Lundi 12 mars 2012 à 0:33



Soda a levé un sourcil et j'ai mis deux cigarettes dans ma bouche. Le bruit de flamme a été assourdi par le fracas des portes du bar. Un gigantesque monstre ruminant de colère coupait toute retraite. Epique. Kepa et une fille que j'ai cru reconnaître comme Lola - pas évident dans la poussière et les copeaux de bois encore en lente lévitation - étaient étalés dans un coin.

Me suis approché de mon meilleur ami et lui ai posé la clope dans ses lèvres entrouvertes. La rage montait.

- On est pas dans un film de gangsters, grognai-je, alors tu vas pas mourir.


Il a souri, le visage en sang. Nos bras se sont agrippés et je l'ai levé. Vive le nouveau monde, avant j'en étais difficilement capable. On a tiré sur notre clope en silence et en même temps, comme des frères face à l'adversité. 

Personne ne parlait. Personne n'avait l'air très étonné non plus. Lenne a brûlé quand la rage a déferlé en moi, vannes grandes ouvertes par sais pas trop quoi, probablement cumul d'incompréhensions et douleurs, surtout au moment où Solenne allait enfin tout m'expliquer. 
Putain d'injustice. Pensées tournent, reviennent, tournoient, virevoltent, moquent, frappent, lacèrent, rient, retournent, transpercent, jouissent. Les effacer. Les cramer. Brûler l'illusion de la pensée. Plus de contrôle.

Kepa et moi nous sommes jetés sur la créature comme un seul homme. 

Les comptes ont été réglés rapidement. C'était quand même quelque chose de le voir dans une situation pareille. Rien à voir avec le Kepa que j'ai toujours connu. Fort, stoïque, sans peur. Impressionnant. 

On a frappé, on a tranché, on a fauché. 
Le monstre torché s'est effondré sur le côté sans presqu'avoir pu nous toucher. Tout ça me paraît foutrement arrangé. Yeah.

Et Kepa bien trop fort. J'ai eu l'impression de savoir rien faire, et d'avoir servi à rien ce coup-ci. J'ai donc fait une roue de feu, pour la peine, la forme et le style. C'est qu'après que je me suis rendu compte que c'était ridicule. Les regards blasés des autres ont aidé.

En silence, Neto est allé remplir d'autres bières, et on s'est tous assis à la même table.

Plus de tensions, pour le moment en tous cas. Juste l'harmonie et la paix.

Solenne a fini par briser le silence.

- Il faut qu'on parle. Il faut que je vous parle à tous.


_________________________________________________________________________________________________________________

Les vagues de l'univers bercent ma conscience à mesure que je voyage. Je pense à eux, je sais qu'ils pensent aussi à moi, la seule chose qui me manque vraiment c'est ma guitare. Je sais pas où je l'ai laissée.

A tous les coups elle est encore sur scène, mais quelle scène ? J'ai déjà vu plusieurs réalités, contenant chacune leur propre version du Krakatoa, parfois vide, parfois plus ou moins remplie par des groupes de gens, dont certains qui me rappelaient vaguement quelque chose. Je voyais de la peur, de la perte, de l'errance, mais aussi de la joie, de l'espoir, de la foi.

Je voyage à travers des strates superposées, toutes aussi réelles les unes que les autres. Je m'infiltre, j'observe sans un mot. 
Rien à dire de plus beau que le silence, je me contente de suivre le flux de mes pensées, et c'est ce que vous êtes en train de lire.

"La fin du monde était la bénédiction que tout le monde attendait."

Cette phrase s'imprime dans ma tête sans que je puisse savoir d'où elle vient.

Je suis invisible, plus léger que l'air, en suspension dans le vide, en ascension ou en apensanteur ou en n'importe quel autre terme qui résume au moins à peu près ça. En tous cas j'en ai toujours rêvé. J'observe tout en me demandant si je peux agir, et comment, et cette idée me fait sourire.

Puissant.

Jouissif.

J'entends des voix dans les vagues, les voiles, les couches d'énergie qui ondulent un peu partout au-dessus et autour de moi. Pas l'ombre d'une peur. 

Le mot "artefact" est dans ma tête depuis le début et n'en ressort pas. Je sais pas pourquoi je fais ça, mais je veux le faire, et j'irai jusqu'au bout. Je veux retrouver la guitare que j'avais ce soir-là.

_________________________________________________________________________________________________________________


La copine du bassiste chaud des burnes a pris la parole. Elle s'est mise à développer des concepts tordus qui pourraient bien sortir des bouquins des Témoins de Jéhovah.

La tête dans les mains, je me force à la fermer. C'est pas le moment de foutre (encore) la merde. 
Remarque mon pote, avec tout ce qui s'est passé depuis que je te raconte mon histoire, elle aurait raison que ça me paraîtrait presque logique.

Bordel.

Gorgée de bière salvatrice. Dan, passe-moi ton doigt, je veux fumer.

Il me faudra deux minutes pour transformer la pensée en paroles. Une peur me vrille le ventre et ma main au cul d'Allumette-Man qu'elle est pas irrationnelle.

Solenne -car apparemment c'est son nom- venait de sortir que la fin du monde avait été prévue depuis ce qu'on considère comme des années.
Des dizaines d'années, peut-être. Que si on était là, que si on EN était là, c'était le destin.

J'ai fini par réussir à desserrer les dents.

- Dan, passe-moi ton doigt, j'ai envie de fumer.

- Je réagis assez mal aux ordres, Brad Pitt. Apprends le respect, ça peut servir, grogna-t-il.

- Woh, du calme, mon grand. J'ai pas insulté ta mère.

Un poing a tapé sur la table et on a tous les deux eu droit à une décharge électrique right to the bide.

Dan m'a tendu son majeur-briquet en tirant la tronche. One again, dude !

- Merci, mon pote.

Il s'est un peu détendu. D'habitude les gens réagissent rarement comme ça. 

- Alors, miss, c'est quoi notre destin ?

- De le trouver. J'en sais pas plus.

- RAAAAH ! Génial ! 

La plupart des autres a râlé avec moi, Dan y compris.

Le démon rayé, Soda de son prénom, si j'ai bien suivi, ne disait rien. Sonia non plus, et le beau gosse ténébreux aux ailes d'ange optionnelles et intermittentes, pas mieux.

- T'as pas plus sybillin ? a-t-il fini par dire.

- Parce que bon, t'encules un peu les mouches en plein vol, là, lâchai-je en écho.

- Je fais que résumer un bouquin que j'ai pas écrit, a-t-elle répondu d'une voix douce mais tranchante. (Je te laisse imaginer le rendu.) Si tu crois que j'en sais plus que toi, tu te fous le coude dans l'oeil jusqu'au doigt.

- Non, c'est l'inverse en fait.

Dan, c'est pas le moment de la ramener...

- JE DIS COMME JE VEUX ET TU COMMENCES PAS !

Qu'est-ce que je disais ?

- Et voilà, manquait plus que ça. L'engueulade d'amoureux sur fond de fin du monde. Et les autres, là, mais dites quelque chose, bordel ! 

- On te laisse parler, t'as l'air inspiré.

Sonia. Sale pute, tu viens de me perforer l'estomac.

J'ai descendu le reste de ma bière

- Vous connaissez pas votre chance, les gars, ai-je dit en les regardant droit dans les yeux et en bloquant de la main gauche la baffe prévisible de Sonia. 
Faut arrêter de croire que tout ce que je dis est méchant et vicieux, ajoutai-je à son encontre. Comme l'a dit la brune électrique tout à l'heure, c'est pas en se foutant sur la gueule qu'on arrivera à quelque chose. Si on veut avancer, on doit d'abord grandir. Ca marchait déjà comme ça dans le réel, mais on a tous fait de la merde, et le destin a décidé de ça, lâchai-je avec un grand geste embrassant la pièce, et par extension, notre nouvelle réalité. Parce qu'il y a un destin, et jveux bien le croire si ça sort de la bouche d'une fille qui a dans les tripes assez d'énergie pour t'alimenter une ville jour et nuit. Et puis bon, c'est pas comme si y'avait qu'elle, hein. (En continuant à parler, je suis allé me resservir une bière.) Ca veut dire que chaque chose qu'on a vécue, chaque choix qu'on a fait, chaque décision prise, subie ou respectée, a contribué à nous amener ici. 

-J'crois que la façon dont elle l'a dit était mieux, a dit Mickey l'Ange. 

On l'a tous regardé sans rien dire.

- Croyez-moi et croyez-la, on est pas là pour rien, reprit-il. Sinon je serais mort.

Nouveau silence.

Soda a fini par prendre la parole. 

- Y'a du mieux les dromadaires, mais c'est pas encore totalement ça.

- Allez, maître Yoda, raconte-nous tout, lâchai-je.

- J'en ai déjà dit beaucoup à notre ami, dit-il en désignant le défonceur de portes du menton.

Il n'a rien dit. Il était crispé.

C'est Solenne qui a suivi.

- D'abord se trouver soi-même, pour pouvoir retrouver le monde ensuite. Pour ça va falloir se battre, se dépasser, et se donner sans compter. Comme dans la vie.  Mais je peux pas vous dire qu'on y arrivera à tous les coups.






Mardi 13 mars 2012 à 1:01

On était en train de débattre pour savoir ce qu'on allait faire quand un détail a attiré mon attention. Ma veste, en fait. A côté du bar.
Ce qu'elle fait là, aucune idée. Ni depuis quand elle y est. Mais c'est pas comme si l'étonnement faisait encore partie de mes capacités. Je me suis levé et m'en suis approché, un peu perplexe malgré tout. Tous les détails ont du sens, mais pour celui-ci, mystère. Mon coeur a loupé un battement et doublé le suivant. Il y avait marqué
FAITH sur le dos. Pas d'odeur de marqueur, évidemment, ça aurait été trop simple. En passant le doigt dessus, pas la moindre aspérité, comme si cette inscription avait toujours été là. Juste à côté de la veste, une boîte ambrée, en fer, marquée Australia. Mon coeur fait rondade-flip-salto arrière. Je la reconnais, elle appartient à Pierrot. Je l'ai souvent vu y ranger ses médiators ou des trucs moins légaux dont la morale judéo-chrétienne réprouve l'achat et la consommation. Bien envie de l'ouvrir, mais pour la première fois, je sens monter en moi la honte de n'avoir que finalement assez peu pensé à mon guitariste sans m'être réellement demandé s'il était pas là, quelque part dans cette strate. Tout se mélange et s'embrouille dans ma tête. Je frappe de toutes mes forces sur le bar, nique le comptoir et ma main avec. Le feu tourne un coup et me la remet en état en deux secondes. Nuque baissée. Fixe les débris qui traînent encore par terre. Je suis pathétique. En fait de superhéros, je suis qu'un loser égoïste avec des superpouvoirs qui me paraissent bien anecdotiques comparés au vide qui m'enserre de l'intérieur.

Je m'allume une clope et retourne ma tête vers les autres. Ils me regardent comme un monstre de foire. Suis presque en train de chialer, la boîte en fer tombée à mes pieds et ma veste dans la main.

Genoux à terre, tremblant que trop peu.
Prostré au sol, face à ma propre faiblesse, cendre de ma force aussi vite gagnée que perdue. Volutes de fumée dans l'air, parfum de tabac, de cèdre. Je relève les yeux pour croiser ceux de Solenne. Je voudrais y lire de la compréhension, mais j'y arrive pas. Je suis un enfant, comme l'amour. Juste au-dessus d'elle, un porte-manteau soutient un casque audio dont le propriétaire fait aucun doute. 

Je me suis levé pour aller le chercher. Une fois mis autour de mon cou, j'ai pris la parole.

- Je suis stupide, pathétique et ignorant, et je viens probablement de vous apparaître comme fou. Ou complètement con. Je dois me défaire de tout ça pour continuer avec vous, et pour ça, je dois retrouver Pierrot.

Je suis pas sûr que ce soit vraiment moi qui ai dit ça. Je suis pas sûr non plus que ce soit ma voix. Mais ce qui est dit est dit, devant les regards dubitatifs des autres.

- Peut-être qu'après ça, ajoutai-je en regardant Solenne droit dans les yeux, je pourrai m'estimer digne de toi.

Là, j'étais déjà un peu plus sûr que c'était moi qui parlais. 

Je me suis dirigé vers l'escalier, au milieu de la pièce. Mon esprit s'est éclairé, pas mal d'élements se sont mis en place, peut-être grâce à l'ambiance chaleureuse que les murs de bois poli donnaient au bar. Un p'tit effet "Chocolat chaud après le ski". Ou la pluie.

-C'est ici que j'ai revu Siko après la fin du monde. 

Et selon lui, Solenne sait beaucoup de choses. Forcément plus que ce qu'elle a déjà dit. Ca blesse. Mais je peux pas en parler. Pas maintenant. Me demande pas pourquoi mais je le sens.


Et j'ai repéré un changement dans l'expression de Soda.

- C'est aussi là qu'il m'a donné les fioles que Sonia a bues. Il y a des portes en haut. J'en ai utilisé une en arrivant ici. Vu que Soda persiste à rien nous dire, je pense que son rôle était de nous amener ici pour ouvrir ces portes et voir ce qu'il y a de l'autre côté.

- J'ai vu Siko, moi aussi.


La voix de Solenne me transperce le coeur en avant et en arrière. Jaloux ? Invraisemblable, ouais... 

- Où ça ? demandai-je, les jambes quand même un peu tremblantes. 

- Quand je suis entrée dans le miasme. Après que tu m'aies défigée.

Et soudain la sale sensation que j'étais parti pour regretter ça. 

- Je me suis retrouvée dans une autre strate et il était là. Un monstre est arrivé et on a pris cher. Je sais pas ce qu'il est devenu.

Okay, donc toi tu me caches encore plus de trucs que prévu.

- Et tes pouvoirs, tu les as eus quand ?

- Dan, on a pas de temps, dit calmement Seb. 

- Je veux savoir ! clamai-je bien fort, sans l'effet "caprice" que je m'imaginais à entendre sortir de ma voix. Des flammes commencent à parcourir mes bras et je sens quelque chose de nouveau monter en moi.
Garder le contrôle... Garder le contrôle, merde... Par dessus tout.

- Je les ai eus juste après, a-t-elle répondu sans s'énerver ni flipper. Le monstre m'a plongé dessus. Je te l'ai raconté, ça, en plus, quand on s'est retrouvés. J'ai cru mourir, j'ai fermé les yeux, et quand je les ai rouverts, j'étais dans une cage. Là, j'ai entendu de la musique, et j'ai fini par me rendre compte que je pouvais me la jouer transformateur EDF.

Une partie de moi la croit sur parole, une autre trouve que ça se tient, une troisième est pas du tout convaincue, et une quatrième pense qu'elle avait déjà ses pouvoirs dans le réel.

Raah, mais tuez-moi les kids.

Solenne s'est approchée et ses yeux ont rencontré les miens de la même manière que nos corps. Elle m'a enlacé doucement et donné un long baiser.

- Super, fin de l'épisode, tout le monde est content, envoyez le générique ! sarcasma Neto.

_________________________________________________________________________________________________________________

Ouais, desfois il invente des verbes. Et si ça vous plaît pas il vous emmerde.

_________________________________________________________________________________________________________________

- J'ai toujours cru que celui que vous appellez Siko existait que pour moi. Que c'était une création de mon esprit.

Tous les regards se sont tournés vers Seb. Il reprit.

- J'avais des visions assez apocalyptiques dans leur genre, depuis plusieurs années. Et ce type, en plus de me guider dans la vie assez régulièrement, me disait des trucs à propos de mes visions qui semblaient assez logiques.

- T'es un prophète, quoi, dit Sonia.

Là pour le coup y'avait de l'étonnement dans l'air. Seb parle rarement autant. 

- Vous voulez pas savoir ce qu'il s'est passé pour moi depuis la fin du monde, lâcha-t-il comme un écho à mes pensées.

Mes pensées qui me disent de plus en plus fort à quel point Solenne me ment.


- Bon, on ouvre la porte où on s'met une mine ? lança Neto d'une voix joyeuse mixée d'amertume.

- J'vais reprendre une bière... lâchai-je en laissant mes yeux traîner dans le vague.

J'ai bien l'impression tenace d'être le seul à pas tenir la route, ici. On est tous marqués par ce qui nous arrive, d'une certaine manière, même sans cette espèce de relativité émotionnelle qui semble régner ici, mais je me sens vraiment comme le faible et le sensible de la bande. J'ai envie de me laisser aller, mais c'est pas le moment. Conviction pour bloquer peur. Bloquer incertitudes, appréhensions aussi.
Un détail m'a traversé l'esprit.

- Personne est encore allé aux toilettes, vous avez remarqué ?

- Pas con, siffla Kepa entre ses lèvres qu'il avait pas desserrées depuis un moment, à part pour vider son verre.

- Vous venez d'arriver ou quoi ? s'est moquée Lola. Toutes les règles physiques sont complètement différentes ici.

C'est marrant, c'est la première fois qu'elle l'ouvre et j'ai déjà envie de la frapper. Rien n'a changé depuis le réel. 

Neto m'a devancé :

- Ca, merci, on sait. Mais si on va plus aux toilettes, comment tu veux qu'on évacue ? Soit on va tous mourir d'ici 3 jours, soit Dieu existe, ou au moins quelque chose qui y ressemble suffisamment pour modifier notre métabolisme.

Dieu existe. Cette inférence commence à se faire une place dans les esprits, on dirait. Personne ne l'a contredit. Et si y'a un endroit qui nous permettrait d'en avoir le coeur net, contre toute attente, c'est bien ici.

- J'ai bien envie de savoir, dis-je après avoir vidé mon verre et claqué son cul contre le bar.

Mon regard a balayé la pièce et les regards serrés de mes compagnons. Je me suis dirigé d'un pas aussi assuré que possible vers ma basse, l'ai sanglée sur mon dos et ai pris l'escalier. En haut m'attendait une porte marquée d'un étrange symbole.

- Et vous ? leur lançai-je depuis la mezzanine. Ca vous intéresse ?








Mardi 27 mars 2012 à 23:49

 

- Finalement ça te va pas si mal, le rôle de leader. Fais pas n'importe quoi, c'est tout ce que je te demande, a dit la fille à la voix un peu sèche. Et toi, tu viens avec nous, a-t-elle ajouté à l'attention du bellâtre au sabre assis à côté d'elle.

- Woh, Sonia ! Tu me surprends, là !

- Ta gueule et debout, Neto. C'est pas le moment de déconner, on sait pas ce qui nous attend.

- Ben justement ! C'est en sachant rire du pire qu'on peut y faire face.

Il a peut-être pas tort. Mais à mes yeux il reste qu'un psalmodieur de jolis mots pour jolies filles.

- N'importe quoi. T'as toujours été un lâche qui voulait se donner l'air cool. Mais au final, t'es qu'un crétin comme les autres. 

Qu'est-ce que je disais ? Je me suis tournée vers Kepa et lui ai sorti une phrase comme il aime.

- Allez, chéri, bouge tes jolies fesses et viens avec nous, on a un monde à sauver.

- Je réfléchis.

- Ouais hé ben c'est pas le moment, a claqué Neto. Y'a ton pote qui nous attend en haut. Seb, tu viens ?

- Ouais, a lâché le beau gosse ténébreux de peu de mots. Je vois pas quoi faire d'autre de toute façon.

- Lola ?

- Oui mon nounours ? Tu te mets à douter, comme ton ami ? Tu veux l'épouser et tu sais pas comment lui dire ? Pauvre chou, tu veux en parler ? 

Il a complètement ignoré ma super tirade (quoi, elle est pas géniale ?)

- Tu penses qu'il est possible qu'on soit morts ?

Le démon rayé qui apparemment s'appelle Soda a répondu à ma place, me laissant les lèvres ouvertes à gober le vide.

- Ne laisse pas une hypothèse prendre le pas sur toutes les autres sans avoir de bonnes raison de le faire.

- C'est ça. Voilà. Allez on y va. Attrape ton prolongement masculin et ramène ton boule.

- Mouais.

C'est un Kepa perplexe qui attrapa son énorme attribut sus-mentionné et rejoint Dan en haut des escaliers. Le temps qu'il se décide, Neto, Sonia et Sebastien y étaient déjà. L'espace d'une seconde, j'ai cru qu'il y avait un orage dans le bar. J'ai tourné vivement la tête pour m'aperçevoir que c'était seulement Solenne qui avait rejoint les autres à sa manière. Comment elle se la pète... ça lui réussit pas, la fin du monde.
Ca m'a énervée, du coup jsuis montée en traînant les pieds. Soda observait toujours, affalé sur sa chaise en bois. Il a fini par prendre la parole alors qu'on commençait un peu tous à transpirer des mains.

- Une fois la porte ouverte, vous n'aurez plus de repères. Vous serez dans une strate qui pourra correspondre à n'importe quoi. Passé, présent, futur, réalités alternatives, émotions et sentiments enfouis au plus profond de vous-mêmes... Je peux pas vous dire ce qui vous sera attribué. Vous ne serez peut-être même plus tous ensemble. Gardez à l'esprit que si c'est le cas, vous finirez tous par vous retrouver.

- Autre chose ? a demandé Kepa dont la mine se grisait à vue d'oeil.

- Croyez.



_________________________________________________________________________________________________________________


J'ai ouvert la porte et une énorme spirale prismatique nous a tous aspirés. Du coin de l'oeil je vois Seb déployer ses ailes. C'est magnifique. Je tourne la tête alors qu'il me dépasse et commence à tracer de longues courbes, laissant des trainées multicolores derrière lui.

Génial et flippant, mais génial. Mais flippant. Tout dépend du point de vue. J'essaie de déclencher le feu pour faire la course avec lui, mais ça veut pas marcher. Je me crispe à m'en vriller le bide comme un soir alcoolisé, mais Solenne me devance, chevauchant ses propres éclairs. J'éclate de rire, et comme s'il n'avait toujours suffi que de ça, je brûle, mon amour à 4 cordes dans la main et rattrape les deux autres avec un sourire victorieux indélébile.

On s'élance, Solenne et moi, dans tous les sens, jouant de disparitions intermittentes pour gagner un peu de distance. 

Seb bat des ailes de plus en plus fort et on a du mal à test. Mais on tient le coup. 
Suite à une vrille, je capte brièvement les silhouettes des autres. Neto est devant, les filles et Kepa un peu derrière lui. Sonia est assise en tailleur, et Lola, j'arrive pas trop à la distinguer.

D'un seul coup, la spirale se courbe, se compresse, se détend et se ramasse sur elle-même. Je verrai plus jamais ma multi-effets comme avant.

Tout devient noir, puis blanc, puis noir. Mais pas le même que le premier. Y'a de la nuance. De plus en plus, en fait. Ca éclate, partout autour. S'impose. Il n'y a plus que ça. Les choses ont changé, littéralement. Un grand flash blanc. Je ressens ça dans mes tripes. 
Mes pieds rencontrent une surface dure et sans aspérités. Humide. L'air est chaud, agréable. Le monde commence à prendre forme et j'assiste émerveillé à la transition. On dirait bien que j'ai définitivement retrouvé mes émotions. 

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Sonia. Sa voix me sort doucement de ma torpeur. Les autres sont là, aussi. 

- On explore. On va bien finir par trouver pourquoi on est ici.

Solenne sort son téléphone. 

- Je crois que le temps est arrêté. 

- Sauf le respect que je dois à la lumière qu'est ta copine, je crois qu'elle débloque un peu, là, m'a dit Neto.

- Elle sait ce qu'elle fait, même si ça nous échappe. 

J'ai rien trouvé de mieux à dire, et j'ai compensé en le sortant d'un ton amer. Ca devrait plutôt être à elle de nous guider.

- Y'a des ruines, là-bas. On devrait aller voir, dis-je.

Personne n'a contesté, certains ont fait un semblant de hochement de tête. Aucun n'a fait remarquer qu'on ressemblait à des enfants aventurés dans un coin perdu et inconnu, en train de jouer à mener une enquête pour savoir ce qui s'était passé ici.

La lande épaisse qui nous entoure est pas super rassurante, malgré l'éclat blafard de la lune qui guide notre chemin.

Il fait de plus en plus sombre à mesure qu'on avance. Je me mets à brûler, en laissant des flammèches dans mes traces de pas.

On croise une cabine téléphonique orange et grise complètement vide alors qu'on marche depuis ce qui devrait ressembler à une demie-heure.

Pas de papiers sous vitre contentant les instructions d'urgence ni les numéros à appeler. Pas d'inscription trashy sur le mur ou les vitres. Le combiné n'a pas de tonalité. Kepa appuie sur les chiffres mais le téléphone parle pas davantage.

Un peu déroutés, on s'est remis à marcher. Je sens un mal qui rôde. Seb a les dents serrées et l'oeil alerte depuis un moment, lui aussi.
On s'enfonce dans une forêt. Il prend le relais pour ce qui est de la lumière. Des hululements se font entendre entre deux craquements d'arbres. Une sensation pesante s'abat. Comme si cette forêt voulait nous avaler. 
"Peut toujours essayer..." grogne une voix dans ma tête.

Je sors mon paquet de clopes de ma veste et m'en allume une, comme si ça pouvait me faire du bien. Neto et Sonia m'ont suivi. J'en ai payé une à Kepa. Solenne ne disait rien.

Le malaise s'écarte un peu de mes tripes mais pas de ma tête. 

On continue à marcher. 
Le ciel se noircit, un peu. Un peu. Le vent secoue les feuilles des arbres. Elles nous tombent dessus, tout doucement, en décrivant une forme régulière et dansante. 
Vivantes, conscientes. 

Mais rien ne se passe. On avance, encore et encore, jusqu'à ce que l'étrange sculpture naturelle animée soit hors de vue. 

On a quitté la forêt pour les cent derniers mètres de lande qui nous séparaient des ruines. On dirait celles d'un château.







Vendredi 1er juin 2012 à 1:10




Des accords de basse ont déchiré l'atmosphère. Deux par deux. De plus en plus forts et rapides. Nerveux. Assourdissants. Rythmique guitare / batterie imparable s'est posée dessus, consistante avec notre entrée.

Un hurlement encore plus grave que la basse a fait trembler ce qui restait de murs. J'ai allumé la mienne au cas où. Solenne a regardé son portable. 

- Le temps s'écoule 4 fois moins vite ici.

- Ca va, il va pas nous attendre trop longtemps, Soda, sourit Kepa.

- Ouais ben c'est pas une raison pour traîner ici. Je sais pas ce qu'on fout là, mais je le sens pas, lâcha Neto, la main crispée sur son sabre.

- Personne se demande de quoi peut bien sortir un cri pareil ? demanda Sonia, qui commençait à perdre patience.

- Je crois surtout qu'il y en a pas un qui a les couilles de partir vérifier, lui répondit Lola avec un sourire sarcastique.


Un bruit d'éboulement se rapproche de nous. Réagir, vite.


- Pas besoin, souffla Neto. Courez, ça suffira.

- T'es fou ? On a pas fait péter le budget effets spéciaux pour rien ! 

Ignorant mon argument, Neto a détalé. Je lui aurais bien enflammé le crâne.

Ouh putain.

Je veux pas me la jouer blasé, mais depuis qu'on est ici, on en a vu. Mais apparemment pas tout.

Une créature de chair sanguinolente et musculeuse sort des décombres du mur qu'il vient de pulvériser. Ses petits yeux scrutent dans ma direction. Je soutiens son regard en priant pour pas me pisser dessus. Pourquoi il a fallu que je récupère mes émotions maintenant ? Le peu qui était revenu dans le "réel" était déjà pas évident à gérer, mais là...

- Courez, dis-je de la voix la plus calme que j'avais en stock.

- Ouais. Courez, a asserté Kep. On vous couvre.

J'ai été surpris. Agréablement, aussi.

Le streum faisait bien six-sept mètres de haut, sur quatre de large. Peau grise et décharnée, à vif par endroits. Quelques gouttes de son sang viennent abreuver les décombres qui l'ont fait couler.

Il a pas l'air très content. Comme pour me confirmer cette idée, il a rugi une fois de plus et son souffle putride nous a poussés en arrière, glissant sur la terre meuble.

Et là c'est le moment où tu regrettes amèrement d'avoir voulu jouer les héros. Je sais pas pour lui, mais moi, j'ai les tripes qui dansent et le bide en bordel. Lenne se fait lourde. Et merde, manquait plus que ça.

Kepa travaille la bête au corps façon taureau par les cornes et moi je suis incapable de brûler. Pas faute d'essayer. Putain de boulet. 
Il s'est pris une baffe qui l'a fait voler dans la lande environnante. Gargantua me charge. C'est la fin. C'est la fin et je serai resté en retrait jusqu'au bout. Prier pour que Kep soit encore en vie. Arrive pas à m'énerver, ni à brûler. Je sers vraiment à rien. Au moins les autres ont pu partir.

_________________________________________________________________________________________________________________

Putain Dan reste pas là les bras ballants avec ta basse trop lourde, tu me fais pitié.

_________________________________________________________________________________________________________________

Le sacrifice sera pas vain.


_________________________________________________________________________________________________________________

Putain mais t'as fini ouais ? Bats-toi ! 

_________________________________________________________________________________________________________________
 

Je pense à Solenne. A Aurélien et Pierrot qu'on a pas pu retrouver. Je souhaite à Neto d'obtenir ce qu'il était à l'origine venu chercher. 

La créature de Frankenstein me percute. Je serre Lenne à deux mains de toutes mes forces, comme pour la protéger, avant, pendant et après le vol. A mon tour d'être dans la lande. Je vois pas Kepa et j'ai mal à tout le corps.
 Pas possible de me lever. En même temps je peux pas y voir grand chose d'où je suis. Merde, je vais quand même pas me laisser tuer sans porter un coup. Ca se fait pas, ça. 
Je commence à m'aigrir. Une flamme taquine le bout de mon doigt. Last cig before death ? Don't bet on it.

Je me suis redressé en hurlant de tous mes os craqués en même temps. Tremblant, j'attrape mon paquet de cigarettes et m'en cale une entre les lèvres avant de retomber lourdement sur le dos. J'ai mal, bordel. 

Essaie de me détendre et de me calmer, de profiter au possible de chaque bouffée pour me dégager de la douleur, l'éloigner au maximum.


RAAAAAH. Putain !!


Je balance ma clope dans l'herbe, excédé. Me relève à nouveau, les os qui re-craquent de toutes parts, mon cerveau me crie que je suis pas en meilleur état qu'un meuble Ikéa avant assemblage et que je vais plus trop tarder à finir au rayon pièces détachées de l'usine à rêves.

Fuck me to death. Les yeux sans doutes embrouillés par la douleur, je crois voir Pierrot me faire un thumb up. Transpirant, chaque muscle de mon corps tendu et les nerfs chauffés à blanc, je me relève, complètement cette fois. Le feu prend le relais. Sauvé.

Ma tête continue de tourner, mes os se replacent, les blessures se referment, même mes fringues retrouvent leur apparence d'origine. Va savoir pourquoi.

Je prends Lenne dans mes bras et la serre fort, reconnaissant et les yeux embués de larmes, en regardant la direction où j'ai vu Pierrot quelques secondes auparavant.

Ca fait tout drôle de retrouver tout ça. Je prends la colonne de feu direct pour le musée des horreurs, et je participe à la fête.

- Où t'étais passé ? me crie Kepa gladiateur face à l'absurde abberation scénaristique qui se trouve devant lui et s'avère pas avare en baffes non plus.

- En pause clope. On a dû se croiser.


C'était pas ma voix qui venait de parler. Trop sombre, presque caverneux, en tous cas trop rocailleux pour être moi. Ca venait de moi, mais c'était pas moi. Enfin, je crois.


- T'as rien ?

Boum. Gros taquet pour Flesh Godzilla.

- Non...'t toi ?

- Ca ira.

On frappe synchro. Il fait couler le sang, je le cautérise. La bête hurle. A deux c'est mieux. 
Je joue au sculpteur de flammes. Avec Kepa on repousse les limites du stylé, et une infime partie de moi, bien au fond, n'en revient pas. Alors qu'on atteignait un nouveau palier de fun, deux types sont arrivés en courant, flippés et à bout de souffle.

- Baptiste ! 

- Enfin ! haleta l'autre, plié en deux, les amins sur les genoux.

- C'est quoi ce délire ? s'est énervé Kepa.

Encore brûlant, j'ai reposé ma basse.

- On en sait rien ! Et puis vous êtes qui, vous ?

J'ai compris, mais mes lèvres restent désespérément fermées. Le feu retourne progressivement dans mon coeur.

- On était à un concert, a dit Kepa. Il s'est passé beaucoup de choses pas explicables, mais on a fini par atterrir ici après avoir ouvert une porte à l'étage d'un bar.

- Vous aussi ? a dit Fred.

- Pink Babies, ai-je fini par lâcher.

- Tu nous connais ?

- Bien sûr abruti. Je suis dans le groupe que vous avez agressé. On sait toujours pas pourquoi.

Comme pour nous maintenir dans l'ignorance, c'est le moment qu'a choisi le streumon pour nous sauter dessus dans un spasme nerveux, après avoir gentiment dégagé ses potes qui le tenaient par les bras. Sympa pour eux.

Cette fois on a détalé comme des lapins. Kepa devait lui aussi sentir les effets de la fatigue et le besoin viscéral d'un mode d'emploi des réalités alternatives. Il me dépasse, je me sers des colonnes de feu pour réapparaître ça et là et garder un minimum de distance avec le géant de chair à la culture musicale douteuse, mais bien vite, je me rends compte que ça sert pas à grand-chose. Mes forces commencent à m'abandonner alors qu'ons 'approche d'une espèce de crypte. J'y vois pas grand chose, il fait trop noir, mais pas question de ralentir, ni d'utiliser le feu. Je bute donc contre deux murets, dix blocs de béton et cent cailloux. Pain's back. Génial. Kepa prend à droite au-dessus de la crypte et je plonge à l'intérieur. Je cours sur les tombeaux, le gros freak pas sexy toujours sur mes talons. Je crois qu'il m'en veut d'avoir pensé ça. 

Mon bras me fait mal, Lenne devient beaucoup trop lourde et si je la tiens à deux mains je peux plus courir. Je retire tout ce que j'ai dit sur le budget effets spéciaux. On a rien à voir avec des superhéros.

J'ouvre une porte d'un coup de basse libérateur, poumons et spleen brûlants, et dans un dernier sursaut de force, saute par-dessus un muret pour me cacher derrière. Je retiens ce qu'il me reste de respiration. A peine le temps de compter cinq battements de mon diaphragme qu'un impact explose le mur voisin. Je me prends des éclats de terre plein la tête, les cheveux, le visage. J'entends la créature s'éloigner d'un pas lourd. Mon crâne bascule contre la paroi dans un soupir soulagé.

La Peur, Dan. Dan, la Peur. Vous vous connaissiez autrefois, mais vous vous étiez perdus de vue.



 

 





Dimanche 17 juin 2012 à 1:17

Retour des paratextes dans une période où tout va mal. Criez pas trop fort, je savais que ça vous avait manqué. Ceux qui ont pas decelé l'ironie dans la phrase précédente, vous sortez. Autant être honnête, je suis face à des difficultés qui me lassent d'une force suffisante à fermer le livre et raccrocher les jacks, et qui portent sur des choses que mon entendement ne me permet pas d'habiller avec des mots. Je tiens donc à remercier ceux qui me soutiennent dans ces heures difficiles et qui, rien que par leur façon d'être, me donnent envie de reconsidérer ce choix pour lequel je me suis laissé 1000 jours. 1000 jours pour décider ce que je vais faire de mon chemin. Ecrire ce chapitre m'a fait pas mal de bien, et je m'y attendais pas. C'est toujours bien d'être surpis, ça donne une raison de se mettre en sursis. Ca arrangera pas mes problèmes, mais ce soir, je me sens un peu mieux, et c'est en partie grâce à vous. Pour la plupart, vous vous reconnaîtrez dans ce chapitre. C'est pas volontaire, vu qu'il a été écrit y'a... pfwah, un an, je crois, et que même si j'ai rajouté de la matière, la plupart des références étaient déjà présentes dans la version d'origine. 

Autant vous prévenir, ce chapitre risque d'être aussi moyen que ce paratexte pue la mort et la tristesse incomprise d'un emo de 12 ans, par conséquent vous êtes toutes et tous invités à venir le critiquer, comme tous les autres chapitres d'ailleurs, ce que personne ne fait, mais bon, je le dis quand même, exprimez-vous bordel ! Ne laissez pas votre quotidien étouffer votre esprit critique entre deux tranches de facebook ou de pubs à la télé. Ne laissez pas votre mental dépérir comme un alcoolique vide ses bières - sans conviction. Criez, hurlez, riez, montrez que vous vivez. Vibrez, bordel. Un jour, vous en serez peut-être incapables. 






_________________________________________________________________________________________________________________









Une veste marquée "Faith", une basse qui s'appelle Lenne, un zippo plus ou moins incontrôlable entre mes poumons, des émotions à moité de retour, une propension nouvelle à me foutre dans les situations les plus invraisemblables, un paquet de clopes déjà assez sérieusement entamé, des doigts-briquets, moi.

Et des trucs dans mes poches. Bordel, j'avais oublié ça. Je sors une des fioles en me défiant de pas me demander comment ça se fait qu'aucune ne soit abîmée, ni comment elles peuvent autant te remettre d'aplomb malgré leur si petite contenance. Et surtout pas pourquoi j'ai pas pensé à en boire un coup plus tôt. Surtout pas.

J'en avale une d'un trait et me sens revivre. Le feu se déchaîne dans mon corps tout entier. Je crie, j'hurle, j'exulte. Jamais il a été aussi fort, aussi agréable, aussi uni. Je découvre un nouveau niveau de bien-être.

Je soulève Lenne et nous éclaire jusqu'à la sortie.

La lumière au bout du tunnel. Mythique, magnifique, magnétique.
A mesure que je me rapproche, elle bouge. J'essuie mes lunettes et continue d'avancer entre les murs humides qui fument doucement sur mon passage. Mon regard émerveillé se durcit quand je sens mes forces disparaitre aussi vite qu'elles étaient revenues. Je titube, laisse à moitié tomber ma basse par terre, la fais traîner par terre, me rattrape aux murs glissants. Ma tête bourdonne, mes oreilles sifflent. Je lâche un râle et me cale une clope entre les dents. J'ai l'impression que la flamme qui me sert à l'allumer est mon dernier souffle transformé.
J'arrive pourtant à tirer dessus, péniblement. J'ai des douleurs dans à peu près tout le corps, je râle doucement à chaque expiration.

Les ondes de lumière se dirigent finalement vers moi. Doucement, lentement. 

Tranquillement elles m'absorbent et m'enveloppent. Subitement enchanté, je me retrouve transporté dans un néant brillant. Une voix.

"L'homme qui voulait choisir ouvrit la porte. Alors qu'il la contemple, l'esprit déterminé, le doute s'installe vaguement en lui. Il s'avance, en refusant de s'humilier."

"Et il reste pédant, ayant la volonté sans être conscient qu'il n'a pas la raison d'être de toutes ces choses, ni même la connaissance. Il passe le seuil."

J'existe encore ?


Explosion de lumière. Du blanc, du bleu, des ondes. Par milliers. Des gouttes d'énergie aussi. Ce plongeon était mortel, de quoi faire passer les grands 8 pour des trains électriques. La lumière me fait tournoyer dans tous les sens. Des éclats de feu s'échappent de moi alors qu'elle me propulse et me plaque.

Dans un lit.

Une voix reconnaissable entre mille m'hurle aux tympans entre deux gémissements. Je suis complètement nu et je crève de chaud. On transpire. Elle me regarde amoureusement de ses beaux yeux verts mi-clos. 

- On en est au quantième ? je m'entends dire en voix off, comme si le monteur avait cru bon de me rappeller ma dernière réplique, mais s'était un peu planté niveau synchro.

- J'ai arrêté de compter au cinquième, doudou, me glisse-t-elle dans un souffle, juste avant de se remettre à me grandir l'ego sous fond de joyeuse destruction auditive. Sa voix, comme son visage et son corps, me semblent plus que jamais au-delà de toute perfection. Mais "doudou", sérieusement ?

C'est le moment qu'a choisi mon cerveau pour se remettre à fonctionner. Si je viens pas de mourir, peut-être que j'étais mort avant, au moment de la fin du monde, et que tout ce que j'ai vécu n'est qu'une succession d'expériences liée à l'après-vie. Peut-être même que c'est ça, l'enfer, revivre encore et encore des moments heureux entre deux passages dans des salles de tortures remplies de monstruosités et de successions d'évènements incompréhensible. Solenne continue de crier, mais j'arrive pas à me concentrer pour autant. Mon corps et mon esprit semblent dissociés. Ou alors je suis mort mais une force inconnue m'a fait remonter le temps assez loin pour me donner une deuxième chance. Me dis pas que ça va être à moi d'éviter la fin du monde, je le vois venir à des kilomètres et c'est hors de question. Je suis qu'un môme, bourré de questions qui me tordent l'esprit dans tous les sens, mais un môme quand même.


- T'as encore battu ton record, mon chéri. Faut arroser ça.

Quand je dis que je sors avec la fille parfaite. Sonia me sermonnait toujours là-dessus, sur le culte de la performance, en râlant sur mon manque d'humilité quand je lui racontais mes soirées spaghetti / ciné / restau / sexe. Elle disait que c'était pas sain d'avoir quelqu'un qui te rappelle régulièrement que tu règnes au pieu et que t'es le maître du monde sous les draps. Que si ça t'empêche pas de t'améliorer, ça favorise pas non plus les remises en cause. Et toujours le même regard qu'elle me lançait quand je lui disais que je me déteste suffisament, voire trop, pour risquer ce qu'elle me prédisait. Et effectivement, il avait fallu aller jusqu'aux super-pouvoirs pour que je me croie au-dessus de tout. 

Pour l'heure, c'était au-dessus de Solenne que j'étais, nimbé du plaisir partagé, grognant de bonheur, des spasmes parcourant mon corps tout entier. Au sommet de sa poitrine pulpeuse, ses tétons dardaient vers le ciel jusqu'au fond de mes yeux enivrés de désir. 
Mon cerveau s'était tu.  

Qu'est-ce que c'est bon d'être en vie.

Un flash noir obscurcit ma vision. Je pars loin, très loin. Je me sens presque prêt à quitter mon corps. Quand je rouvre les yeux, je me retrouve à genoux, la tête de Solenne au-dessus de mon nombril avec une main derrière les oreilles pour retenir ses cheveux, comme en transe dans un va-et-vient incessant de haut en bas. Je m'abandonne au plaisir acméen qui m'amène dans un équilibre étrange entre le ciel et la terre.

Et là c'est moi qui hurle, abandonné aux talents de cette ange qui partage ma vie et l'illumine un peu plus chaque jour.

Elle s'allonge doucement et je m'effondre à ses côtés. 


- Tu es à ma vie ce qu'Amanda Woodward est à Melrose Place, finis-je par lâcher dans un souffle rauque, la gorge et la bouche asséchées par ce que Sonia appelle sobrement la "compétition vaginale".

- Hey, c'est pas cool, ça !

Elle me met une bourrade dans l'épaule et on se marre comme des gosses. 


- C'est un groupe génial, je te ferai écouter.

- C'est ça, rattrape-toi !

- Mais j'te jure, c'est pas des blagues !

- Mouais...

- Tu verras. Alors, c'était comment ?

- Rooh... tu recommences ! J'te le montre pas assez ou quoi ?

- Je sais, j'suis lourd avec ça...

- Pas qu'avec ça, j'te rassure !



Elle rit. J'ai mal. Nous sommes heureux. 

Nous sommes heureux et j'en paie le prix, sans savoir qu'elle casque beaucoup plus que moi, chaque fois qu'on se voit représentant pour elle une occasion de se mettre à découvert, même involontairement.

J'essaie de m'empêcher de repenser à tout ce qui s'est passé avant que je me retrouve en elle. C'est la deuxième fois que je me retrouve dans le passé. Ca doit peut-être se reproduire encore. Ca collerait avec l'idée que je suis mort, que ce soit depuis le début ou tout récemment.


- Dan, j'avais encore jamais joui comme ça, a-t-elle fini par dire.

Ha ben ça fait plaisir ça, tiens. Pensées coupées. Je respire.

- D'où le...
 ?

Je pointe mon index vers mon entrejambe sous les couvertures.

- En partie.

- Mais quelle salope.

- Hey !

Morte de rire, elle me jette un oreiller sur la tronche et m'attrape la queue avant que j'aie pu faire quoi que ce soit d'autre qu'afficher un sourire probablement très niais sur mes lèvres anhydres.

- Alors, qu'est-ce que t'as à dire, maintenant, hein ?

Elle rit toujours. C'est communicatif.

- Je boufferais bien un pot de Nivéa.

Elle me fout une petite baffe sur le bout du gland.

- Ouga !

- Désolée ! J'voulais pas te faire mal...

- C'est pas grave, répondis-je un peu crispé.

Elle me donne un long baiser et part chercher la bouteille d'eau et les clopes. Solenne ne fume qu'au lit, et après l'amour. Ou avant, mais rarement. C'est le moment de rassembler des données.

- Tu sais que c'est celle-là la plus dangereuse ? Elle va directement dans le sang.

- Je m'en fous, c'est ma seule. Pas comme certains !

Bon. Tentative d'obtenir de quoi y voir plus clair sans paraître bizarre.


- J'ai quand même vachement réduit depuis qu'on est ensemble. Ca fait combien de temps, déjà ?

J'aurais peut-être dû la jouer deuxième degré.

- Tu déconnes ?

Merde.

- Tu devrais le savoir, reprit-elle, le regard légèrement assombri. Pourquoi tu me demandes ?

Et là, j'suis censé faire quoi ? Lui dire la vérité ? Non mon grand.

- Je sais pas, comme ça... Je suis pas très dates. [Prier pour que ça passe] Ca doit faire au moins 8 mois, je dirais...

- Ca fait un an, banane !

Oups. En même temps, j'avais aucun élément pour m'aiguiller. Ah si, des albums de Tang et de Sugartown que je lui avais offerts pour l'occasion, qui trônent sur son bureau. Soit la tempête de lumière m'a repris mon sens de l'observation, soit elle m'a déconnecté du réel.

- Je t'ai dit, j'suis mauvais en Histoire.

Elle rit encore. C'est moi qui la rend heureuse comme ça ?

- Tu me rends heureuse.

Et ben au moins je suis foutu de mettre dans le mille sur un point. Vive moi...

- Non, c'est toi qui me rend heureux. Celui qui te rend heureuse, c'est ton amant.

- Mais c'est toi mon amant, andouille !

Non, me dites pas qu'on a VRAIMENT eu cette conversation guimauvause en rose fluo ?

- Tu trompes un mec avec moi ? DEPUIS TOUT CE TEMPS ??

- Mais non, soupira-t-elle, y'a que toi....

- Je voulais sortir une vanne vaudevillesque, mais tu me fous le doute. C'est vrai ?

Ah ouais quand même. Guimauve + lourdeur = mauvais Dannie. Pas bien... Après on s'étonne que tout le monde ait laissé tomber l'histoire.

Pourtant, mon coeur commence à battre très fort dans ma poitrine. Autant pour la perte de connexion au réel, je suis vraiment devenu con avec tous ces trucs à base de monstres, de feu et de lumière.

Elle m'a regardé droit dans les yeux. 

- Oui. Il n'y a que toi. Normal. Tu veux des arguments ?

Pouah, bordel. Ca va finir en livres pour enfants, cette histoire. J'ai vraiment été comme ça ? Et comment ça se fait que je dise exactement les mêmes choses que quand ça s'est passé ?

Elle me caresse doucement le visage, le sien porte une expression préoccupée. Y'a pas à dire, elle m'aime vraiment. Pauvre Solenne...

- Tu mérites mieux, lâchai-je en lui tournant le dos.

- Arrête....

Elle m'a enlacé doucement et pris la main.

- Même s'il y avait mieux, j'en voudrais pas. Du är den rätte.

Deuxième flash direct dans ma gueule. Elle a dû le sentir.

_________________________________________________________________________________________________________________


Orj, tu fais de la merde, là. En plus ça traîne en longueur, ton truc. Trouve quelque chose, vite.

_________________________________________________________________________________________________________________


- Tu connais la différence entre faire l'amour sur un bâteau et la bière sans alcool ?

_________________________________________________________________________________________________________________

Noooon, pas ça....

_________________________________________________________________________________________________________________



- Noon... dit-elle en riant doucement.


_________________________________________________________________________________________________________________

STOP ! STOOOOOOP !!
_________________________________________________________________________________________________________________

- It's fucking close to water.

_________________________________________________________________________________________________________________

Non, mec, non. Trouve autre chose, vite. Ils vont pas tarder à zapper en masse pour aller chez Atom, là. En plus il offre la bière et ses dessins sont cool. Alors tu te démerdes, mais tu me fais mieux que ça.

_________________________________________________________________________________________________________________

Elle rit encore. Mais pas de ce rire stupide qu'a, hélas, une majorité de filles. Non, jamais. Elle a toujours une forme intelligente de rire. J'aime ça. 


Silence.

- Ca faisait longtemps que je t'attendais. Je commençais à me demander si t'allais venir.

- C'est beau. Je pourrais dire la même chose, mais ça serait du plagiat.

- Je l'ai pas vue passer, cette année...

- Moi non plus, t'as pas idée.

Elle a eu un regard surpris, prête à poser une question. Puis elle a soupiré d'aise.

- N'empêche, à chaque fois tu m'envoies dans une autre dimension.

J'ai eu un sursaut et me suis retourné vers elle. Garder le calme. Le retrouver, plutôt. Me plonger dans la contemplation d'elle.

- Comme une réalité alternative ?

Maïeutics in bed, experiment 1. 

- Ouais, voilà. Exactement. C'est fou, t'as mis le doigt dessus. 

- J'ai juste dit ça au hasard...

Essayer d'avoir l'air naturel.

- Y'a pas de hasard.

- C'est pour les noobs.

- Absolument.

- Donc oui, une réalité alternative. Où tout est beau, parfait, ordonnée. Je la sens du bout des doigts, enfin, du bout de mon âme, si on peut le dire comme ça. Mais je reste toujours aux portes, en quelque sorte. 

- Le paradis ?

Elle a souri.

- Ouais. Si on veut.

Une pensée m'a claqué dans la tête. Si je suis mort, peut-être que rien de tout ça n'est réel et que je le sais au fond de moi, de mon âme, justement, et que du coup, je cherche des indices dans ce qu'elle pourra me dire parce qu'elle est aussi un produit de cet univers virtuel dans lequel je me suis retrouvé propulsé, que ce soit par la lumière ou la fin du monde.

Elle s'est blottie contre moi et je l'ai embrassée. Continuer à jouer le jeu, si c'en est un.

- Et l'enfer ?

- Je pense pas que ça existe. Mais si c'est le cas, ce serait sans doute un monde étrange et sombre. Peut-être trippant aussi, mais fondamentalement malsain. Avec des monstres, aussi, je pense. Peut-être même vaguement humains. Une sorte de matérialisation de ce qu'on a de plus sombre au fond de nous.

Elle me glace. J'essaie de parler plus fort que mes battements cardiaques.

- Et si jamais un truc comme ça existait, on pourrait s'en sortir ?

- Je ne sais pas. Je sais juste que la lumière est la plus forte.

Ouga ouga in my mind. Booyaka burnin' in my heart. 
J'aime cette fille plus que tout au monde, mais là je voudrais repartir sauver les autres, en sachant comment jouer au héros cette fois. Elle a balayé toutes mes questions en une seule phrase sans le savoir. Je crois avoir enfin ma réponse. En tous cas c'est ce que dit la chaleur en moi. 

Pourtant, pas de Deux Ex Machina pour moi cette fois. Je reste désespérément cloué au lit avec la femme de ma vie, d'autant qu'à ce moment, j'étais encore censé l'ignorer. De mes rêves alors. Ouais... ça colle carrément.

J'ai souri, apaisé.

- Hé, ça va ? T'as l'air bizarre.

- J'me suis jamais senti mieux.

- Alors tout va bien, sourit-elle.

Oui. Tout va bien. Dans les meilleur des blablablabla. Mais il faut cultiver notre jardin. On se dit "je t'aime", et la vérité du sentiment et du moment me réchauffe le coeur encore davantage. 

On s'est endormis.









<< Page précédente | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | Page suivante >>

Créer un podcast