill des yeux à moitié fermés mais déterminés fonctionne une fois de plus.


- T'as dit que j'avais été percuté par la Mercedes, mais j'en ai aucun souvenir, et j'ai mal nulle part.

- Je sais.


Je me suis recalé sur ma chaise et elle s'est rassise. Bingo.


- Je commence à penser que t'as pas mal de choses à me dire et que tes questions n'étaient qu'une façon de s'amuser un peu.

- Monsieur Neto, je vous demande pardon, mais on ne peut pas parler ici.

 

On dirait Catwoman timide qui joue dans Usual Suspects. Ne pas relever, surtout.


- Finis ton verre et on décolle.


La porte a claqué derrière nous.


- Je dois te dire beaucoup de choses, Lester.

 

J'ai avalé ma bouffée de travers et manqué de me brûler avec la clope. Dommage, ça aurait pu me réchauffer.


- On m'a pas appelé comme ça depuis des années.

- Je sais.

- Dis-moi ce que tu sais pas, ça ira plus vite.

- Je ne me souviens jamais si la 11ème décimale de Pi est un 8 ou un 9.

Parce qu'elle a de l'humour, en plus. C'est vraiment Anna ? 

- Qu'est-ce que c'est que tout ça ? Pourquoi tu m'as fait un plan aussi bizarre ?

- J'avais besoin d'être sûre que c'était le bon toi.

- Hein ?

- La bonne strate, si tu préfères.


Ça commence à m'énerver cette histoire. J'y voyais plus clair dans la ville fantôme. Me dis pas qu'en fait c'est Blanche ? Elles se ressemblent pas mal, en plus...


Elle a souri.


- Rentrons chez toi, tu vas attraper froid.

 

 


J'ai ouvert la porte de l'appart, laissé passer Anna, et elle s'est pris une culotte au visage.

A jeté son manteau sur une chaise à travers la porte de la cuisine et embrassé Sofy qui restait la bouche ouverte en attendant de trouver les mots pour formuler un râle à peu près civilisé et à la mesure de mon retard. L'a plaquée sur le lit et a commencé à jouer plus ou moins sauvagement avec elle.

Lever d'yeux au ciel dans un soupir de mon côté.


- Pourquoi faut toujours baiser avant de discuter ?


 

 

Vendredi 15 février 2013 à 18:47

Dans lequel j'ai à peine fait une mise en page décente et je me demande qui peut bien me lire (surtout si rapidement). Manifestez-vous dans les commentaires où je pars en génocide de phoques pour asserter ma rébellion contestataire envers le consumérisme et son emprise sur notre paysage socio-démographique, et après j'irai boire avec des Irlandais.


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Tous les trois allongés sur le lit. Une belle musique post en fond sonore.

La vie.

- C'est la première fois que ça m'arrive, a dit Sofy. Je pensais pas que ça serait aussi bon.

- Te faire sauter dessus par une inconnue que ton mec a ramenée ou que ça finisse à trois dans le lit ?

- Les deux. Et t'es pas mon mec.


J'ai souri. Anna aussi.

- Même pas mal.

Petite pause. Je suis allé chercher une cigarette.

- Bon. Anna, ...

- Pas encore.

- Qu'est-ce qui se passe ?


J'allais lui répondre quand son téléphone a sonné. Elle s'est levée, nue, comme si j'avais besoin de me rappeller à quelle point elle est belle. Partie répondre dans la cuisine.


- Tu savais ? Fis-je avec un geste vers la direction qu'Anna avait prise.

- Oui.

Facile a dire maintenant que c'est fait. Pourtant ça fait son effet. Surtout si c'est Blanche. 

- Mais t'es qui, toi ?

- Pas encore, Lester. Plus tard, je te le promets.

J'ai râlé.


- Nous sommes en plein paradoxe.

- Ouais, merci, j'aurais eu du mal à passer à côté ! Normalement j'étais pas censé te rencontrer comme ça, ni te ramener chez moi après avoir manqué de me faire écraser, tu devais pas te taper Sofy avant que je te la présente, et sans déconner, c'est quoi ces manières ?

Murmurer en gueulant, c'est marrant. Vous devriez essayer.


- Calme-toi, Lester.

- Non ! Tu vas tout de suite me

 

Slurp. Rouler une pelle, ouais. C'était pas ce que je voulais, mais bon.


- Dire ce que je sais, oui.


Murmure d'une ange à mon oreille. C'est trop, je mérite pas.

- Elle va bientôt revenir.

- Et partira juste après.

- Ouais. Evidemment.


Les seins de Sofy se sont balancés un court moment après qu'elle ait fait irruption dans la chambre en claquant la porte. Si j'étais pas aussi obsédé par la curiosité qu'Anna avait excitée en moi, je lui aurais sauté dessus sans autre forme de procès. 


- C'est la merde, je dois y aller.


Elle s'est rhabillée en vitesse. Je lui demande ce qui se passe ?

 

Non, vaut mieux pas. De toute façon elle te le dira la prochaine fois.

 


Ah bon, si tu le dis, Narrateur.


- C'était un plaisir, mademoiselle. A bientôt, j'espère.

- Compte sur moi.


Anna a le truc pour faire d'un sourire un moment envoûtant et enchanteur.


- Fais attention à toi.

- Toi-même.

- A la prochaine.


Je suis allé la raccompagner. «Ca va pas du tout. J'aurai sûrement besoin de te parler.»

Et voilà, renvoyez les violons.

- Ouais, bien sûr. Passe à l'appart quand tu veux. Et excuse-moi pour tout à l'heure. Et pour toutes les fois où j'ai probablement été un connard.

Smoutch, schclac, switch.

Retour à la chambre. La couverture à ses pieds, Anna était en train de se masturber.

- NON MAIS SANS DECONNER ?!!

Elle me répondit d'un gémissement.

- Allez, arrête tes conneries et dis-moi tout, maintenant.

- Nous sommes dans une réalité alternative, dit-elle sans arrêter de se toucher. Tu as des choses à y accomplir, dont une plus importante que les autres. Une fois que tu l'auras faite, tu retourneras d'où tu es venu.

- Et c'est quoi ?

- Toi seul peux le savoir, Lester.

- D'où tu connais mon prénom ? Et tout le reste ? Même quand on était ensemble, je te l'avais jamais dit !


Elle gémit à nouveau. Je me suis subitment calmé en la regardant plonger ses doigts en elle d'une main et jouer avec son clitoris de l'autre. Ça avait quelque chose d'hypnotique.

Elle était omplètement nue. Sofy est vraiment pas la seule à avoir des boobs à tomber.


- Tu sais comment ça va entre Sonia et moi, en ce moment ?

- Je n'en ai aucune idée.

- Super. Et qu'est-ce que tu sais d'autre ?

- Je t'ai déjà tout dit, Neto.

Elle m'a appellé Neto. Sympa, l'attention.

- Il faut que tu dormes, maintenant.

J'ai explosé de rire, sans penser à lui demander ce qu'elle allait faire, ni en quelle année on était censés être.

- T'en as de bonnes, toi. J'vais à un concert avec le reste d'espoir que je viens de sortir du micro-ondes - et me demande pas où j'suis allé le chercher parce que j'en ai pas la moindre idée - sans savoir que ce soir-là, c'est Apocalypse Party, bordel. Ensuite de l'autre côté je me retrouve à jouer au ninja et à casser la gueule à des streumons gigantesques sans être capable de comprendre comment j'y arrive ni d'où ils sortent, je retrouve celle que j'avais jamais cessé d'aimer, elle me fout son pied dans la gueule et après ça il est question de Dieu qui s'appelle Karma et aurait décidé de déclencher la fin du monde pour que les gens fassent enfin ce qu'ils étaient supposés faire depuis le début. Et quand j'ai finalement décidé de suivre les autres dans ce truc de taré, je me retrouve dans un univers alternatif à la con dans lequel j'ai à peine plus de 20 ans et je t'ai déjà rencontrée.

J'y comprends rien.

- Au contraire.

 

BLACK ME OUT.

 

Comme si elle venait de lire ces mots, elle s'est levée, m'a pris dans ses bras et je me suis rappellé de rien.

 

 

Je me suis retrouvé en slip dans mon fauteuil, avec mon portable dans la main. J'ai reçu un SMS en pleine gueule. «Sonia», disait mon téléphone.

Putain le rêve. Vais pouvoir éviter toutes mes erreurs. Clope entre les lèvres, je suis allé me chercher une bière. «J'ai eu raison de lui faire confiance», me dis-je en essayant d'empêcher mon coeur d'exploser trop fort.


Coeur qui a loupé trois battements quand un «Neeeetoooo... Reviens au liiiit...» a retenti avec la douceur d'une tempête de plumes dans les murs de mon appart.


Et j'ai absolument aucune idée de qui c'est.

 

Vendredi 15 mars 2013 à 21:04

 

 

Les rues de Bordeaux étaient froides et sèches. Il devait pas être plus de 18h, mais il faisait aussi nuit que là d'où je venais. On devait être en début d'année. C'était étrange de recroiser enfin de vrais passants. Des gens normaux. Beaucoup avaient les yeux ternes, cela dit, comme s'ils ne partageaient pas ma satisfaction d'être de retour à la maison. J'ai repensé à ce qu'avait dit Soda. Deux mecs se battent dans une rue passante, des chiens aboient, des oiseaux chantent, un couple d'ados s'embrassent. Le réel, quoi. Dans toute sa rassurante platitude. Pas d'épée qui m'attend dans un coin, pas de monstres qui rôdent, à affronter et à utiliser comme moyen de locomotion. Tout est outrageusement normal et ça me fait un bien fou.

 


J'étais en train de me dire que j'avais aucune idée d'où j'allais quand mon téléphone a sonné dans ma poche. Lola me disait qu'elle était déjà à la clinique, qu'elle m'attendait, que je t'étais en retard. 

Ca a déclenché un souvenir. Un ami de mon père, prof de philo comme lui, était enfermé dans un HP pour une raison qu'il avait pas voulu me dire. Ce type m'a donné certains des meilleurs cours de ma vie, en Terminale, et il fait quasiment partie de la famille. Mon coeur et mes dents se sont serrées alors que je me demandais aussi comment j'avais pu oublier un truc pareil. Est-ce que je suis vraiment de retour dans le réel que j'ai quitté ?

Pas le moment de penser à ça, mon prof a besoin de moi. Je vais le sortir d'ici. J'ai fait un crochet par un bureau de tabac pour acheter des clopes, un briquet et des chewing-gums. J'allais en avoir besoin. 

J'ai pris quatre rues et suis entré dans la clinique sans parler à personne. Avant de me rendre compte que j'étais pas comme ça d'habitude, j'étais déjà dans les couloirs gris-rosés à chercher Lola. 
Un type en train de manger une pizza dont le visage m'a vaguement rappellé quelqu'un m'a tapé du regard.

- Votre prof est dans la 115.

- Merci.

Même pas le coeur à lui demander qui il est, et encore moins comment il sait que je cherche un prof. On réagit tous de façon absurde parfois. D'un pas aussi déterminé que flippé, je trace vers sa chambre. J'enlève mon écharpe et la tripote nerveusement. La vision de mon prof privé de ses bras est assez choquante. 

- Bonjour monsieur. Vous tenez le coup ?

- La question est pas là, Pierre. Ce qui importe, c'est si le monde ! tiendra le coup.

- Pardon ?

- T'as très bien entendu. Ca fait plus de deux siècles que l'homme fait plus de merdes que de merveilles. Il court droit à sa perte, à force de parasiter le monde qu'il croit posséder. Sois gentil, enlève moi ma camisole, je me croirais chez Platon, dans sa foutue caverne.

-Vous êtes sûr ?

- J'attaque les bons élèves que quand ça permet de sauver le monde. Si je le faisais sans raison, ça leur en donnerait une bonne de me garder ici, et je suis pas assez fou pour leur laisser ce plaisir.


- Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi vous êtes là ?

- Ton père t'a rien dit ? Tant mieux. Ca me laisse le temps de t'expliquer. Mais détache-moi d'abord. 

J'ai défait ses trois lanières.

- Où est Lola ? 

- Ouais, elle est venue. Partie chercher du café. On a pas beaucoup de temps.

Il est allé chercher sa sacoche et en a tiré un imposant dossier.

- Tu te rappelles de ton pote Sébastien ?

- Bien sûr. On est toujours amis.

Il était le seul à le comprendre. Les deux restaient souvent pour parler à la fin des cours, parfois pendant des heures. J'ai jamais su de quoi.

- Eh bien si j'ai raison, je l'ai empêché de déclencher la fin du monde.


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J'essayais de garder mon calme, mais sans pouvoir l'expliquer, je savais que considérer ses mots, au placement si altéré soit-il, comme ceux d'un homme fou à lier était une erreur à ne pas commettre. Ce type a toujours été beaucoup trop intelligent pour pouvoir devenir fou, quelles que soient les circonstances. Ses yeux fatigués et cernés parcouraient ses notes à toute vitesse. La lueur dont ils brillaient était celle de l'homme de pensée passionné, pas d'un fou furieux. C'était évident.


- J'ai été très intéressé par le cas de Sébastien, et bien que ça aille contre les lois de mon métier, j'ai commencé à enquêter sur lui. Vu ce qu'il me disait, j'y ai été obligé. Je me suis arrangé pour rassembler le maximum de données sur lui, par tous les moyens. Je savais du fond de mes tripes qu'il n'y avait que moi qui pouvais le faire. C'était une obligation, pas une obsession, mais je peux pas t'empêcher de me voir comme un fou furieux, alors que je ne suis qu'un homme fatigué qui a fait ce qui lui semblait juste. J'en ai trop découvert et j'ai payé le prix fort. 


J'avais aucune idée de quoi il parlait, mais je l'ai laissé poursuivre. 

- Sébastien a toujours été bizarre, pas vrai ?

- Ca ouais. Mais c'est quelqu'un de bien.

Il a retenu quelque chose. Un court silence, puis il a repris.

- Sébastien est devenu schizophrène par son propre choix. Il a découvert un autre monde et à choisi de garder un pied dans chaque. C'est comme ça qu'il s'est approprié une entité. Enfin, qu'il s'est lié avec. Un TDI, diraient les psys. Ca plus la schizophrénie, c'était la réclusion assurée. J'ai essayé de l'aider, et j'ai vite compris que ce monde qu'il a découvert était pas le fruit de son esprit et qu'il existait bel et bien. Son discours mettait en cause un "ailleurs" décrit par bien des philosophes, et collant parfaitement avec le concept socratique du monde des idées. L'idée globale est que cet ailleurs est composé d'un ensemble d'univers parallèles, et que le coeur des hommes, dans le sens de l'âme, en réalité, soit la porte qui y mène. Sébastien étant un garçon très sensible, il y a facilement accès. Tu comprends ?


C'était comme si je me prenais toutes les pièces d'un puzzle dans la face et dans le bon ordre. La porte s'est ouverte avant que j'aie pu répondre quoi que ce soit.

- Ah, t'es là. 

- Salut.

- Je vous dérange pas ?

- Non, du tout, tu tombes bien, dit-il avec un sourire en attrapant un gobelet de café du plateau que Lola lui tendait.

- Qu'est-ce qu'il raconte ? me glissa Lola à l'oreille.

Je lui fis signe de se taire.

- Vous allez penser pareil qu'eux. Que tout ce que je peux dire n'est qu'un tissu d'absurdités pour justifier ce que j'ai fait.

Il parlait tout bas, de plus en plus faiblement, presque dans sa barbe.

- J'avais pas le choix...

- Mais qu'est-ce que vous avez fait ?

Il m'a regardé sans parler. 

- Viens, m'a dit Lola. On doit y aller.

Pas la peine d'insister, me suis-je forcé à penser. Rationnaliser. J'ai un plan B.

- Merci d'être passés, ça m'a fait chaud au coeur. N'oublie pas les cours pour ton père, Pierre.

Il a étiré ses lèvres en un sourire. 

- Oui, merci pour lui. 

J'ai pris le dossier sur Seb en lui rendant son sourire.

Le mec à la pizza avait disparu sur le chemin du retour.

- Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

- N'importe quoi. Tu lui as parlé, toi ?

- Pas vraiment. Quand je lui posais des questions, il répondait à côté. Il s'est mis à parler tout seul un moment, ça m'a gênée, alors je lui ai proposé d'aller lui chercher des cafés en attendant que tu arrives.

- D'accord. Ca a dû être dur pour toi. Je dois aller chez mon père pour lui rendre ça. Je te retrouve à la maison.

- On fait comme ça.

On s'est embrassés et on a pris chacun une direction opposée. J'ai allumé une clope pour me préparer. Arrivé à la moitié, je me suis retourné pour vérifier qu'elle était bien partie. J'avais pas besoin de témoins.

J'ai trouvé un coin tranquille, sur les marches à l'arrière de la clinique, et je me suis plongé dans le cas de Sébastien. Tout était là. Des preuves par milliers. Photos, citations, liens avec des théories appartenant autant à la mystique Perse qu'à Socrate ou Nietzsche. A en juger par les rares passages d'hommes de ménage à mes côtés, je suis devant l'entrée du staff.

Au bout d'une heure de lecture frénétique et d'un nombre incalculable de cigarettes fumées, j'avais totalement changé mon point de vue sur Seb. Pourtant, des dizaines de questions m'obsédaient.

Il m'est apparu clairement qu'il était temps pour mon plan B. J'y étais prêt depuis le début, mais j'avais maintenant de toutes autres raisons de le faire. 

[Wife Of Pi / Monsters]

Je me suis retourné et introduit dans la clinique de la plus simple des façons. Les couloirs étaient vides. Pression. J'ai pris un chewing-gum, poussé la première porte à ma droite et me suis retrouvé dans un placard à balais. Parfait.  Un bruit. Merde. Aperçois un carton sur une étagère à ma droite. La porte s'ouvre, rapide coup de coude, je me roule en boule. Le carton tombe autour de moi. Bruit métallique, pas traînants, porte, pas traînants. Je respire. Pose le dossier derrière des balais qui n'ont pas été utilisés depuis des mois, à en juger par leur état.
 Attrapé un flacon de détergent et l'ai mis dans ma poche. J'allais sortir quand j'ai vu un uniforme de technicien de surface. Encore plus parfait. Les cheveux cachés par un bonnet transparent et la bouche sous un masque, je peux me permettre de prendre tout un chariot avec moi, et l'ascenseur direction le premier étage.

 

Je m'en sers pour ouvrir une porte battante en sifflotant et saluant mes collègues. Au bout de 5 minutes à tourner dans l'hôpital, je trouve les toilettes. Un coup d'oeil rapide pour m'assurer que personne ne m'ait vu et je m'y engouffre. Je sors le chewing-gum de ma bouche et l'aplatis de façon à ce qu'il soit assez fin mais puisse couvrir un point large d'au moins cinq centimètres de diamètre. Je l'applique sur l'unique détecteur de fumée de la pièce. Trop facile.

Je bloque la bonde d'un lavabo et le remplis de détergent, puis sors une clope et mon briquet des poches sous mon déguisement.

"Le dossier", me dis-je. 

Je fume, concentré et pensif. Je n'ai pas beaucoup de temps. Environ cinq minutes. Trois devraient suffire, mais on est pas à l'abri d'un imprévu. 

Bon. Je tire une dernière bouffée et jette ma clope dans le détergent. Une énorme flamme prend tout de suite. Je jette ma blouse dedans pour étouffer un peu le feu et m'offrir un peu plus de temps. Je rajoute le bonnet et le masque de façon à faire un visage. La classe.

Sortie discrète par la gauche, la fumée ne doit pas se voir. Je passe à bonne distance des gens en espérant que l'odeur de la cigarette couvre celle de la fumée. Normalement c'est le déguisement qui en a pris la majeure partie, mais j'ai pas pensé à vérifier et si je le fais maintenant, ça risque d'être suspect. Les nez se froncent, les yeux se plissent,  les têtes se retournent. S'ils sont pas trop cons, dans 30 secondes c'est cramé. La 115 n'est plus très loin. Continuer à marcher normalement, éviter un regard sur deux, donner l'impression d'appartenir au troupeau à contre-courant duquel j'avance. C'est la partie facile, pour le moment. 115. J'ouvre la porte sèchement.

- Il faut qu'on parle.

Il m'a regardé sans rien dire, pas vraiment surpris, mais pas complètement hébété non plus.


Il allait peut-être dire un truc, je sais pas, il avait la bouche ouverte, mais c'est à ce moment-là que l'alarme s'est déclenchée. Des idiots, donc.

Rapide coup d'oeil par l'entrebaîllement de la porte pour vérifier. Des idiots, oui. Tous en train d'halluciner face à leur salle de bains qui prend feu. 


- Venez.


Je l'ai attrapé par le bras et l'ai traîné vers la sortie de secours qui n'allait recevoir du monde que dans quelques minutes. Je l'ai regardé par-dessus mon épaule. Il avait l'air effrayé. Encore dix secondes. J'avance le plus possible.

L'alarme retentit, il sursaute, elle me vrille les tympans. Il commence à être lourd. Je regarde derrière moi. Absolument personne ne nous a remarqués. J'ouvre la porte d'entrée du pied et nous précipite le plus loin possible. Il y a une sorte de petit terrain ressemblant vaguement à une forêt.


- Vous savez grimper aux arbres ?

- Hein ?

Yeux grands ouverts + grimace hallucinée. Ok.

- Faites le tour et trouvez une voiture sous laquelle vous planquer. Je vous rejoins dans deux minutes.

- Quoi ?

Son expression s'intensifie. Je le pousse par l'épaule pour le motiver et bondis dans l'autre sens. Je reste accroupi la plupart du temps. Il y a des médecins et des membres du personnel qui sortent de la porte principale de temps en temps. On dirait qu'ils hésitent à appeller la sécurité. J'en reviens pas. Plus de dix ans d'études et pas le moindre esprit logique. 

Je trouve un chemin jusqu'à l'entrée de service que j'avais déjà utilisée. L'alarme n'a toujours pas été coupée. Ils sont consanguins ou quoi ?
C'est plus calme dans la buanderie. Je récupère le dossier et me barre aussi vite que possible.


- Vous voilà.

Non, c'est une blague.


- Vous savez, je savais que quelqu'un essaierait quelque chose. Ces jeunes...


Non, c'est vraiment une blague, là ?


- "C'est pour ça que je n'ai pas coupé l'alarme ni appellé la sécurité." J'ai lancé le dossier à plat, comme un frisbee, entre le médecin de tout à l'heure et moi. "Mh ?"


Merde.


-Je me suis dit que ce serait plus facile pour vous trouv-


Pas besoin, en fait, ce type est sa propre diversion. Je lui envoie mon poing dans le maxillaire supérieur et enchaîne avec l'autre. Claques sur les oreilles pour étourdir / vengeance de l'alarme de tout à l'heure. Le pousse du pied, ramasse le dossier, cours.

Me retourne pour vérifier qu'il ne s'est pas relevé. J'évite de justesse une voiture. La suivante est un pick up, je saute dedans et me colle à plat ventre. 15 interminables secondes. La voiture freine, je m'en vais discrètement. 

Trouver rapidement un point couvert qui me donne une vue dégagée sur les roues des voitures a pas été une mince affaire. 

- Hé !

Je me suis retourné, le poing armé.

- Ha ! 

J'ai failli frapper mon prof.

- Tu croyais vraiment que j'allais rester allongé par terre à t'attendre ?

Rapides regards autour de moi.

- J'imagine que vous êtes pas garé ici ?

Il s'est mis à rire. On était pas loin de l'entrée. Cabine sans tain, donc forcément au moins deux personnes à l'intérieur, et qui dit deux personnes, dit deux écrans, et très certainement notre signalement. Hors de question de passer par là. Plus possible de se déguiser, pas le temps d'attendre un autre pick up, pas la possibilité de miser sur la proba qu'un autre apparaisse, d'ailleurs; réfléchir, réfléchir, trouver une solution. Se cacher dans la haie ? Faire le mur ? 

- Il y a un bus, le désigna-t-il du menton.

- Faut pas se faire remarquer, vous avez de quoi payer ? demandai-je en cherchant la sécurité qui n'allait pas tarder à apparaître.

- Tu déconnes ?

- Alors c'est mort, faut trouver autre chose.

- (ON A PAS LE TEMPS !) murmura-t-il très fort en m'attrapant par le bras et en se mettant à marcher très vite.

- ARRÊTE !

- (MAIS VOUS ÊTES FOU ??)

- CA VA PAS SE PASSER COMME CA ! VIENS AVEC MOI !

Je crois comprendre ce qu'il essaie de faire. Ma main au feu que ça marchera jamais.

Tout le monde se braque vers nous. Yeux inquisiteurs, soupirs honteux, blabla humain. Peut-être pas suffisant. Je sors une cigarette, il la fout par terre d'une baffe.


- TU VEUX UN CANCER, C'EST CA ? J'VAIS T'EMMENER VOIR UN COLLEGUE ONCOLOGUE, TU VAS VOIR CE QU'IL VA TE DIRE !


Les regards nous quittent. La sécu qui arrivait nous passe complètement au-travers. Je vais pour ramasser ma clope, mais il a poussé la conscience professionnelle à l'écraser et j'avais pas fait attention. J'ai soupirâlé et suis monté dans le bus, mon prof sur mes talons.


Plaqué mon dos à la vitre de plastique à côté des portes et expiré un grand coup. J'hésite à lui faire discrètement signe de se taire, mais l'envie est trop forte :

- C'était très beau, doc. 

- Ca t'a plu ? dit-il en riant. On dira ce qu'on voudra, mais la science, c'est avant tout des expériences sur le terrain !

Je me suis marré aussi. Grosse décompression. Mais en filigrane se fige l'impression qu'une fois le bus quitté, le cinéma sera terminé et que le ton redeviendra grave. 

- C'était risqué, dis-je doucement.

- J'ai confiance en l'effet du témoin. Plus le temps passe, plus les probas sont faibles. 

- C'était quand même très risqué.

- Ca nous aurait pas explosé à la gueule quand même. J'suis médecin, merde !

On s'est encore marrés. Je commençais à sentir une puissante contradiction dans mon estomac, et le malaise qui la suivait n'annonçait rien de bon.


 

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