Lundi 9 juin 2008 à 17:42

Où on retrouve le deuxième personnage qu'on avait laissé devant un fauteuil qui se retrournait. Bon, il a un peu pris la poussière, et vous l'avez sûrement oublié, depuis le temps, mais il s'agit de Sébastien, qu'on avait laissé à la fin du chapitre 6 avec un flingue dans la main.

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Le fauteuil me faisait face, d'un rouge éclatant de propreté. Il n'y avait rien d'autre dans la salle. Les murs étaient aussi rouges, mais paraissaient presque ternes par rapport à lui. Une étrange musique emplit la pièce. Douce et mélodieuse, triste et accaparante. Je me sentais seul comme jamais. C'était pourtant trop réel pour un rêve.

Plus la musique progressait, plus la solitude montait, dans une intensité émotionnelle insupportable. Je m'assis sur la chaise et remarquai une bosse dans ma poche.

Un flingue. Le flingue du malabar de la sécu. Je savais même plus pourquoi je l'avais ramassé.

Je me levai de la chaise et j'ai observé les murs, à la recherche d'une quelconque sortie cachée ou un truc du genre.

Rien. Pas la moindre fissure dans le mur. Une musique calme et belle emplit soudain la pièce, du genre que je ferais écouter à mes enfants si jamais un jour j'en avais.

Merde. J'vais finir par étouffer et mourir ici, si ça continue. Impossible que ce soit un rêve, tant ces notes magnifiques m'emplissent la tête, faisant couler les larmes d'elles-mêmes, depuis le fond de mon âme.

Le bonheur de la tristesse m'envahit. L'envie de ne plus être moi. Assez de ce personnage stupide qui me fait cavaler malgré moi n'importe où. "Sébastien, la seule chose qu'il sait faire, c'est la musique. Autant dire rien." C'est ce que pensent mes profs depuis le lycée, et ils se sont rarement gênés pour me le dire. Peut-être qu'au fond, ils avaient raison.


"Si tu cherches un abri inaccessible, dis-toi qu'il n'est pas loin... Et qu'on y brille...
 A ton étoile"

J'ai aucune sortie. Les issues de secours ne mènent nulle part.
Mais tant pis.

Je me suis rassis et j'ai contemplé le flingue dans ma main. Assez gros pour être lourd et assez lourd pour être chargé.

Je l'ai pointé sur ma tempe. J'ai appuyé sur la détente.

J'ai rencontré pour la première fois Solenne à 5 ans. On était voisins et on avait pris l'habitude de jouer ensemble. Un jour, j'avais cassé un de ses jouets sans le faire exprès, et elle avait pris ma défense en disant que c'était de sa faute. Elle s'est faite engueuler à ma place et ne m'en a jamais voulu. Au contraire, on est devenus inséparables : plus on grandissait et plus on était proches, comme deux frères et soeurs.
On ne s'était jamais posés la question de savoir qui était le grand, et qui était le petit, mais quand sont arrivées les années lycée, la question n'avait plus aucun sens. Je n'ai jamais été jaloux quand elle a eu un petit copain, peut-être parce que personne ne  la connaissaient aussi bien que moi. Elle était la seule personne pour qui j'avais vraiment de l'affection.
Quand mon père est mort, j'ai passé deux jours entiers à pleurer dans ses bras.

Mais il y avait ces rêves qui revenaient toujours, depuis si longtemps. Toujours la même fille, qui me rendait heureux l'espace d'une nuit. Je n'ai jamais vu son visage.
Inconsciemment, j'ai dû y poser celui de Solenne, la seule fille que je voyais régulièrement, et qui me connaissait par coeur alors que tous les autres m'ignoraient.

Je m'en foutais, de toute façon, ils m'intéressaient pas.

Plus tard, Solenne a rencontré Dan, alors qu'on cherchait des membres pour monter un groupe. C'est comme ça que s'est formé ma deuxième famille.
Je passais la moitié de la journée à la fac, l'autre moitié avec ma mère, et mes soirées avec eux.
Bien souvent, ma mère me pressait d'aller répéter, de pas perdre mon temps avec elle, tentant de me faire croire qu'elle allait bien et qu'elle n'avait pas besoin d'autant d'attention.

Tout ça allait bientôt être fini. Je quittais lâchement ce rêve par la seule issue possible. Je m'enfuyais en silence, hors d'haleine et hors d'atteinte.

Je vous aime, tous autant que vous êtes. Et vous allez me manquer.

Ce rêve...

Notre première répète, la première d'une longue série, puis les galères pour démarcher des concerts, qui, un par un, de plus en plus beaux, devenaient ma drogue, ma raison d'être.

Ce rêve... Toujours la même musique. Toujours la même chanson.

"As soon as you came here, all the beast waved away. They notice that you're warm, wait till you leave and come back for more..."

Je crois que c'est ça, les paroles de Deathblow. Elles tombent bien.

Je dis n'importe quoi. "I'm so tired... Sick."

Et voilà Fist. Hé ben. Je deviens fou.

Le tout en un millième de seconde pour voir un échantillon des principales choses qui m'ont amené ici.

La balle percute mon cerveau et je m'endors une dernière fois.


Les issues de secours ne mènent jamais nulle part.

Mardi 10 juin 2008 à 16:29

Où on retrouve le premier personnage, dans une situation un peu branlante.
Où on se tape une scène romantique niaiseuse à souhait. Où c'est quand même un peu "bataille" aussi.
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Le concert avait dégénéré. C'était peut-être prévisible, je sais pas. En tous cas, pour l'heure, je mettais mon manche à l'épreuve sur les Pink Babies.
Il allait peut-être se briser au prochain coup, je savais pas, et je m'en fichais.
Il avait quand même résisté au coup de l'escalier, alors bon...

Pour l'heure, je cassais du fils à papa aux côtés de Pierrot, Aurélien et Solenne, que j'essayais de protéger du mieux que je pouvais.

J'ai vaguement cru entendre un cri venant de la fosse. Je me suis retourné à temps pour éviter le poing d'un mec qui venait de monter sur scène. Je l'ai renvoyé d'où il était venu et j'ai tourné ma basse vers un autre type.

Je me suis arrêté, le temps de reprendre mon souffle, et j'ai croisé son regard.

Le temps s'est arrêté pendant que je me perdais dans ses yeux.
Putain, qu'est-ce que cette fille est magnifique...

J'ai détaché mes yeux des siens, mais le temps n'a pas repris son vol pour autant.

Tout autour de moi, le gens étaient tous figés.

Même ma Solenne.

Tous bloqués dans des postures plus ou moins ridicules, tous fixant droit devant eux d'un regard vide.

Seuls les yeux de ma belle brillaient encore, d'un éclat qui me semblait irréel, à côté de tous ces corps vides suspendus autour de nous.

J'ai cherché Aurélien et Pierrot.

Ils avaient disparu.


Et Sébastien ? Je l'avais perdu de vue au début de la baston.

Où était-il ?

Résumé de la situation : Le temps s'est arrêté et je suis le seul à pouvoir bouger. Sébastien, Pierrot et Aurélien ont disparu et les yeux de Solenne brillent encore plus que d'habitude. Et j'ai ma basse dans les mains.

Une chaleur agréable m'envahit. Je suis descendu de la scène et j'ai commencé à me promener un peu partout dans la salle.

Tout était calme, silencieux.
J'avais encore en tête la dernière chanson qu'on venait de jouer, Lenne & Paine. C'était un moment plutôt agréable, en fait. Si l'on exceptait que le temps s'était visiblement arrêté et que j'étais le seul à y échapper.

Bizarrement, je ne flippais pas.
Je ne réalisais pas encore ce qu'il se passait, qu'un truc de dingue était en train de se passer, qu'il fallait se bouger le cul.
Non, j'en avais rien à foutre. J'arrivais même pas à comprendre que ma Solenne serait peut-être toujours bloquée dans cette position.

Putain, mais que je suis con.

Je me suis mis à courir dans tous les sens, parmi les gens figés, dans la fosse, avant de remarquer quelques trucs.

Déjà, il y a des portes ouvertes et d'autres fermées. Si je ne peux pas ouvrir celles qui sont fermées, au moins je ne suis pas totalement prisonnier.

Ensuite, j'ai une basse dans les mains. Et j'avais complètement oublié ma discussion avec ma douce avant de monter sur scène.

C'était pas elle qui avait écrit dessus.

J'ai retourné mon instrument. De nouvelles lettres étaient apparues.

  LENNE
           
 


Ok, ma basse s'est trouvé un prénom, visiblement. J'suis plus à ça près.
Enchanté, mademoiselle.

Les battants de l'entrée sont fermés à clé. Bizarre, j'étais pourtant sûr qu'ils étaient tout le temps libres, pour permettre aux spectateurs de rentrer n'importe quand pendant le concert...

Bon, je suis parti dans la direction opposée, vers la porte de l'arrière-scène. Elle était fermée, mais la porte d'à côté était ouverte.

C'était la porte des chiottes.
Et merde.

Voilà pour le contenu des toilettes. Il y a une autre porte ouverte de l'autre côté de la scène, mais tant qu'à faire, j'essaie d'ouvrir celle-là.

Bloquée. Rah.

Un bon coup de basse dedans et le trou est suffisament large pour qu'on y passe tous les deux.

C'est la cuisine. Peut-être qu'il y a quelque chose de plus intéressant derrière l'autre porte ouverte, mais bon. Chaque chose en son temps...

Hé mais ! Y'a quelqu'un dans la cuisine !

C'est le petit Noir qui fait la bouffe.

- HEY !!!!
- AAH ! Tu m'as fait peur !

- Qu'est-ce que c'est que ce délire ??!!!
- Mais calme-toi ! Et ne la pointe pas sur moi.
- De quoi tu parles ?
- De ta guitare.

C'est pas une guitare, c'est une basse. Et j'avais même pas remarqué que j'étais prêt à lui en mettre un coup entre les dents.

- Qu'est-ce qui se passe ici ?
- Je croyais t'avoir prévenu : c'est la fin du monde.
- Non, c'est pas vrai...
- Si. N'aie pas peur.
- Hé, attends une minute... le mec dans l'appart, c'était toi ?
- Oups.
- C'était toi ? Mais t'es qui, à la fin ?
- Je te l'ai déjà dit. Je suis tout le monde et personne à la fois.
- Espèce de malade... Et t'existe pas, c'est ça ?!
- Mais si. Enfin, à ma façon...
- Haaaaaaaaaa... ma tête putain...
- Hé, ça va ?
- Ca irait mieux si tu m'expliquais ce qui se passe !

Il m'a tourné le dos, retournant à ses fourneaux.

Je suis resté planté là, ma basse dans la main, comme un con. Avec ma tête qui bourdonnait.

Après un moment de solitude, le môme se retourna vers moi avec un grand sourire et me tendit un kebab.

- Mange ! Tu as besoin de reprendre des forces.

J'ai posé ma basse sur une table (basse, elle aussi) et jai dévoré le kebab en trois secondes et demi. Délicieux.

- Merci. C'est vachement bon, tu mets quoi dedans ?
- Salade tomate mayo ! Rien de plus !

Il m'a fait un clin d'oeil.

- Bon, tu peux m'expliquer ce qui se passe maintenant ?
- J'ai essayé de te prévenir que le monde "réel" allait disparaître. Ce monde que tu connaissais n'était qu'une strate parmi tant d'autres. Et là, ce monde a disparu. Il n'existe plus. Les gens qui y vivaient sont maintenant dans d'autres strates. C'est la fin de rien, seulement de ton monde.
- Donc, je suis où, ici ?
- Dans l'entremonde. C'est un monde qui existe le temps que l'autre monde se vide des gens qui y vivaient.
- Ca veut dire quoi, ça ? Pourquoi ça s'est passé pendant le concert ? Qu'est-ce qui a fait que la fin du monde, c'était maintenant ? Où on est là ? Putain...

J'étais perdu. Les larmes commençaient à couler malgré moi. Je savais même pas pourquoi je pleurais.

- Tu sais, des mondes meurent tous les jours. Cependant, il y a des choses qu'on ne peut pas expliquer comme ça. Des choses qui ne devraient pas se produire, ou qui ne devraient pas pouvoir se produire. Mais elles se produisent quand même.

- Je comprends rien...

- Pour faire simple, c'est normal que ce monde-là ait disparu. Ce qui n'est pas normal, c'est...

- Ta gueule ! hurlai-je en me jetant sur le gamin pour le frapper.

C'était à peu près aussi puéril que stupide.

La gamin changea d'apparence. C'était maintenant le grand type en noir que j'avais vu chez moi deux jours auparavant. Il baissa légèrement son visage vers moi et me lâcha d'un ton sarcastique :

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Retrouver Solenne et les autres. C'est tout.

- Tu veux savoir ce qui est arrivé à ton monde ?

- Non, je m'en tape du moment que les autres vont bien.

- D'accord. Alors, j'te préviens, ça va pas être facile.

Il disparut.
D'un coup, sans effets spéciaux ni rien.



Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Qu'est-ce que je suis censé faire ?


Trouver des réponses. Et les trouver là où elles sont.

Je me suis posé sur un fauteuil-canapé aux allures de pouf, juste à côté de la table basse. Elle brillait légèrement, et je doute que ça soit lié aux lumières de la salle.

J'ai pris ma basse (car c'est d'elle que je parlais plus haut) et je me suis mis à  jouer un truc, machinalement. Une arpège complètement improvisée.
J'étais dans un monde où chaque détail me dépassait. J'étais dans un monde où le temps semblait s'être arrêté. J'étais dans un monde où la masse ne grouillait plus. J'étais dans un monde où chacun avait succombé à son vide. J'étais dans un monde où je n'avais plus ma place. J'étais dans un monde où la seule personne qui ait jamais vraiment compté pour moi était aussi immobile qu'une statue de sel.
J'étais dans un monde où les apparences ne comptaient plus. J'étais dans un monde où je n'avais pas encore de place.


J'ai pris ma basse par le manche, en sentant un flux de chaleur me passer dans le bras. C'était plutôt agréable.
Je suis sorti de la cuisine plus calmement que je n'y étais entré. La masse des gens, du public, de la sécurité et des Pink Babies étaient toujours là.

Je me suis précipité au milieu de la scène.
Elle était toujours là. J'ai plongé mes yeux dans les siens, peut-être pour la dernière fois. Le feu de mon bras gagnait mon corps tout entier. Je me sentais bien. J'ai passé ma main libre sur sa nuque et je l'ai embrassée. Peut-être pour la dernière fois.

Ou pas. Ses lèvres me répondaient.

MaSolenneestpasmortec'estl'plusbeaujourdemavie.

On s'est échangé quelques phrases silencieuses comme ça, avant qu'une larme ne tombe et finisse sa course dans nos lèvres.

Elle s'est lovée contre moi et s'est mise à pleurer doucement. Sa peau, d'ordinaire si chaude, était froide comme une inspectrice d'auto-école.

Pendant que je la réconfortais, je sentais la chaleur se déplacer vers elle, et mon feu intérieur redoubler d'intensité.

- Je t'aime....
- ... Moi aussi, je t'aime.

Après cette discussion digne des plus grands films d'auteur (même si elle est toujours plaisante à avoir...), l'idée me frappa qu'il fallait sortir d'ici.

- Bon, il faut sortir d'ici.

C'était elle qui avait dit ça. Une sensation bizarre m'envahit. Plus qu'une sensation de déjà-vu. Un truc encore plus intime.

- Hé, regarde ta basse !

Elle brûle. Mais je ne ressens pas la chaleur.

Enfin, si, mais pas comme une chaleur agressive.

- C'est quoi, ça ?
- J'en sais rien, c'est la première fois qu'elle me fait ça.
- Il faut toujours une première fois...
- Ben voyons, j'men doutais ! C'était inévitable que tu me la sortes.
- De quoi tu parles, p'tit coquin ?
- De cette vanne !

Je vous fais la scène. Deux amoureux stupides en train de se taquiner, avec une basse qui brûle dans la main d'un des deux, le tout sur une scène remplie par des gens figés comme des statues de cire.

Un bruit tonitruant nous a ramenés à la réalité. La porte du Krakatoa était ouverte.

Sa main trouva la mienne et on est descendus de la scène. En traversant la salle pour atteindre la porte, j'ai été pris d'un sentiment étrange. Comme si on traversait un labyrinthe d'illusions.
Et quand les illusions seraient dissipées, il ne resterait plus que la vérité.

- Hé...
- Quoi ?
- Regarde !

Dehors, il neigeait. Et il y avait aussi d'énormes monstres qui sautaient partout. Une posture simiesque, un visage allongé, des yeux perçants et de gros bras musclés terminés par des griffes.

- Ils sont bizarres, les singes, ici...
- Ouais... tu l'as dit.

J'ai lâché la main de Solenne, pris ma basse enflammée à deux mains et senti le feu gagner tout mon corps.

- Wah. C'est chaud.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Ben parce qu'ils sont trop nombreux.
- Ils nous ont vus, là ?
- Je sais pas... On dirait qu'si...
- Ca craint le feu, tu crois ?
- Chais pas, c'est l'occasion d'essayer, non ?

Le nom de ma basse brûlait dans son dos. Je me suis mis en garde comme j'ai pu et j'ai balancé de grands taquets dans les bestioles qui s'approchaient. Suivant comment je tapais, les flammes faisaient de grands cercles autour de moi, ou sillonnaient le sol recouvert par la neige.

- Hé, mais c'est mortel, ça !

J'en avais déjà tué deux, et j'étais en train d'en calmer un troisième. Quand je sentais que d'autres s'approchaient, je faisais tournoyer ma basse autour de moi, et le feu qui s'en dégageait repoussaient les singes qui reculaient en hurlant d'un air menaçant. Je n'avais pas peur. Le fait que j'étais capable de faire du feu tout seul y était sans doute pour beaucoup.


J'ai balancé deux coups de toutes mes forces dans la tronche d'un des babouins maousse costauds pour le finir. Il avait sûrement fait de la pub pour Omo quand il était plus jeune.

Je me suis retrourné vers Solenne.

Elle avait disparu.

Merde.

Et il y avait un énorme miasme noir à la place.

Re-merde.

Les monstres se sont calmés. Une étrange musique emplit la rue. J'aurais pas été plus étonné si Solenne était revenue en tenant un canard en laisse.

Le feu se calma, puis s'éteint, et les monstres se retirèrent, plus ou moins doucement, comme s'ils étaient dirigés par la musique. J'ai mis ma basse sur mon dos, bien serré la sangle pour pouvoir me déplacer facilement, et je me suis approché du miasme.

Et j'ai atterri dans un magasin de musique.






 

Vendredi 13 juin 2008 à 17:37

Enfin, dans un magasin de musique...

J'étais dans le débarras, mais c'était une pièce que je connaissais bien. Me demandez pas pourquoi ni comment, c'est pas vos affaires.
D'ailleurs, tant qu'on parle d'affaires, je portais des DVS, un vieux pantalon assez large et un t-shirt orange avec une chemise noire par-dessus.

La moitié de ces fringues s'étaient mariées avec la poubelle l'année dernière.

Premier choc.

Faudra qu'on m'explique...



J'ai entendu une voix qui me semblait être celle du grand type de tout à l'heure. Je ne savais pas d'où elle venait.

"Porte de réserve... Ca sonne bien, non ?"

J'ai éteint la lumière de la réserve et je suis sorti dans le magasin.

- Missieu señor Ledo, ji vous ai priparé votre chitarra bassa !

Gaspard s'était occupé de l'accueil, et de ma basse en prime. Je connais personne d'autre qui ait autant la classe en mélangeant les accents comme ça.

- Alors, je t'ai redressé l'manche, si je puis me permettre, et puis je l'ai huilé aussi. Ah oui, j'ai viré tes anciennes cordes, elles étaient complètement oxydées par endroits et je lui ai mis des GHS, elles sont pas mal, tu verras.

Ses blagues m'avaient manqué.

- Tu veux la tester ? reprit-il en me la tendant d'un air aguicheur (si si, c'est possible... Allez chez Prima cordes si vous me croyez pas.)

- Euh, ouais, bien sûr...

Où suis-je encore tombé ? Qu'est-ce qui s'est réellement passé quand on est sortis du Krakatoa ? Où étaient passés Pierrot, Aurélien et les autres ? Kéké et Kepa avaient-ils disparu eux aussi ?

Un sifflement strident me tira de ma séance de masturbation mentale. Merde, mon téléphone... Je l'ai sorti de ma poche pour l'éteindre.

Deuxième choc.

C'était le portable que j'avais deux ans auparavant. J'ai voyagé dans le temps ? Ce miasme... c'était ça qui m'avait amené ici ?


- Hé, chef, t'es sûr que ça va ?
- Ouais, ouais... excuse, c'est la fatigue... putains de partiels...
- Ah ouais, mais c'est un passage obligé avant de pouvoir s'éclater, tu sais !
- Bien sûr, ouais...
- Allez, laisse pas s'échapper le moment présent !
- T'as raison ! J'peux la mettre sur le Orange ?
- Bien sûr, fais comme chez moi !
- Cool, merci...
- T'inquiète, mon n'veu !

Gaspard m'a fait un clin d'oeil avant de retourner à la caisse.


La boîte à rythmes du magasin se mettait en marche progressivement. Les pas des clients, la pulsation de mon coeur, Gaspard qui tapait distraitement sur ses jambes ou sur le rebord du bureau, les voix des gens... tout cela s'imbriquait pour constituer une structure rythmique aussi imprévisible qu'implacable, qui avait le don de me vider l'esprit de toutes les pensées qui m'accaparaient.

De la musique avant toute chose, pour te vider de tes obsessions.


J'ai regardé le dos de ma basse avant de commencer à jouer. Pas la moindre inscription dessus. Pas d'autocollant, rien. De toute façon y'en a jamais eu.

Chez Prima, le côté où on teste les guitares et celui où on teste les basses sont séparés par un gigantesque mur d'amplis, agencés de façon à ce qu'on puisse jouer ensemble et s'entendre sans se voir.

Calé sur le rythme du magasin, je commençai a jouer, vidant mon esprit au gré des notes que ma basse m'inspirait.

Un arpège, en l'occurence. Les micros en position haute, ça rend vachement bien.


[Oui, je sais jamais si on dit un ou une arpège. On m'a fait remarquer très justement y'a pas longtemps qu'un arpège c'est masculin. Je m'en souviendrai jusqu'à la prochaine fois où j'oublierai. Cette phrase est très nulle mais très vraie. Vous êtes pas obligé de la lire. Mais c'est mieux si vous le faites quand même.]


- Hé, arrête de jouer comme un pédé ! T'as encore trop écouté Tool, toi ! me lança Gaspard depuis la caisse.


Le taquin. Bizarrement, ça me déconcentrait pas plus que ça.

Le guitariste qui jouait de l'autre côté du mur (d'amplis) sortit un autre arpège qui rendait magnifiquement bien sur le mien. Je l'ignorais, mais une connexion s'est faite à ce moment-là, et elle ne s'est toujours pas coupée depuis.
Une note résonna, longue, avec un trémolo d'enfer maîtrisé à l'extrême, faisant frissonner chaque centimètre carré de mon corps avant de s'évanouir, me laissant seul avec mon arpège improvisé.

Une variation, j'ai du changer de gamme, ou de mode, ou de je sais pas quoi. Toujours est-il que la guitare ne tarda pas à reprendre sa place à travers des bends d'une puissance et d'une justesse rares. Le gratteux doit avoir un sacré niveau. En plus d'un feeling de ouf.

Mon arpège se change en accords de puissance et les bends en rythmique imparable. Au bout d'un moment, je pars en clave, après un petit break de rigueur, il me suit en lâchant un solo dantesque, qui vient mourir sur l'arpège de début revenu me taquiner les doigts, puis les oreilles, avant de suivre le solo dans le silence.

Une alchimie parfaite, comme j'en avais jamais vécue auparavant. Une seconde de magie au coeur d'une minute ordinaire. Une heure d'orgasme au sein d'un jour comme les autres.

Ca c'était pour le troisième choc

J'ai pris ma basse et je me suis dirigé vers l'autre côté des amplis, histoire de remercier le responsable de ce moment unique.

- Tu déchires, mec !

Faudra que je perde cette habitude de parler aux gens sans forcément les avoir en face de moi.

Une belle brune aux yeux d'un vert étincelant se leva de son siège et me regarda d'un air taquin.

- J'ai l'air d'un mec ?

Je l'ai regardée de la tête aux pieds, en m'arrêtant un peu sur le milieu.

- Euh, non...

- Héhé, t'inquiète pas c'est pas grave ! Au fait, t'as un groupe ?

- Euh, non... enfin, je joue dans deux groupes, mais bon...

- Ouais, tu devais dépanner et après t'es resté, c'est ça ?

- Exactement ! Mais bon, je pourrais difficilement jouer avec eux un truc comme on vient de le faire là, quoi...

- Bah j'ai un groupe, moi aussi, et on est à la recherche d'un bassiste. Ca t'intéresse ?

- Ah mais carrément !

- Ecoute, on passe à la caisse et on en parle dehors, ok ?

- Bonne idée, ouais.


Le pragmatisme féminin est la neuvième merveille du monde. J'en suis à peu près sûr.


Je l'ai laissée passer devant moi et j'en ai profiter pour regarder autour (et pas les courbes parfaites de la demoiselle, non non, j'te vois venir. Coquin, va.).

Il me fallait un détail qui me prouve que j'étais dans le passé. Ou pas.
C'était réel, j'en étais sûr.

Déjà, il y avait mes fringues, qui dataient d'un an, et ensuite, mon téléphone, qui avait rendu l'âme (à qui elle appartient) au milieu de ma première année de fac.  J'avais aucune carte sur moi, pas de sac (j'ai horreur d'en porter quand je peux l'éviter), et un peu d'argent (bien obligé pour payer les réparations). Quand à l'intérieur du musicshop, il était désespérément habituel, sans rien qui puisse me permettre de dater précisément la scène.

Quoiqu'il en soit, j'étais au maximum en première année de fac. Peut-être encore au lycée.

J'ai mis mon cerveau sur off et j'ai suivi la fille le plus naturellement possible. Elle était en train de payer.

- Et voilà, miss ! Merci à toi et bonne journée !

- Merci, toi aussi, au revoir !

Je suis arrivé à la caisse au moment où elle sortait du magasin.

- J't'attends dehors, hein !

Elle m'adressa un grand sourire en fermant la porte.

- Hé ben, tu te fais pas chier, chef ! me souffla Gaspard.

- Déconne pas, je la connais même pas !

- On dirait pas, vu comment vous jouez ensemble...

- Bon, je te dois combien ?

- 30 €, comme d'hab' !

J'ai fouillé dans ma poche, trouvé la somme, payé, rangé ma basse, et remarqué que j'avais encore ma vieille housse, celle que j'avais gardée jusqu'à ce qu'on fasse le film Rouge. Voilà pour le quatrième choc

- Ok, merci Gaspard. Bonne soirée, bye !

- Merci, pareillement !

Avant que je parte, il me glissa un "Allez, file, elle t'attend !" avec un regard éloquent. Ben voyons...

- Blablabla... Tu dis n'importe quoi !

- Héhé ! Tu verras bien !

*slam*

Une fois dehors, j'ai eu une drôle de sensation de déjà-vu. Qui est cette fille ?

- Au fait, on s'est pas présentés !

- Ah oui, c'est vrai.

- Je m'appelle Solenne, enchantée !

Cinquième choc. Rendez une partie de sa mémoire à un amnésique et vous aurez une idée assez précise de l'état dans lequel j'étais.

- Dan. Tout le plaisir est pour moi.

- Héééé... Tu serais pas en fac d'anglais, par hasard ?

- Heu si.

- Tu connais pas un mec qui s'appelle Sébastien Andero ?

- Si, mais ça fait longtemps ! Je le connais depuis le lycée.

- Haha, il m'a parlé de toi. Tu crois aux coïncidences ?

- Non, je suis sûr que ça existe pas. C'est juste un moyen comme un autre de fuir les explications. Surtout quand ça nous coûte de les chercher.

- Pas bête... mais peut-être que le sens a été un peu exagéré au fil du temps, non ?

- Ouais, sûrement.

- Bon, je dois y aller. Je suis désolée, mais je vais devoir écourter cette discussion, à moins que tu veuilles à tout prix me raccompagner...

- Pourquoi pas ? Il est tôt et j'ai rien à faire.

- Héhé, cool ! En plus y'a personne à la maison, ce soir, tu pourras rester pour faire un boeuf, si tu veux !

- Heeeeeuuu... t'es sûre que ça dérange pas ?

- Certaine ! Et puis si on est amenés à jouer ensemble, autant qu'on apprenne à se connaître !

[Elle pense humainement ou musicalement ?]

- Hahaha... c'est vrai. Je te paierai bien un coup à boire avant de partir, mais j'ai plus de thunes, là en fait.

- C'est pas grave, t'inquiète pas !

- Tu rentres comment ?

- En bus. Il me dépose pas loin de chez moi, y'en a pour cinq minutes.

J'ai eu une deuxième sensation de déjà-vu. C'est vraiment étrange, ce truc. Je me suis senti seul... est-ce que j'étais en train de vivre un souvenir ?

J'ai suivi Solenne jusqu'a l'arrêt en discutant de choses et d'autres.

J'étais incapable de me rappeller de ce qui allait se passer après. Je savais que j'avais déjà vécu tout ça, mais impossible de me rappeller de la suite. Je me sentais comme un pantin sur des rails. Comme dans un train fantôme où le paysage glauque serait remplacé par un monochrome du monde réel.
Un monochrome de milliers de couleurs.



Allez, Dannie, débranche ton cerveau et vis le moment présent.



Tout en discutant avec elle, les souvenirs revenaient les uns après les autres. Je me sentais bizarre. A la fois si mal et tellement bien...
On marchait vers l'arrêt, et bizarrement, le bus y est arrivé en même temps que nous. Mon espèce de transe ne se calmait pas, et j'ai à peine remarqué la coïncidence.

Sans trop réfléchir, on s'est posé au milieu du bus, sur des sièges dos à l'espèce d'accordéon qui faisait le lien entre les deux parties du bus.

Des mômes écoutaient de la soupe à fond les bananes. Ca m'énervait autant que je m'en foutais. La chaleur de ma Solenne à mes côtés y était pour beaucoup, je l'avoue. Encore qu'elle n'était pas encore mienne à ce moment-là. Mais est-ce qu'on peut vraiment appartenir à quelqu'un ?

On s'est rapprochés doucement l'un de l'autre, inconsciemment sans doute.
Elle me parlait de la fac, qu'elle trouvait ça marrant que je sois dans la classe de Seb, et qu'elle soit dans la même classe que Pierrot, que j'avais rencontré par hasard au début de l'année.

Coïncidences, Deus Ex, ce genre de trucs... Là, c'était trop léger pour parler de Deus Ex. Et si c'était simplement le karma ou un truc comme ça ?


La porte du bus s'est ouverte et trois Africaines sont entrées. Un grand sourire plus blanc que la chemise du chauffeur, et 140 kilos de bonne humeur complètement assumées.
Elles se sont mises dans un coin, à papoter en riant, à côté d'une gamine de 16 ans qui les regarda de travers.

"La pauvre... déjà qu'elle doit avoir du mal avec ses deux kilos en trop..." me glissa une voix douce à l'oreille.
"C'est du masochisme..."
"Ouais, on dirait qu'elle se force à les regarder"
"Et à penser qu'elle devrait plutôt être fière d'elle"
"Ah, les p'tites bobos, elles sont marrantes..."


J'ai senti une espèce de chaleur entre Solenne et moi. Le genre de chaleur qui n'a rien à voir avec la température extérieure.
Mais cette chaleur s'est bientôt étendue à tout mon corps, jusqu'a me donner l'impression de s'étirer de tous les côtés.

Je me sentais bien...


Un gros fracas se fit entendre, suivi d'un bruit que j'aurais cru sorti de la gorge du chanteur de Cradle Of Filth.
Une gamine dans le fond venait de faire un malaise. Plusieurs de ses copines se sont écartées, dégoûtées, alors que les garçons la regardaient, livides.
L'un d'eux se leva et courut aussi vite qu'il put vers le chauffeur.

- Hé, arrêtez le bus ! Arrêtez le bus ! Elle est malade, faut appeller une ambulance !

- Mais je peux pas m'arrêter, là, moi ! T'es marrant !



Solenne se tourna vers moi.

"T'as senti ?"

(Une voix douce comme de la soie. Je fonds...)

"Ouais... c'était quoi ?"
"J'en sais rien... C'est nous qui avons fait ça ?"
"J'espère pas..."


La fille était tombée dans les pommes. Le bus s'est arrêté dès qu'il a pu et l'ambulance n'a pas tardé. En attendant, je réconfortais Solenne comme je pouvais, tout en me posant des tas de questions.

J'étais dans le passé, ou alors dans mon souvenir. Ou bien les deux. J'avais perdu pas mal de mes souvenirs postérieurs, et certains d'entre eux me revenaient au fur et à mesure.

La rue.
Les monstres bizarres en forme de singes.
Le Krakatoa.
La basse et le feu.
Solenne et le miasme.

C'était un souvenir, alors ? Mais pourquoi j'étais en train de le revivre, alors ? Il s'était passé quelque chose de particulier ce jour-là ou quoi ?

Ben oui. La rencontre avec Solenne, la drôle de sensation partagée dans le bus, la gamine qui vomit...

C'est quoi ce délire ?


- Bon, allez, viens, on va rentrer à pied.

On a pris nos instruments, puis la porte arrière du bus.
La gamine semblait dormir. Elle était un peu pâle, mais bon...

- J'espère que c'est pas grave...
- T'inquiète pas, elle va s'en remettre. Enfin j'espère.

On marchait dans une rue qui m'était aussi inconnue que familière. C'était une sensation assez étrange. Le soleil se couchait, comme s'il priait lourdement, en éclairant Solenne d'une lumière blanche. C'était vraiment magnifique.

- Elle devait juste être un peu bourrée, reprit-elle. Elle a pris l'apéro un peu tôt, et avec le soleil...
- T'as sûrement raison.
- C'est à gauche, là.
- T'es sûre que ça dérange pas ?
- Certaine, je t'ai dit !

Jusque-là, tout avait un goût de déjà-vu.
Ca s'est intensifié quand elle a ouvert la porte. Je me suis retrouvé dans un endroit que je connaissais par coeur avant même d'y avoir mis les pieds.

Conclusion : Je suis en train de revivre un souvenir.

D'un seul coup, tout s'est éclairé dans mon esprit : il s'est passé ce jour-là quelque chose en rapport avec ce qui se passe dans le présent.

Le délire dans le bus ? Le feeling de malade dans le magasin de musique ?

Tout en réfléchissant, je la suivis dans sa chambre et posai mon instrument à côté du sien, sur son lit.

- Hé, t'es sûr que ça va ? Tu fais une drôle de tête...
- Heu...  ça va aller...
- T'es sûr ? La salle de bains est là, si tu veux.
- Ok, merci.

J'ai suivi son conseil et la direction qu'elle me montrait pour aller m'asperger le visage d'eau fraîche.
J'ai regardé mon reflet dans le miroir.
C'est pas que je me trouve particulièrement beau ou quoi, d'ailleurs ce serait plutôt le contraire, mais je n'ai pas réussi à détacher mon regard de ce reflet.
Des mots me trituraient la gorge. Ils devaient sortir, ils voulaient sortir, comme une espèce de message de mon inconscient.

La vache, elle va vraiment me prendre pour un fou si elle entend ça...

"Elle te cache quelque chose, Dannie..."

Le reflet était instable, brouillé, au point que je ne me reconnaissais plus vraiment.


" Tes souvenirs... ne cherche pas à les retrouver tout de suite, Dannie. La clé est là, mais elle est ailleurs aussi à la fois."

[C'est complètement incohérent, ton truc ! D'où je sors des trucs pareils ?]


"La réalité est en marche."


[Ouais, d'accord, si tu veux mon pote... Mais là j'comprends pas trop. Voire pas du tout, en fait.]

Le reflet s'est déformé jusqu'à prendre l'apparence du grand type dont j'avais entendu la voix en arrivant dans la réserve.

D'un seul coup, j'ai eu peur. J'ai ressenti la même chaleur que dans le bus. La peur grandissait en moi, me dépassait, me toisait. Elle était là, partout dans cette salle de bains dans laquelle j'aurai pourtant de bons moments quelques mois plus tard. Le miroir ne me renvoyait plus mon reflet, le lavabo se moquait de moi, le sol tournait et glissait sous mes pieds.

La porte s'ouvrit largement.

- Ben dis donc, t'en mets du temps ! T'es pire qu'une...

C'était Solenne. Le seul repère dans ce bordel tourbillonnant venait d'ouvrir la porte. Je voyais trouble, mais je sentais que c'était elle. En même temps, il n'y avait que nous deux dans la maison.

- ...meuf...

Elle posa ses mains sur mes épaules et tout commença doucement à rentrer dans l'ordre.

- Hé ben, on dirait que toi aussi, t'as pris l'apéro avant de venir !
- J'suis désolé. Je sais pas ce qui m'est arrivé.


Un rush de souvenirs en plein dans la tête.

- Héééééé !!

J'ai entendu sa voix une dernière fois et je me suis retrouvé dans la grande rue vide du Krakatoa. Ma tête bourdonnait.

Une musique commença a se faire entendre. Au début, ce n'étaient que des grésillements, mais je reconnus bien vite l'intro de Fireal. Il neigeait toujours.

Je me suis rendu compte que j'avais toujours ma basse sur le dos et que j'étais face à un bar. La musique s'est mise a péter quand je suis rentré dedans.





Jeudi 7 août 2008 à 15:21

Dans lequel on affronte ce qu'on fuyait avant, dans lequel on comprend, un peu, la logique de ce monde de dingues.
Où il est question de temps, de choix, de libertés, de ville fantôme et de clins d'oeil rock'n'roll.
Sans lequel on ne saurait pas ce qui s'est passé entre le chapitre 13 et le chapitre 15.
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La bar.
Fireal qui résonne de partout.
Ma basse sur mon dos.
Une ambiance bizarre et pesante.
Moi.


Le bar était vide. C'était un bar comme les autres, petit, étroit, mais qui avait quelque chose de particulier. Une espèce d'aura fantômatique. Sur une table, un demi-verre de bière et une cigarette m'attendaient.

J'ai posé ma basse à côté de moi et me suis assis en jetant un coup d'oeil par la fenêtre. Il neigeait toujours dehors.

Bizarrement, je n'avais pas peur. J'étais seul, dans ce bar étrange, mais je n'avais pas peur. Je sentais toujours cette espèce de chaleur brûler en moi.

Comment en étais-je arriver à brûler tout seul ? A maîtriser le feu au point de me battre contre des monstres qui auraient dû me pétrifier de peur ?

Et, par-dessus ça, comment se fait-il que Solenne n'ait pas eu peur, elle ? Elle n'a même pas été étonnée de me voir faire ces trucs...

J'ai pris une rasade de bière et coincé la cigarette entre mes lèvres.

La chaleur s'est étendue jusqu'à mon bras, et une langue de feu jallit de mes doigts.

Wah. Petit coup de flippe. Le reste de la bière est parti désaltérer le sol. Dommage.

J'ai passé un bon quart d'heure à essayer de mâitriser mon "pouvoir". Faire de longues langues de feu ou de petites flammèches à l'envie. Façonner mes flammes selon mes désirs.

C'est pas facile.

J'ai fait brûler mon index pour pouvoir allumer ma cigarette et j'ai posé les yeux sur ma basse.
Elle brillait.

Derrière son corps, sous les lettres rouges qui formaient le mot "LENNE", un "E" était apparu.

Quand je m'en rendis compte, un K et un Y apparurent de part et d'autre du E, mais dans un style graphique différent.

Lenne Key. Lenne est la clé ? Ma basse est la clé ? De quelle porte ?



Fist a pris la suite de Fireal dans la catégorie "musique d'ambiance de la scène que je ne comprends pas".

Je me suis rappellé la voix devant le miroir. Ce miroir qui semblait parler à travers moi.

"Elle te cache quelque chose..."

C'était à propos de Solenne ?

Moi, je n'avais pas peur face à ces monstres, parce que j'avais cette espèce de pouvoir, mais elle ? Pourquoi elle a pas flippé, ou je sais pas moi !

Merde.

Le sentiment d'être passé à côté de beaucoup de choses très importantes m'envahit. C'était sacrément désagréable.

J'ai attrapé ma basse et j'ai fait le tour du bar. Rien d'extraordinaire.
Un comptoir, sans piliers, une rangée de tables, avec des chaises tout autour, et un escalier qui menait droit sur un mur.

C'est pas banal, ça.

L'escalier était branlant. J'avais peur qu'il s'effondre, mais bon, il était si petit que je risquais pas de me casser un ongle.

Le mur était étrangement doux. Par endroits, il semblait avoir un léger relief.

Ma main s'enflamma toute seule et les flammes coururent sur le mur, formant un "Stairway to Heaven" en lettres de feu.

La grande classe.


Du côté de la musique qui joue les fonds sonores, Fist s'était évanoui dans le vide pour laisser la place à une ritournelle obsédante, un truc que je n'avais jamais entendu nulle part. Si beau et si triste que je me disais qu'une mélodie pareille devait être l'oeuvre d'un dieu.

Et si ma métaphore se justifie, ça me donnera au moins une preuve de l'existence d'un dieu.

Le mur s'ouvrit en deux sur une salle rouge, avec un fauteuil noir au milieu, tourné dos à moi.
J'aurais juré que ce genre d'ambiance ne se trouvait que chez Lynch.

Je parcourais la pièce des yeux et quand je les reposai sur le fauteuil, il était maintenant d'un rouge très pur, très vif, au point que les murs de la pièce paraissaient presque ternes.

J'ai été pris d'une sensation de déjà-vu quand le fauteuil se retourna.

Il était dessus.

Lui.

Le type qui était entré je ne sais comment chez moi, le type qui me croisait dans la rue sous la forme d'un petit Noir, le type qui se transformait en ce qu'il voulait, le type qui m'avait parlé des strates et de la fin du monde, ce type, grand, avec son chapeau sur la tête.

Ce type stylé qui aurait plus sa place dans un manga ou un film pour ados.

- Salut.

- Je sais que je me répète à chaque fois qu'on se voit, mais... qu'est-ce qui se passe ?

- Bon, je te l'explique une dernière fois. Le monde tel que tu l'as connu, c'est terminé, fini, over. Tu pourras plus jamais passer des soirées agréables sur Internet, genre "main dans l'pantalon". Si c'est pas malheureux...

- C'est pas de ça que je parle, crétin.


[Oui, j'insulte un type qui fait bien deux têtes de plus que moi, et j'ai même pas peur. Je m'auto-étonne et je me comprends pas...]


- Alors de quoi tu parles ?

[Et il s'énerve même pas, le bougre... Mais qui c'est, ce type ?! ]

- Des espèces de monstres, dehors ! Des singes énormes ! Et puis... de ça !


Je me suis mis le feu pour voir sa réaction.


- Oh, intéressant... Les humains ont des pouvoirs... Voyez-vous ça !

- J'suis super content pour toi. Mais moi, tu vois, j'veux retrouver les autres et foutre le camp d'ici. J'en ai rien à battre de pouvoir faire des feux de joie sans allumettes, tout ce que je veux c'est me réveiller. Parce que c'est qu'un rêve, tout ça, et tu le sais aussi bien que moi.

- Si tu es vraiment persuadé que c'est un rêve, c'est que tu es très con. Et en même temps, tenir une réflexion pareille dans un rêve, c'est fort.

[C'est même très fort]

- Tu rêves pas, reprit-il, et tu le sais. Alors de deux choses l'une : Soit tu pars en courant et tu brûles tout sur ton passage avant de mourir d'épuisement, soit tu te calmes et tu m'écoutes.

[Réponse B Jean-Pierre. Ma respiration se calma lentement et le feu rentra à la maison.]


- Okaay, alooors... On va la faire simple. Le monde réel servait de support à toutes nos strates. Maintenant que ce monde n'existe plus, il retourne à son origine. Ici. Ce qui explique que ces deux mondes se ressemblent.

- Et l'espèce de souvenir ? C'était quoi ?

- La même chose. Mais n'oublie pas que ce qui se passe ici n'est pas si différent de ce qui se passait avant, dans le monde réel. D'ailleurs, c'est quoi cette expression, "monde réel" ? Ici, c'est tout aussi réel...

- Et le feu ? Y'a une explication ?

- Sûrement. Mais moi, je l'ai pas.

- Alors j'fais quoi, hein ? Monsieur Je-sais-tout-et-j'manipule-tout-l'monde? T'en as une idée ?

- Commence déjà par sortir d'ici. Et puis va chercher tes potes.


Il avait dit ça le plus calmement du monde.


- Enfin, je dis ça comme ça. Après tu fais ce que tu veux.


Il se fout de ma gueule, ce con.


- Et après, on fait quoi ? On emménage ici ? C'est tout vide, tu vois pas ?! Y'a rien ici.

- Pas vraiment. En fait, quelque chose a merdé par ici.

- D'où les monstres ?

- Voilà.

- Alors d'où ils viennent ?

- Je peux pas le dire.

- Si ! Dis-le moi !

- Non.

Il s'est levé et m'a toisé. La chaleur s'est à nouveau répandue en moi et les flammes sont revenues me taquiner les bras.

- Ecoute, mon pote. Y'a plein de choses à comprendre, ici. Alors prenez votre temps, mais faites-le.

- De qui tu parles ? Et qu'est-ce qu'on doit faire ? Pourquoi nous ?

- Tu poses trop de questions, Dannie.

Sans prévenir, il a sorti un bâton allongé et m'a frappé super fort.

- Hé, mais t'es taré ! Espèce de psycho, va !

- Siko, hein... C'est pas mal, comme nom.

Il m'a frappé à nouveau, en plein dans les côtes. J'ai entendu un bruit sourd en même temps que le feu gagnait tout mon corps.

- J'ai dit "psycho", espèce d'enflure !

Je me suis jeté sur lui et je lui ai carré un coup de basse dans la face. Une énorme traînée de feu a déchiré la pièce en deux.

- Je sais, mais "Siko", ça me plaît bien. J'ai pas de prénom, je te l'ai déjà dit.

Il n'avait pas accusé le coup plus que ça.

- Pourquoi tu m'as appelé "Dannie" ? Comment tu me connais ?

Pour toute réponse, il m'a remis un coup de bâton que j'ai plus ou moins paré avec ma basse. Bizarre qu'elle s'abîme pas...

On a commencé à se battre. Je ne saurais pas dire si je me battais plus contre lui ou contre les questions qui se posaient par dizaines, avec la délicatesse d'un éléphant bourré dans un champ de cannabis en feu.

Au bout d'un moment, mon souffle se raccourcit, et ma basse me semblait plus lourde. Siko, puisque c'est comme ça qu'il voulait qu'on l'appelle, Siko me balança un dernier coup de bâton qui me désarma et me cloua au mur, près des flammes qui commençaient à s'éteindre.

- Quand je suis venu te voir, chez toi, tu t'es pas demandé comment je te connaissais ? Comment je connaissais Solenne, aussi ? T'as pas percuté ?

Il avait la voix calme, il parlait d'un ton égal, cependant j'avais jamais ressenti autant de colère, de haine, de déception, de frustration dans une voix.

Le feu se calmait, mais ne s'éteignait pas pour autant.
J'ai rassemblé mes dernières forces pour le repousser et lui mettre une droite brûlante dans la mâchoire.

Son chapeau tomba par terre.


- Dan... si tu m'écoutes pas maintenant, tu vas m'obliger à être violent.


[C'est maintenant qu'il le dit ? Il y va pas à fond ou quoi ?]


- Ecouter quoi ? Tu t'amuses a parler par énigmes depuis le début, et tu veux que je t'écoute ? T'es complètement fou !

- Je ne peux pas te donner les réponses. Tout simplement parce que c'est à toi de les trouver. Y'a une raison qui fait que vous êtes ici. Y'a une raison qui fait que maintenant, les humains ont des pouvoirs. Y'a une raison qui fait...


Il toussa du sang et se courba légèrement.


- Y'a une raison qui fait que tout ça s'est passé comme ça et pas autrement. De toute façon ça serait arrivé d'une manière ou d'une autre.

Il sortit une flasque de sa poche et la but.

- Ecoute, Dannie. Quand tu vas sortir, y'aura sur une table des flasques comme ça. Prends-les avec toi.

Bizarrement, j'avais plus du tout envie de le tuer. C'est le feu qui fait ça ?

- Ok.

- Ensuite, tu vas monter l'escalier, et prendre la porte brillante. Enfin normalement y'en aura une brillante.

- Hé, c'est pas possible, on est dans la seule pièce...

- Discute pas ! J'ai plein d'autres trucs à faire, moi. Depuis ce bar, tu peux atteindre la plupart des strates. Sers-toi des portes, Dannie. Retrouve les autres et parle à Solenne. Elle sait beaucoup de choses.

Je pouvais plus parler. Comme dans le souvenir, un rush de mots me traversa la tête. J'arrivais même pas à penser, les idées venaient d'elles-mêmes et s'imposaient à moi. Comme si une partie inconsciente de mon être comprenait tout mais que tout m'échappait à moi, pauvre petit être conscient.

"Et il reste pédant, ayant la volonté, sans même être conscient qu'il n'a pas la raison"

" Et ils vécurent heureux .... sans même être conscient qu'il n'a pas la raison"

" Et il reste... heureux, et eurent beaucoup d'enfants"


J'avais une tornade dans la tête.
Une foutue tornade qui me traversait le cerveau.

Je ne voyais plus rien.

J'ai entendu une dernière fois la voix de Siko :

- La peur prend l'apparence qu'on lui donne...

J'ai fermé les yeux et enlevé mes lunettes qui me brûlaient le nez.

Ne plus penser avant de l'avoir retrouvée.
Ne pas me rallumer avant d'être dans ses bras.


Quand le mal de tête s'est dissipé, j'étais de nouveau dans le bar. Quelque chose avait changé, il paraissait plus accueillant.


Sa voix résonnait encore, comme si quelqu'un l'avait repiquée avec un delay de ouf.

- La peur prend l'apparence qu'on lui donne...
- ...rence qu'on lui donne...
- qu'on lui donne...
- qu'on lui donne...
- lui donne...
- lui donne...
- donne-lui donne...

Ma tête me faisait mal, et j'avais pas envie qu'elle se remette à bourdonner.
J'ai attrapé ma basse a deux mains et j'ai fracassé la table la plus proche.
Réflexe primaire ?

La voix s'est tue, en finissant cependant sur un drôle de bruit, le genre de bruit que fait un delay quand tu le passes à la machine à laver.


Un des pieds de la table brisée semblait pointer vers une autre table. Il y avait des flasques posées dessus. Je les ai prises et me suis dirigé vers l'escalier, surplombé d'une pancarte en or marquée "Heaven".


A l'étage, une rangée de porte numérotées m'attendaient.
La numéro 8 brillait d'une lumière incroyablement pure. Je me sentais diablement bien. J'ai ouvert la porte en pensant à Solenne et en taisant toutes les questions qui s'incrustaient au fond de moi.

De toute façon, si j'avais les réponses, elles me hanteraient encore plus.


La lumière était douce et chaude. J'ai souri en passant de l'autre côté. Je sentais qu'il n'y avait pas à avoir peur.


Encore que.


J'étais sur le campus, dans la brume.

Entouré par les mêmes singes que tout à l'heure.

J'ai sorti ma basse, comme un samouraï, mais en moins classe.

- Mademoiselle, il semble qu'on soit amenés à se côtoyer dans des circonstances plus qu'imprévues... Si on s'appellait par nos prénoms ?

Je suis un gros nul, mais je garde quand même un peu d'humour. Tout n'est pas perdu.











Samedi 29 novembre 2008 à 23:58

Dans lequel il n'y a pas encore de point de vue extérieur, mais le monsieur y travaille.
Dans lequel les révélations se cachent entre les mots, pour celui ou celle qui aime chercher et réfléchir quand vient la nuit.
Avec lequel je mériterais de me faire taper sur les doigts pour tous les clins d'oeil. Après on va dire que j'ai aucune originalité, ce qui sera absolument exact.

En attendant le retour ancré et définitif de ma muse, je vous laisse apprécier (si vous y arrivez) ce chapitre.

______________________________________________________________________________________________________

J'ai toujours rêvé d'une vie normale à base de câlins le matin et de steack-frites au restau U à midi, d'opérations refaisage de monde au bar le soir et de fausses prises de têtes pour savoir si le Mc Do vaut mieux qu'un kebab (enfin lequel des deux empoisonne le moins, c'est vrai, ça, c'est une question importante...).

J'ai toujours rêvé d'une vie à base de révisions pour se mettre la pression, pression qui nous fera avoir nos exams, exams qui nous trouveront un boulot, boulot qui nous permettra de nourrir nos enfants, enfants à qui on repassera nos gènes et notre flambeau, qu'on s'efforcera d'aimer du mieux qu'on peut, même si c'est pas toujours facile d'aimer, hein ?

Quand elle est entrée en scène, une partie de moi continuait d'espérer que cette «vie normale» rentrerait en scène un jour.


C'est mon côté innocent.


Je me suis jamais plus senti seul depuis. Plus jamais. J'en avais même oublié pourquoi je voyais son père depuis tout ce temps.

Drôle de coïncidence, d'ailleurs. Mon psy fait aussi «père de la fille de mes rêves». Il fait pas aussi dépôt de pain le dimanche, desfois ?


Y'a pas de hasard.

Mon esprit s'éclaircit. Doc m'a appellé la veille de la fin du monde. Il a dit des trucs bizarres. «Vous serez là» je crois, ou quelque chose dans ce goût-là. Il savait que ça allait se passer comme ça ? Non, peut-être pas, en tous cas il savait que quelque chose se préparait. Ou il le sentait. A moins qu'il m'ait menti et qu'il soit au courant d'absolument tout. Peut-être même que c'est lui qui a tout orchestré ?


Non, là, je psychote trop.


Quoiqu'il en soit, ça expliquerait que Solenne ait pas été impressionnée par les monstres.
Ni par le fait que j'étais parfaitement capable d'éclater ces mastards par rangées de douze, moi qui n'ai jamais été très fort.

C'est vrai, quoi, au collège, il fallait être barraqué comme Vent d'âme pour plaire aux filles, au lycée, il a fallu les impressionner et moi... je brûle à volonté et ça impressionne même pas ma copine. Quelqu'un m'explique ?


Siko avait raison, elle me cache quelque chose...


Il a aussi parlé des humains et de leurs pouvoirs... et puis merde. Je m'étais promis de pas réfléchir avant de l'avoir retrouvée.


 - Allez, viens mademoiselle.

Ouais, je suis taré, je débloque complètement, je parle à ma basse comme si elle pouvait me comprendre. Mais si tout ça n'est qu'un trip dirigé par un mec un peu fou qu'on peut appeler Dieu si ça nous chante, ben alors je trouve ça plutôt logique de discuter avec mon instrument.

Mais c'est tellement réel.


Alors que sont devenus Aurélien, Seb, Pierrot et Kepa ? Où sont-ils ?
Et les autres ?


Merde. Allez, je pense plus, je fonce.


Le campus est embrumé comme un lendemain de cuite. Ou comme l'esprit d'un môme de quatorze ans qui s'apprête à parler à la fille qu'il aime.

Ouais, ça revient à peu près au même. On y voit rien, ici... Heureusement, j'ai toujours mon super-briquet sur moi ! Ouais !

Bon, je reconnais que le fait de pouvoir me déguiser en Torche-man ça m'arrange bien, là...



C'est désert de chez désert. Un peu comme un lendemain de cuite et tout ça.
La musique étrange et magnifique que j'ai déjà entendue s'élève progressivement dans l'atmosphère. On se croirait presque dans Silent Hill.


Silent Hill, hein ?


Hahahaha... J'avais piqué le 3 à Kepa, et au moment de lui rendre, Solenne s'y était intéressée. De près. Du coup j'ai pas pu lui rendre le jeu avant qu'elle l'ait fini deux fois.


Hahahaha... ouais, en fait j'aurais presque pu l'avoir, ma vie normale. Hahaha...


Je me suis mis à rire en regardant le ciel brumeux.


C'était beau... une de ces beautés calmes et sans couleur.


A force d'errer, mes pas m'ont mené devant une cafétéria. Avec un peu de chance, y'aura de quoi m'éclaircir les idées, là-dedans.


Je suis entré. La porte grinçait légèrement. A part le contour de la porte qui était rouge, tout le reste de l'édifice était monochromatique. Du gris, moche et terne.


C'est drôle. Cet endroit si familier me paraît maintenant complètement étranger.


Je me suis baladé du côté du self. Pas le moindre steak dans les bacs. Pas de plateaux, de couverts ni même d'assiettes.


Bon, là, c'est désert, mais le côté snack est peut-être un peu mieux foutu ?


Hum... Pas grand-chose. La machine à café à l'air de fonctionner. Et il reste une chocolatine côté viennoiserie.


Je me demande quelle heure il est. Machinalement, j'ai sorti mon portable. Tiens, j'ai un message. C'est Solenne. «Pardonne-moi. Je t'aime.»


Moi aussi, mais pourquoi pardon ?


Mouais. On verra ça en temps utile.

Je vais finir par acheter des patchs pour arrêter de me prendre la tête.


La chocolatine me remplit le ventre et le café me réchauffe le coeur. Y'a toujours une solution à tout... Je me suis dirigé vers une table avec le même pas détaché que dans le monde réel. C'est vrai, ça change pas tant que ça, et en même temps, c'est radicalement différent.


Mes phrases veulent rien dire et je m'emmêle les pinceaux avec les concordances. Whooo, est-ce que je deviens fou ? Peut-être que tout ça n'est qu'une hallucination consciente ? Peut-être qu'en fait je suis encore au lit avec Solenne et que je fais ce rêve parce qu'on s'est encore envoyés un peu trop haut dans les étoiles... ?


Ouais, si j'me mets à penser ça, c'est que je suis vraiment dingue... définitivement !


J'ai pris une autre gorgée de café en riant. Ouais, c'est franchement cool, si c'est un rêve...

J'ai fermé les yeux pour mieux apprécier le café. D'étranges formes dansaient sur mes paupières, je me sentais pas trop mal.

Quand je les ai rouvertes, mes lunettes étaient pleines de buée. Je les ai retirées pour les nettoyer et là, un truc géant m'a aspiré. Un truc qui n'était pas réel. Ou en tous cas pas physique. Une sensation qui s'imprimait sur mon âme et pas sur mon corps.

J'ai pris peur et remis mes lunettes en vitesse.

Le self était rempli de gens et de bruits. Des tonnes de monde.

Hé, merde ! Ma basse ?! Elle est passée où ? Et depuis quand elle est plus là ? Je suis entré avec, non ? Si ?

Je sais plus.

Merdeeeeeuuuh.


-  Je peux m'asseoir ou t'attends du monde ?
-  Hein ?


Il y avait une fille devant moi, avec un café. Le seul truc qui cloche, c'est qu'elle n'a jamais mis les pieds à cette fac auparavant. Qu'est-ce qu'elle fout là ?

Elle me toisa sans mépris.

-   Si tu préfères, je me casse direct, ça nous évitera à tous les deux une belle prise de tête.
-   Non, attends. 
-   Je suis sûre que tu te souviens même pas de moi, en plus...
-   N'importe quoi !


Sonia, mon amie aux yeux bleus et à la chevelure d'or a 6 mois de plus que moi et un signe particulier : un sale caractère qui fait que je l'apprécie autant qu'elle m'énerve. Cette fille est un peu comme ma soeur. Et ça fait une éternité qu'on s'est pas parlé.

Elle s'est assise sans me quitter des yeux.


-      Hey, frérot, ça fait quand même un bail...


Qu'est-ce que je te disais ?


-     Ouais, c'est vrai, depuis que tu m'as viré de ta vie, ça doit bien faire deux ans. T'as une conception bien personnelle de la famille, toi...

-     Et toi t'es du genre lourd et envahissant quand t'es trop malheureux. T'as une tendance à te détester qui tourne à l'obsession.

-     T'es pas la première à me laisser tomber pour ça, t'inquiète pas. Mais bon, j'en attendais un peu plus d'une soeur, quand même...

-     J'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de bien.


J'ai gardé le silence et je l'ai regardée. Son visage était moins souriant que la dernière fois que je l'avais vue. Elle était moins maquillée aussi. Elle croisa mon regard et ses jambes, puis se gratta.

-    Tu sais ce qui se passe ? me demanda-t-elle.
-    Non. Je sais juste que c'est pas un rêve.
-  Pourquoi y'a tous ces gens ?
-  Ils étaient pas là tout à l'heure.
-  Quoi ?
-  Tu veux dire que t'étais là aussi ?
-  Ouais, j'étais aux toilettes.
-  Et t'étais où avant ?
-  A la maison. J'ai même pas eu le temps de finir mon spliff.
-  Ca t'apprendra.
-  Gnagnagna, monsieur est toujours blanc comme neige, hein !
-  Absolument.


Elle éclata de rire.


J'ai risqué un «tu les as vus ?»


-  Tes poils de cul ? Non...

-  Abrutie, je parle des monstres dehors !!


Elle rangea ses vannes et me regarda avec un sérieux inhabituel.


-  Alors c'était ça ?

-  Quoi, «ça» ?

-  J'ai croisé une drôle de forme, fine et élancée, tu vois ? Dans la brume, je l'ai pas bien vue, je savais pas trop ce que c'était. Mais ça ressemblait pas trop à une étudiante.

-  Merde.

-  Donc, y'a des monstres dehors.

-  Et ça t'étonne pas plus que ça ?

-  Non... En même temps j'suis un peu grise, là.

-Ouais... Je vois le truc. Est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé avant que t'arrives ici ? Y'a rien eu d'inhabituel ?

-  Je sais pas. Maintenant que tu le dis, peut-être que la maison s'est effondrée. Mais c'était peut-être juste le spliff, il était presque pas coupé...


Ok, ma soeur croyait planer jusqu'à la Jamaïque et en fait elle a atterri ici. Elle doit être sacrément déçue du voyage...


-  Hé, à quoi tu penses ? Qu'est-ce que tu regardes ?
-  Rien, rien...

-  Dan, merde ! Tu me caches quelque chose. J'suis peut-être défoncée mais j'suis loin d'être aveugle.


J'ai bu une autre gorgée de café.


-  A chaque fois que tu fais cette tête-là, c'est que tu réfléchis à plein de trucs à la fois. T'essaies de te donner un air neutre mais en fait t'as l'air tellement soucieux que ça doit pas tromper grand-monde...


Je me voyais mal lui dire que j'étais devenu un chaud lapin au point de pouvoir lui allumer ses joints avec un seul doigt.

Je me voyais mal lui dire que ma basse s'était révélée du genre incassable, trouvé un nom, et qu'elle avait disparu je ne sais où.

Je me voyais mal lui raconter la discussion avec Siko, dans le bar.

Je me voyais mal lui raconter le concert qui avait précédé tout ça. Ni les deux jours qui avaient précédé ce concert.


Alors j'ai rien dit.


- Arrête. Ca marche pas avec moi. Laisse tomber et dis moi la vérité.


Si je lui dis ce que j'ai vu, est-ce que ça la mettra aussi en danger ? Est-ce qu'elle disparaîtra elle aussi dans un miasme venu de nulle part ? Comme Solenne...


Solenne...


Bordel où es-tu ?


- Dan. Tu vas me dire tout de suite ce qui se passe.


Avant que j'aie pu décider entre lui dire la vérité ou détaler comme un lièvre pour aller chercher ma Solenne, un pan entier du mur de la cafet explosa littéralement. J'ai même pas eu le réflexe de plonger sur Sonia pour pas qu'elle se prenne les débris. J'ai assisté à la scène comme un gros con. Un bloc de béton de la taille de la table lui tomba dessus.



- SONIA !!


J'ai rien pu dire de plus intelligent.


Non, putain, c'est pas vrai... Il avait fallu la fin du monde pour qu'on se reparle, et là...


Un énorme singe rouge et noir a passé sa tête par le trou qu'il venait de faire dans le mur.


- SALOPERIE !


Aucune réflexion, 3 de Qi et 15 ans d'âge mental, j'ai foncé sur le singe qui devait bien faire 2 ou 3 mètres de haut.

La somme de tout ça me vaudrait au moins un double zéro de conduite.


Le feu a accompagné ma folie et s'est mis à courir sur ma peau. J'étais Super Torche-man et j'étais sacrément vénère. Mon bras droit brûlait beaucoup plus que le reste, bizarrement.

J'en ai profité pour attaquer le bestiau, d'autant que le feu me donnait une sacrée allonge.


Le singe a reculé en hurlant. J'avais brûlé un de ses yeux.


- CA, C'EST POUR SONIA !!
 

A ma grande surprise, le singe me répondit. Et pas d'une voix super grave comme dans les blockbusters hollywoodiens. D'ailleurs, si on avait été dans ce genre de films, j'aurais sauvé Sonia d'une manière ou d'une autre. Et les losers de mon espèce ont pas leur place dans ce cinéma-là.


- Salut, Dannie.

- Hein ?
- J'ai dit «salut, Dannie».


Je me suis calmé d'un seul coup.


- Tu n'aimes pas les gens, hein ? Misanthrope !


Il m'a carré son poing dans les dents. J'ai volé sur une belle dizaine de mètres. Le feu s'est concentré sur mon dos à l'atterrissage. J'ai pas eu trop mal, à ma grande surprise.


- Tu n'as même pas remarqué qu'ils avaient disparu d'ici ! Idiot !


Il m'a tapé une seconde fois. Le feu m'a protégé, encore une fois. Mais ça veut pas dire que je l'ai pas senti passer.


- Et, pire encore, tu n'as même pas réalisé que tu l'avais abandonnée !

- De qui tu parles ?


J'ai attrapé son poing au moment où il a essayé de le me le foutre sur la tronche. Ca le brûlait mais il résistait quand même.


- Tu l'as tuée, espèce d'enculé !

- Oh ? Nous ne parlons vraiment pas de la même personne, Dannie.


La fureur m'aveuglait. J'arrivais pas à comprendre s'il parlait de Solenne ou de Sonia. Le feu brûlait de plus en plus. Le singe a rugi et a reculé tout en me mettant une patate qui m'a cloué au sol.


Ca fait trop mal, putain...


J'ai bien galéré comme il faut pour me relever.


- Rassure-toi, Dannie, ou tu ne tiendras pas.

- T'as tué ma soeur, salopard !


Il ouvrit grand les bras. Des lettres rouge sang sur sa poitrine formaient les mots «Free Hugs».

Lol...


-  Comment le sais-tu ? Tu n'as même pas vérifié, Dannie !


Je lui ai balancé une boule de feu à la tronche.


- Tu n'es pas très gentil avec moi...


J'étais encore plus furax qu'un lendemain d'élections.

Il a allongé le bras pour me frapper, j'ai esquivé et coincé son bras dans une sphère enflammée. Je sais pas trop comment je l'ai fait, mais je l'ai fait.


- Maintenant, tu m'expliques.

- Quoi ? Je t'explique quoi, Dannie ?


Il avait presque l'air gentil.


- Toi. Qu'est-ce que tu es ?

- Rien de plus qu'un reflet, Dannie. Je ne suis rien de plus qu'un reflet.

- Et tu reflètes quoi, hein ?

- Hahahaha... Mais toi, bien sûr.


J'ai même pas eu le temps de réagir à ça qu'il avait déjà disparu.

La cafet était de nouveau vide et des larmes coulaient le long de mes joues alors que je courais vers l'endroit où se trouvait le cadavre de Sonia. Avec l'énergie désabusée de la savoir morte, j'ai soulevé le morceau de mur pour me retrouver nez-à-nez avec un rouleau de papier-toilette.


Merde.


Qu'est-ce qu'il s'est encore passé ?

J'ai filé aux WC comme du vent dans une cage d'escalier. J'ai ouvert toutes les portes à la volée pour constater qu'aucun rouleau ne manquait à l'appel.

J'ai respiré un grand coup pour me calmer.

Plusieurs grands coups, en fait.

Qui sait ? J'aurai peut-être plus de chances avec les toilettes des filles ?


- Hey.


J'ai hurlé avant de reconnaître Sonia, dans l'embrasure de la porte.


- Tu sais que c'est mal d'aller dans les toilettes des filles quand on est un mec ?

- J'te croyais morte, tête d'anguille ! Imbécile ! Sadique ! Tu m'as fait super peur !


Elle a repris son air sérieux. J'ai pris le temps nécéssaire au retour du calme.


- Je sais. Je l'ai vu. Et je sais pas comment, mais j'ai réussi à me sauver le cul comme ça.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je crois que je peux échanger ma place avec celles d'autres trucs autour de moi. Regarde.


Elle a disparu et j'ai engueulé un café.


Je suis sorti en râlant. Elle m'attendait, assise sur la table.


- Alors ? Impressionnant, hein ?


J'ai soupiré un «ouais...» peu convaincant.


- En fait, je crois que c'est comme ça que je suis arrivée ici. Il devait y avoir un truc en commun entre ici et chez moi.

- Peut-être.


J'ai essayé de reprendre le contrôle de mes émotions. C'est pas évident, surtout depuis que j'ai cette espèce de pouvoir. Comme si c'étaient mes sentiments qui se matérialisaient et qui nourrissaient ce feu.
Comme si ce Fireal brûlait mes peurs...


- Il faut sortir d'ici.

- Ouais.


Inutile de demander où on irait.


- Au fait, qu'est-ce que tu lui as mis, au singe ! Je savais pas que t'étais aussi fort que ça !


Elle a vu le singe. Elle m'a vu me battre. Et ça l'étonne pas, elle non plus. J'imagine que quand on se téléporte pour aller aux chiottes, on n'est plus aussi terre-à-terre que quand on y va en marchant. Ou alors c'est l'effet du voyage en Jamaïque sans billet d'avion.


- Je suis pas fort. Je sais pas pourquoi, mais j'ai pas peur. C'est tout.

- T'as bien grandi, p'tit frère !

- C'est ça...


J'ai regardé par la fenêtre. J'ai toujours eu du mal avec les compliments, ça me met tout le temps mal à l'aise.


- Regarde-moi.


J'ai obéi.


-   On va s'en sortir, ok ? On va s'en sortir. J'suis certaine qu'on est pas les seuls à être ici et à avoir des pouvoirs. On va se rassembler et on va revenir dans notre monde.



Ca lui va bien, de dire ça. J'aurais bien aimé la voir en face du singe.



- Ecoute, soeurette. Je comprends rien à tout ce qui se passe ici. Je sais même pas si c'est réel. J'en ai vraiment marre de pas savoir, de pas comprendre. Alors ouais, on va y aller. Mais dis-toi bien qu'il y a peut-être aucun moyen de sortir de cette ville fantôme. Et que s'il y a bien d'autres gens ici, ils auront peut-être pas eu autant de chance que nous. J'aurais très bien pu mourir, tout à l'heure. Et ce sera la même à chaque fois. Si on comprend pas ce qui se passe, on sortira jamais d'ici.


J'ai pas eu le courage de lui dire que notre monde réel n'existait plus. J'étais trop lâche pour lui dire que c'était la fin du monde.


- Mouais. Joue au chef si tu veux, mais ça te va pas.


Je l'ai regardée droit dans les yeux et j'ai fermé ma grande gueule. Elle avait raison.


On est sortis de la cafet, on s'est enfoncés dans la brume.

Et advienne que pourra.



 

 

 

 




 

 

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